« J’ai voulu me lancer en bas, une bourrasque m’a ramené. Le vent m’a sauvé la vie. »
– Marco Collin
L’histoire d’un Québécois francophone surmené, sur les genoux, comme beaucoup d’autres à notre époque. Il part en « road trip » vers certaines communautés des Premières Nations du Québec à la recherche de sens, de guérison et d’une autre manière de lire le monde. Il tente de comprendre les ravages du colonialisme perpétré sur ces nations par un système qui le favorise encore. Il cherche à voir ce qui a été fait en son nom, avec l’intuition qu’à travers ces gens, il comprendra mieux ce qui lui arrive. Son périple le mène jusqu’en milieu carcéral, où la surreprésentation autochtone est symptomatique des traumatismes que ces communautés portent en héritage et du racisme systémique qui dure.
Comment s’y prend-on pour aider son prochain à guérir alors que ce sont nos pères qui en sont la cause? Changer ce n’est pas prendre le discours d’un autre, mais plutôt cesser d’emprunter celui qu’on avait avant. La douleur causée par l’humiliation est toujours très présente dans le milieu autochtone au Canada et au Québec. La cartomancie du territoire est un documentaire en poésie, réalisé par Philippe Ducros exhumant les blessures enfouies dans le sol de ces terres qui ne sauraient appartenir à qui que ce soit, mais que tant d’étrangers appellent maintenant chez eux. Un territoire conscient de tout ce qui fut avant nous et qui en garde encore des traces aujourd’hui.
Les Premières Nations furent les pionniers de ce que nous appelons probablement à tort Amérique; un nom que d’autres lui ont donné sans considérer l’histoire qui l’habitait déjà. Pire encore, on a voulu les faire taire et pour certains, les faire taire à jamais. Ce documentaire est une façon de redonner une voix en quelque sorte à celles et ceux qui croyaient l’avoir perdu pour toujours et qui ont maintenant une chance de se faire entendre. Des voix autochtones, Philippe Ducros en a choisi deux; les acteurs Marco Collin et Sharon Fontaine Ishpatao qui savent brillamment délivrer un texte percutant. Ces monologues chargés d’émotions mélangées aux images lyriques d’Éli Laliberté figurent sans aucun doute dans les meilleurs éléments de cette œuvre.
Cependant, les mots prononcés ne sont pas uniquement issus de bouches Innues, mais aussi de celle de monsieur Ducros lui-même. L’objectif est de créer un parallèle entre les souffrances autochtones et celles des descendants des colons Français; c’est à mon avis là qu’il y à un bémol, car parallélisme il y a, et ceci annule justement tout type de rencontre possible. La douleur est comparable, mais elle n’est pas la même pour personne… un peu maladroit de retourner les maux des Première Nations au cri du coeur d’un blanc pris dans le vide de la ville, son cri du coeur qui plus est. Le combat peut-être similaire, mais il ne faut pas tout mélanger sans considération.
Ne vous méprenez pas, je suis très sensible à toute injustice — la paix universelle pour moi n’est pas un rêve, mais bien un but —, mais au-delà de tout ça, voici ce que je comprends en lien avec tout ça; et comme à l’habitude j’utiliserai un exemple. Voilà quelques jours j’écoutais une conversation dans la rue et me vint à l’oreille l’impression qu’on parlait du terrible accident qui était arrivé dans le port de Beirut en 2020. « C’est pareil comme Hiroshima », entendis-je clairement. Laissez-moi vous dire que j’étais heureux qu’aucun Japonais n’ait eu ouï de celle-là. Je ne dis pas que la personne est stupide ou mal intentionnée, mais peut-être simplement maladroite. Se prendre une claque de 300 tonnes d’explosif par accident et une autre par exprès de 15,000 tonnes…
Est-ce que je crois que le réalisateur de La cartomancie du territoire puisse avoir manqué sa marque lorsqu’il fut temps de nous parler de lui et de sa souffrance personnelle? Oui. Toutefois, je ne le condamne pas entièrement, car il est difficile de lui coller une étiquette sensationnaliste, n’empêche qu’il n’a pas su démontrer ce qu’il a à offrir en retour. La cartomancie est un art divinatoire des Grecques popularisé durant le siècle des lumières, ce qui, selon moi, n’a pas grand-chose à voir avec la culture autochtone au Canada. On récite le même poème au début et à la fin, ce qui laisse un sentiment de vide. On aurait dû faire une meilleure division des thématiques blanches vis-à-vis des réalités autochtones un Yin et un Yang, parce qu’au final, il peut exprimer sa douleur du monde même si elle n’exprime pas celle des Premières Nations.
À la fin du documentaire s’enchaînent les visages des autochtones d’un côté pour terminer sur celui du réalisateur soliloquant une conclusion à laquelle j’aurais voulu être habilement conduit. Ainsi ce « lui » se défait du « nous », se retrouvant seul de s’être lui-même exclu. Ce « nous » qu’il renie n’incluant que lui, n’allant pas à la rencontre de son prochain; de ceux auxquels il n’appartient pas et les autres auxquels il ne veut pas appartenir. Les mots de certains poèmes sont à mon sens trop crus ou violents par moments. L’œuvre perd en humilité et en crédibilité quant à son aspect universel dû principalement à toutes ces voix magnifiques qui ironiquement ont du mal à s’harmoniser ou simplement se rencontrer.
Justement les rencontres… où sont-elles. Il n’y a à proprement parler aucun échange avec les spectateurs ni même entre eux. Une triste constatation qui témoigne d’un manque flagrant au niveau de la communication, mais surtout de l’échange. Mais peut-être que tout ça n’est qu’une habile prétérition révélant l’absence de réunions tant nécessaires pour notre bien commun; le silence entourant la parole d’autres comme monsieur Ducros qui n’osent ou ne savent le faire? Cela ne veut pas dire de tirer sa rage dans les airs sans but ni direction, spécialement quand il y en a des choses pas agréables à dire sur notre système au-delà des pensionnats. Soyons honnêtes, même si le Québec a pu être affecté négativement par la grande main de l’Église Catholique, nous sommes tout de même loin de ce qui fut fait aux peuples autochtones. Si rien n’avait été dénoncé; qui sait si le sort qui leur aurait été réservé n’eût su s’apparenter à celui de détenus des camps de concentration? La cartographie de notre territoire est désormais tracée dans le sang, la neige et le feu. Parce qu’on s’invite chez eux, mais on n’ose pas encore les inviter chez nous.
La première fois que j’ai été face à une autre culture, c’était celle des autochtones. Il faut dire qu’au début des années 90 — à Laval — la diversité… Disons qu’il fallait encore sortir de la ville pour en trouver facilement. Jeune j’ai fait les scouts — les Castors qui sont comme des scouts juniors — et c’était bien mieux que les camps de jours parce que là-bas tout le monde était des nerds alors je me faisais moins écœurer. Un été, on avait eu une sortie où on allait à la rencontre de ces peuples qui connaissent tout de l’endroit où j’apprenais à vivre et je fus tout simplement émerveillé de voir qu’on pouvait vivre autrement que les adultes que j’avais habituellement autour de moi. C’est certain que je ne comprenais pas grand-chose, c’était peut-être même pas une vraie excursion; je ne suis pas le meilleur juge de la situation vu l’âge que j’avais. J’ai jamais cessé de sentir que ma place était ailleurs. Je n’ai pas la prétention de croire qu’elle est avec les autochtones, mais certainement pas à soutenir un environnement qui souhaite simplement m’exploiter.
On s’est tous fait monter un beau grand bateau; eux, moi et vous aussi. Nous sommes tous prisonniers de cette cage de verre que l’on nomme société occidentale. Ici, nous ne sommes plus des êtres vivants, mais des produits bons à consommer ou à jeter. Tout le monde est égal dans ce pays, tout le monde n’est rien. On veut faire croire à tout un chacun qu’iel est spécial, mais vous savez ce qu’on dit quand tout le monde est super? Ne pas se perdre dans la masse, ne pas disparaître au large, l’absolu ne laisse pas de place pour naviguer. Peut-être faut-il simplement rester quelque part entre le rivage et l’horizon?
La cartomancie du territoire est présenté au Festival Cinemania les 9 et 13 novembre 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième