« Si on s’occupe de lui tous nos cauchemars, ça s’arrête. »
Hamid (Adam Bessa) est membre d’une organisation secrète qui traque les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Sa quête le mène à Strasbourg sur la piste de son ancien bourreau.
Les fantômes ont-ils un visage? Peut-on tuer ses souvenirs? Jusqu’où nous suivent nos ombres? Entouré d’une épaisse fumée anxiogène, Les Fantômes se construit sur une montée progressive de la tension où chaque pas, chaque geste et chaque parole a son importance.
Juste, retenu, étouffant, angoissant et parfois crève-cœur, Jonathan Millet a réussi un sacré tour de force pour son premier long métrage. Inspiré de faits réels et basé sur ce qui aurait dû être au départ un documentaire, le film détonne par sa difficulté à être approché. Hamid, emmène le spectateur avec lui dans une quête tellement abstraite visuellement, mais tristement cruelle audiblement. Cela est l’un des gros points forts du film, sa force de suggestion.
Entre le rythme lancinant du long métrage et les extraits audios, le film happe par l’aura à la fois mystérieuse et monstrueuse qu’il dégage. En effet, comme un morceau de papier, le spectateur est trimbalé d’une énigme à une autre tout en étant happé par cette filature qui ressemble plus à une bataille psychologique qu’à une filature d’un potentiel suspect.
Le film ne suit pas Hamid, le film est dans l’esprit de Hamid. Il est dans ses entrailles, dans ses doutes, dans ses songes et surtout dans son chagrin. Les Fantômes dresse le portrait d’un personnage aux antipodes des agents vaillants ne craignant rien. Cette approche est aussi applicable pour le reste des personnages dont on ne sait plus vraiment si ce sont des ennemis ou des alliés. Au-delà de la simple histoire, c’est le fait de discerner qui joue un rôle central. Comment décerner le vrai du faux? Comment donner un visage à celui qui n’en a pas? Comment discerner sa mission de sa vengeance personnelle? Ces questions traversent le film via une réalisation soulignée par une musique transformant chaque séquence comme une source de danger. La séquence du repas dans le restaurant en est la parfaite incarnation. Les deux protagonistes se toisent et s’observent, usant chacun de toute leur langue de bois pour esquiver soigneusement un lapsus révélateur.
Certes, le tempo du film peut parfois paraître nonchalant, mais de cette nonchalance le film fait sortir les fêlures de ses personnages qui ne chassent pas seulement les fantômes du passé, mais aussi les ombres du présent. Ces ombres qui les empêchent de vivre, de faire leur deuil, de vivre une certaine renaissance. Si Hamid suit son bourreau, peut-il se remettre des traumas que ce dernier lui a infligés? Peut-il se permettre de revivre?
Entre les murailles de l’université de Strasbourg et son marché de Noël, Hamid est pris en étaux entre la folie du passé et la quiétude du présent. Ce tiraillement est perceptible, est tangible dans le film tant le décalage permet au long métrage de dévoiler toutes ses thématiques sans pour autant tomber dans la facilité et les clichés.
À la base, le travail de Jonathan Millet devait aboutir à un documentaire, mais les circonstances ont fait qu’il fallait que la fiction y trouve son chemin. Loin des chiffres, et des généralités, il y a des êtres humains qui se cachent derrière ces personnes qui s’interdisent d’oublier, qui s’interdisent de laisser leur humanité l’emporter. Mais comment retrouver son humanité alors que son bourreau rôde quelque part comme un fantôme.
Les fantômes est présenté au festival Cinemania les 7 et 9 novembre 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième