« Are you staying for the fair? »
[Est-ce que tu restes pour la foire?]
Louie (Scott Michael Foster), écrivain acclamé, retourne dans sa ville natale après la mort de son père. Confronté à son passé, Louie est obligé de se réconcilier avec les histoires qu’il a volées, déformées ou carrément exploitées à des fins lucratives.
Okie, réalisé par Kate Cobb, offre une ambiance digne des plus grands suspenses mélangée à la légèreté d’un film routard pour donner un cocktail intéressant en bouche, mais dur sur l’estomac. Si l’encre est le sang que l’on répand sur les pages, alors le stylo est bel et bien une lame plus terrible et plus impardonnable qu’aucune autre ne saurait l’être. Mais d’où coule cette écarlate vérité? Dans le meilleur des cas, un écrivain se sert de ses propres veines qu’il ouvre (métaphoriquement là, commencez pas à capoter) pour y révéler son âme sous toutes ces teintes vermeilles; cependant, il arrive qu’il offre son prochain en sacrifice sur son autel de papier et parfois jusqu’à l’hécatombe.
Des auteurs aux mains tachées de sang, vous en connaissez peut-être ou pas, mais vous savez de quoi je parle. Celle ou celui dont l’inspiration n’est pas aussi divine et éthérée qu’iel ne le prétend. Bien entendu, même les plus grands s’inspirent de choses qui les entourent ou les habitent, mais le font-ils au profit de la réputation des autres. Vous savez, c’est comme un commentaire impulsif sur les réseaux sociaux ou dans un party de famille; on dit ou fait quelque chose pour se défouler sans se rendre compte de qui on blesse dans le procédé. Malheureusement, il peut arriver que la page blanche ait le même effet. La tête haute, on reste convaincu qu’on a sorti un gros motton et que l’on n’a blessé personne.
Il est facile de passer le reste de sa vie dans l’ignorance d’avoir pu causer du tort à qui que ce soit dans notre ascension vers la gloire et le succès; la moindre des choses reste encore de l’admettre. Scott Michael Foster joue le rôle de Louie Mulgrin, un auteur qui aurait bien aimé pouvoir passer à la maison de son défunt père rester dans la ville de son enfance sans qu’il n’y ait signe de son passage. Malheureusement pour lui, difficile pour une tesla de passer inaperçue dans le petit village d’Oklahoma. Son ancien ami vient cogner à sa porte et – un peu comme Gandalf à la porte de Bilbo – amène avec lui une aventure qu’il n’oubliera pas.
Le scénario nous amène à rencontrer celles et ceux qui partagèrent jadis la vie de Louie et qui servirent de muses à leur insu. Il se croit changé et maintenant bien différent de cette bourgade qui l’a vu grandir. Toutefois, son ami Kevin, interprété par Travis Young, entraîne Louie dans les méandres de ses souvenirs et remonte jusqu’à la source de ce qui le tourmente malgré lui. Sur le chemin du bon vieux temps, Louie retrouve également Lainey, interprétée par Kate Cobb, la personnification de ce qu’il préférait chez un partenaire romantique et que le succès l’a convaincu du contraire.
Il en faut du chemin pour se rendre compte de ce que l’on aimait. Je faisais référence, il n’y a pas si longtemps, aux théories du persona selon Carl Gustav Jung, et Louie semble être un exemple parfait pour illustrer la chose. Son masque, c’est ce qu’il est lorsqu’il arrive au village; les gens représentent ses ombres donc ce qu’il cache au reste du monde et surtout à lui-même; les plaisirs et les peurs qu’il ressent là-bas représentent son enfant intérieur, celui qu’il est au fond de lui ou plutôt ce qu’il a cessé d’être depuis qu’il a quitté l’endroit. Louie semble incapable d’allier la personne qu’il était et celle qu’il est devenu; selon Jung, notre cher Louie serait en plein débalancement psychique.
Le désordre psychologique auquel Louie serait en proie s’exprime à travers une médication qu’il ne prend que sporadiquement et qui laisse planer le doute quant à la véracité de tout ce qui lui arrive. Le dénouement final est d’autant plus perturbant, puisque l’angoisse latente qui s’accumule depuis le début atteint son paroxysme à un niveau un peu plus extravagant qu’on ne l’envisageait au départ. Je fus moi-même décontenancé par ces moments alors que je doutais de plus en plus qu’il puisse exister une fin heureuse pour Louie Mulgrin.
Nous sommes Spartacus, nous sommes Robert Paulson, mais nous sommes aussi Louie Mulgrin. Au bout du conte, nous avons enjolivé nos pires coups et truffé d’embûches nos réussites même les plus banales. La vérité, on se la fait soi-même, dit-on. S’imaginer notre vie c’est ce que nous faisons chaque jour; mais alors quand nous adonnons-nous à être nous-mêmes et pas seulement les héros de notre histoire? Louie en prend conscience alors que le temps qu’il partage avec Lainey paraît semblable à l’Éden duquel un jour l’Homme s’était lui-même arraché. Le simple goût d’oeufs brouillés fait avec bonhomie sans rien d’excentrique ou de superflu lui extirpe des larmes de joie, mais sans doute aussi de culpabilité.
Sur quoi écrit-on? Même s’ils font partie d’un passé douloureux, veut-on déshonorer ou blesser l’intégrité des autres qui en font partie? Laissons-nous derrière seulement ce qu’il y a de mauvais, ou le temps ne fait-il pas plutôt miroiter toutes ces possibilités qui nous étaient offertes et que nous remarquons maintenant que le moment est passé? Faire la paix avec tout ça et les étapes pour y arriver constituent probablement l’un des plus grands défis de notre vie mortelle. Sur une note un peu plus pessimiste, il ne faut jamais oublier que tous n’y parviendront pas et qu’il arrive que l’on échoue. Que faire à ce moment-là? Ce ne sera pas Okie qui va vous le dire. Au contraire, Okie laisse savamment plus de questions que de réponses offrant l’opportunité à de belles réflexions.
Y a-t-il vraiment des bons et des mauvais choix dans la vie? Je crois que oui, puisque Okie en est définitivement un bon. Ce film unique en son genre saura probablement plaire à toute personne qui souhaiterait approcher le drame sous un autre angle. Je conseille néanmoins de ne pas le visionner avant de se coucher, surtout si vous êtes du genre à faire de l’anxiété ou de l’insomnie. Ni un suspense, ni un film comique pourtant, Okie n’en est pas dénué et c’est sans doute pour ces raisons qu’il sera vous séduire. Par contre, saurez-vous faire la différence entre humilité et modestie?
Bande-annonce
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