« They’ve warmly welcomed us. Can’t we do the same? »
[Ils nous ont accueillis si chaleureusement. Ne peut-on pas en faire autant?]
Dans son premier long-métrage Mongrels, le réalisateur coréo-canadien Jerome Yoo nous plonge dans le trauma récent de toute une famille : immigrés de la Corée au Canada, le père Sonny, un chasseur, et ses deux enfants, l’adolescent Hajoon et la petite Hana, tentent de trouver leur place dans ce nouveau pays tout en faisant le deuil – tous à leur façon – de la mort de la mère.
Situé dans les années 1990 et filmé à Maple Ridge, dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique, Mongrels oscille autour de la cabane de la famille coréenne, ayant trouvé refuge sur le territoire de la famille aisée Larson, et ceci grâce à un parent qui, travaillant déjà pour Scott Larson, a vanté les talents de chasse de Sonny. Étant donné que la ville est encerclée d’une meute de chiens féroces qui met en danger non seulement le bétail et la récolte, mais aussi la sécurité des habitants, le don inouï de Sonny arrive juste au bon moment. Avec le nouveau venu à ses côtés, Scott compte éradiquer la meute et reprendre contrôle sur la ville.
Bien que très religieux, les Larson – Scott, sa femme Laura et son fils Noah – témoignent d’une ouverture d’esprit exceptionnelle envers les immigrés et accueillent chaleureusement Sonny et ses deux enfants. Ils les laissent vivre dans leur cabane, les invitent à dîner et offrent même des cadeaux à Hana lors de son anniversaire – ce n’est que Sonny qui reste réticent et qui désapprouve l’intégration de ses enfants dans la famille canadienne aux coutumes si différentes. De peur de voir ses enfants perdre leurs origines, Sonny tient fermement au maintien de leurs traditions, car : « If we abandon our beliefs, we’d be no different than beasts. » [Si nous abandonnons nos croyances, nous ne serons rien d’autre que des bêtes.]
Et aux dieux, Sonny y croit – que ce soient les ancêtres auxquels il faut faire des offrandes régulièrement afin de recevoir leur protection ou les esprits dans la forêt des chiens sauvages. C’est un homme spirituel, mais c’est surtout un homme profondément triste marqué par la mort de sa femme – Jerome Yoo arrive magistralement à traduire cet état dépressif dans une scène où on voit son protagoniste tenir le combiné téléphonique et parler à sa femme défunte. La nuit, dehors, les chiens hurlent sans cesse. Ils hurlent impitoyablement comme s’ils étaient les porteurs des endeuillés – autre symbole très réussi du réalisateur. Cette tristesse explique pourquoi le père, bien que physiquement présent, ne l’est pas mentalement – il ne s’occupe que peu de ses enfants et les délaisse très souvent. Le soir, il noie sa peine dans l’alcool. Pourtant, ce n’est pas un mauvais père. Parfois, tenir debout est le mieux que l’on puisse faire.
Hajoon, quant à lui, est très ancré dans le réel. Il souffre devant le silence du père qui refuse de révéler la vérité à Hana qui croit fermement qu’en attrapant et avalant cent avions dans le ciel, son plus grand vœu, le retour de sa maman, se réalisera. Dans la définition de la masculinité de son père – « strong mind, strong heart, strong fists » [esprit fort, cœur fort, poings forts] –, l’adolescent ne s’y reconnaît pas vraiment. Avec son empathie et son souci pour les autres, Hajoon est trop faible aux yeux de son père. Et le fait qu’il refuse de tuer les chiens comme son père ne fait qu’attiser la colère de ce dernier qui croit avoir perdu son fils au profit des voisins et de leur culture nord-américaine.
Hajoon, lui, ne comprend pas l’hostilité du père : « They’ve warmly welcomed us. Can’t we do the same? – If you’re so fond of them, go live with them. » [Ils nous ont accueillis si chaleureusement. Ne peut-on pas en faire autant? – Si tu les aimes tant, va vivre avec eux.]Tiraillé entre deux cultures, entre le deuil et un amour naissant pour Noah, Hajoon est perdu dans ce chaos émotionnel : « I don’t know where I am sometimes and I feel lost out here. Then I look at the moon. That’s the only thing that I recognize from back home. » [Parfois, je ne sais pas où je suis et je me sens perdu ici. Puis, je regarde la lune. C’est la seule chose que je reconnaisse de chez moi.]
Mais ce n’est pas seulement Hajoon que Sonny risque de perdre, mais également la cadette, Hana, dans laquelle Laura Larson a trouvé la fille qu’elle n’a jamais eue. Elle lui fait porter de jolies robes, lui vernit les ongles et la voit déjà en tant que prochaine reine de beauté… Or, Hana ne perd jamais de vue son plus grand désir et bientôt elle aura attrapé assez d’avions. Mais que feront Sonny et Hajoon lorsque la mère ne rentrera toujours pas?
Par le terme péjoratif « mongrel » l’anglais désigne un chien bâtard qui porte en soi plusieurs races. Les chiens féroces deviennent le leitmotiv principal du film et la manière dont Sonny les considère évolue durant le film. L’image des chiens agressifs aux hurlements répugnants – signe de la souffrance de la famille Lee – cède sa place à celle de mammifères protecteurs, d’un symbole maternel. Le travail esthétique et dramaturgique de Jerome Yoo est impressionnant – c’est un film beau à voir, bien joué et qui incite à la réflexion.
Je vous recommande fortement d’aller le voir!
Mongrels est présenté au VIFF les 28 et 30 septembre 2024.
Extrait
© 2023 Le petit septième