Le dernier repas - Une

[FIFBM] Le dernier repas – Un banquet pour l’âme 

« Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde par l’oubli. »

Le dernier repas - Affiche

Reynold (Gilbert Laumord) se meurt d’un cancer de l’estomac. Il doit se résigner à mourir de faim puisque sa condition l’empêche graduellement de manger normalement. Son rendez-vous manqué avec la mort le rattrape puisque la faim qu’on lui avait infligée à la prison de Fort-Dimanche ravive en lui de sombres souvenirs. Il utilise le prétexte des derniers repas qu’il est encore capable de manger pour les partager avec sa fille, Vanessa (Marie-Evelyne Lessard), qu’il n’a pas vue depuis près de 20 ans. D’abord hésitante, Vanessa accepte de revoir son père. Puis, avec l’aide de sa tante propriétaire d’une épicerie haïtienne, elle confectionne des plats haïtiens pour son père. Au fil des repas, un rituel s’installe au chevet de Reynold, chacun des mets traditionnels de sa jeunesse agit comme réminiscence de son passé. Il se dévoile et raconte à sa fille pour la première fois les sévices qu’il a subis et se libère ainsi d’un lourd fardeau. Vanessa découvre qui est véritablement son père : un homme aimant dont la dictature avait durci le cœur.

Une table dressée entre deux mondes 

« Ce n’est pas ce qu’on mange à notre dernier repas qui compte, c’est avec qui on le partage. » 

Le dernier repas - Une table dressée

On ne naît pas bourreau, on le devient. Tel est le devoir de mémoire du film. À la fois sensible et sensé, intense et diffus, Le dernier repas est comme un plat qui mijote à mesure que Maryse Legagneur pause sa trame narrative et ses enjeux.

Voguant entre un passé dictatorial et un présent malade, Le Dernier Repas offre un dernier baroud d’honneur gustatif et repentant à Reynold. À son chevet, sa fille qui le retrouve dans un état bien loin de la stature de « macoute » qu’il représentait pour elle. Le film, au-delà d’être une introspection d’une relation père-fille houleuse, est construit comme une chambre d’écho où chaque action du présent s’explique par les actes du passé. Ces « deux mondes » entrent en collision via un dernier repas. Le repas de la pénitence pour Reynold envers « Vava » sa fille. Et le repas de l’absolution de « Vava » envers son père. 

Les plats qui parlent

« Haïti est un pays où hier, sera toujours mieux que demain. » 

Le dernier repas - Les plats qui parlent

Une chambre à écho donc, qui se construit dans une atmosphère intimiste. Des informations haïtiennes de 1974, on passe aux informations montréalaises de 2011, de la cruauté des matons on passe à la douceur des infirmières. Surtout de la prison Fort-Dimanche, on passe à la chambre d’hôpital. Car, comme le mentionne la réalisatrice, « Ce sont deux huis clos qui se font écho. Deux milieux exigus, austères et angoissants ». Les plats sont les liants offrants toute la cohérence à la trame scénaristique.

Au-delà de faire saliver les spectateurs, chaque recette ressasse des souvenirs, chaque recette tisse un lien spécial avec son mangeur. En suivant cette direction artistique, le long métrage offre un montage sautant d’une scène à une autre via la référence à un plat. Cela donne au montage une esthétique super fluide. Même si le premier tiers poussif et la mise en scène un peu trop contemplative amenuisent en quelque sorte l’intensité dramatique de certaines scènes. Pour autant, ces petites faiblesses ne créent pas de l’indigestion au récit et dévoilent plutôt la patte de l’autrice. 

Aparté 

Je souligne spécialement la séquence de la prison avec le monologue de Z qui est incroyable. Tellement percutante, tellement vibrante, tellement intense que le peu d’espoir entrevu se faufile entre les dédales des geôles rouillées par le temps et la violence. La caméra ne coupe pas, reste quasiment fixe et ne lâche pas Z charismatique, scandant la vie au milieu de la mort. 

Le dernier festin d’un cœur qui s’ouvre

Une des forces du Dernier Repas, c’est le fait de posséder plusieurs grilles de lectures. C’est un hommage appuyé aux prisonniers politiques Haïtiens, c’est la compréhension de Reynold que la prison a balafré son corps et son esprit, c’est une lettre ouverte de pardon, c’est une connexion générationnelle notamment pour Vanessa, c’est une parole libérée qui s’est trop longtemps intériorisée. Au final, les plats ne servent que de prétexte pour rapprocher un sens propre comme au figuré père et fille. Peut-on dire que le dernier repas d’un condamné équivaut au dernier repas d’un malade? 

Le dernier repas - Le dernier festin
Reynold (Gilbert Laumord) se meurt avec Vanessa (Marie-Evelyne Lessard) à ses côtés

Ce qui est aussi prenant dans le film, c’est qu’il garde son approche « jusqu’au boutiste » remettant dos à dos deux époques bien terne pour Reynold. Enfermé pendant sa vie et libre lors de sa mort. Peut-être aussi que la fadeur du présent laisse place à l’intensité de la douleur du passé. Que le présent n’est que le fantôme en charpie d’un passé mortifié. In fine, la vie est aussi complexe qu’un repas, il faut faire attention à ne pas se brûler. 

L’estomac vide, la mémoire pleine

Le dernier repas est une très bonne expérience cinématographique. Maryse Legagneur prend un récit tout à fait classique d’une relation familiale mouvementée, mais l’examine via le prisme de la nourriture créole. Comme si la cuisine reste le seul lien qui peut faire asseoir deux « ennemies » à la même table. Reynold ne croit pas en Dieu et selon lui, Dieu ne croit pas en lui. Il a vu, tout de même, juste de croire en sa fille.

Le dernier repas est présenté au FIFBM le 26 septembre 2024 et arrive en salles le 27.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Le dernier repas
Durée
111 minutes
Année
2024
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Maryse Legagneur
Scénario
Maryse Legagneur et Luis Molinié
Note
7.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Le dernier repas
Durée
111 minutes
Année
2024
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Maryse Legagneur
Scénario
Maryse Legagneur et Luis Molinié
Note
7.5 /10

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