An unfinished film - Une

[TIFF] An unfinished film – Revivre le confinement de 2020

« Si personne ne peut le voir, à quoi ça sert? »

An unfinished film - Affiche

Le réalisateur Xiaorui convainc son équipe de reprendre le tournage d’un film interrompu dix ans plus tôt. En janvier 2020, alors que le tournage est presque terminé, des rumeurs concernant une maladie commencent à circuler. Un coiffeur de Wuhan est renvoyé chez lui, tandis que l’équipe suit l’actualité sur leurs téléphones. Le réalisateur doit décider s’il doit à nouveau interrompre le tournage. Certains membres de l’équipe et des acteurs parviennent à partir avant que l’hôtel ne soit confiné par des agents de sécurité et que tous ceux qui sont restés sur le plateau soient confinés dans leurs chambres d’hôtel. Comme toute communication se réduit aux écrans de téléphone, Wuhan est confinée. L’équipe continue de communiquer par appels vidéo, tandis que l’acteur principal Jiang Cheng, en quarantaine, lutte pour subvenir aux besoins de sa femme, désormais confinée avec leur bébé d’un mois à Pékin.

Avec An unfinished film, Lou Ye propose un film qui questionne la résilience et le caractère de chacun dans des situations hors du commun. Ce film nous ramène au début de la pandémie, alors que personne ne savait vraiment ce qui se passait, dans ce qui pourrait être vu comme un journal de ce qui s’est passé.

Entre fiction et documentaire

An unfinished film commence tel un documentaire, par une séquence qui reproduit ce que Lou Ye avait fait peu de temps auparavant, c’est-à-dire de fouiller dans un vieil ordinateur à la recherche de vieux matériel qui avait été tourné par le passé. C’est là que le réalisateur (tant Ye que celui dans le film) retrouve les rushs d’un vieux film jamais terminé. 

An unfinished film - Entre fiction et documentaire

Dans la plupart des images documentaires du début du film et dans le « film dans le film » qui suit, tous les membres de l’équipe jouent leur propre rôle. Sauf le réalisateur et 2 ou 3 autres personnages qui sont interprétés par des acteurs. Mais en remplaçant certaines personnes par des comédiens, ça permet au réalisateur de sortir de la contrainte d’un documentaire et de fictionnaliser un peu son récit. 

Il y a de nombreux films qui mélangent des images documentaires et la fiction. Mais rarement le mélange aura été aussi bien maîtrisé. Par moment on se questionne véritablement à savoir s’il s’agit bien d’une fiction ou si on ne regarde pas plutôt un documentaire. Il faut dire que le sujet se portait particulièrement bien dans ce genre de concept mixte. 

Redéfinir le langage du cinéma post-covid

Certains se plaignent que le cinéma n’est plus ce qu’il était, qu’on ne peut plus faire de vrais films. D’autre, comme Lou Ye préfère redéfinir le langage du cinéma pour qu’il s’adapte au monde actuel. Selon lui, il y a un avant et un après covid19 dans la façon de faire du cinéma. Et si An unfinished film représente ce nouveau langage, je dois dire que je suis assez positif quant à l’avenir de cet art.

An unfinished film - Redéfinir le langage du cinéma post-covid

C’est surtout dans la deuxième partie du long métrage que la manière de faire change. Dans cette deuxième partie du film qui se déroule pendant que le tournage est interrompu par le confinement, l’équipe doit terminer le tournage pendant la pandémie et à l’intégrer pleinement au film. Ainsi, plutôt que de se contraindre à faire un film de la façon classique, Ye a établi un plan de tournage basé sur le montage des anciens documents. Le tournage à court terme pendant la quarantaine à l’hôtel était similaire à une production cinématographique traditionnelle avec des schémas de tournage écrits et des diagrammes de placement des caméras, mais le tournage ultérieur était différent, car les rôles de l’équipe étaient doubles; ils jouaient leur rôle à la fois devant et derrière la caméra. Ils font un film tout en se filmant en train de faire un film.

Ainsi, plutôt que d’avoir une seule caméra qui filme une scène, ce sont six caméras qui tournaient en même temps, chacune manipulé par le personnage qui « utilise » son téléphone pour filmer. Et si Lou Ye se retrouvait dans un plan, deux choix s’offraient : si on voyait son visage, le plan allait à la poubelle, sinon, on gardait.

 Pour réussir ce tour de force de filmer un film en pleine pandémie, il n’y avait d’autre choix que de laisser place à l’improvisation et aux modifications constantes. 

« Le soi-disant script ne contenait qu’une très petite partie de ce qui avait été filmé. Nous avions également les scènes d’appel vidéo en temps réel, qui étaient de véritables appels vidéo, donc il y avait de nombreux problèmes techniques à résoudre. L’incertitude liée à la pandémie m’a donné le sentiment que les choses évoluaient à un rythme que le projet n’était pas en mesure de suivre. »

Lou Ye

Pour ce qui est de l’image, le réalisateur a simplement compris qu’il était temps de mettre fin au règne de l’image horizontale. Ainsi, il utilise beaucoup le format vertical du téléphone intelligent (puisque l’histoire est filmée par des personnes avec leur cellulaire). Mais plutôt que de planter un rectangle en plein centre de l’écran, il met plutôt deux images côte à côte pour illustrer les conversations. Par moment il s’agit de deux écrans de téléphones intelligents, parfois un cellulaire d’un côté et un écran d’ordinateur de l’autre. 

Comme l’expliquait Ye en entrevue, le cinéma doit progresser et créer un nouveau langage visuel qui reflète cette nouvelle réalité et remet en question le cinéma traditionnel. Dans son cas, c’est le désir de terminer un film qui n’était pas terminé il y a dix ans et qui a été totalement subverti par la pandémie, suivi par le système visuel et le concept du cinéma qui ont également été subvertis; qui a influencé le procédé du film.

Un peu plus…

Le réalisateur chinois s’est donc laissé influencer par la prévalence de la communication vidéo pendant la pandémie. Du coup, l’effet visuel de l’écran vertical combiné au sentiment de confinement de la quarantaine a été transmis comme un concept visuel. L’écran vertical et les écrans partagés ont pu faire partie de ce projet parce qu’ils ont vraiment fonctionné; ils sont devenus partie intégrante du langage visuel.

An unfinished film - Un peu plus

En plus du format d’image, il y a le choix de commencer le film en projetant une image visuellement traditionnelle pour ensuite évoluer vers un « anti-film ». Il est évident que l’isolement provoqué par la pandémie a modifié les conditions de vie et les environnements des personnes, ce qui a eu un impact sur l’image.

Je parlais plus haut de la notion de faire du cinéma différemment. Qi Xi, qui joue Sang Qi, venait d’avoir un bébé au moment du tournage et était à la maison pour s’occuper de l’enfant pendant qu’elle travaillait sur le film. Ainsi, cette réalité a été insérée dans le film et son personnage est à la maison, avec son bébé, tout en restant en contact de façon intense avec son mari qui est sur le plateau. Ce choix répond également à la réalité de l’époque actuelle : les médias sociaux sont devenus un substitut technologique à la communication interpersonnelle, et nous passons désormais la plupart de notre temps à interagir numériquement.

Je vais terminer en disant que dans le film, le réalisateur a choisi (surtout vers la fin) d’utiliser de vraies images documentant des moments clés de la pandémie en Chine qui ont circulé sur Internet à l’époque. Cela comprend des vidéos du confinement à Wuhan et des commémorations du lanceur d’alerte Li Wenliang.

An unfinished film est un voyage cinématographique qui explore les liens entre nous et les interfaces numériques qui enveloppent nos vies et la résilience que nous pouvons avoir lorsque la situation l’exige.

An unfinished film est présenté au TIFF les 5, 12, 13 et 15 septembre 2024.

Extrait  

Fiche technique

Titre original
An unfinished film
Durée
107 minutes
Année
2024
Pays
Singapour / Allemagne
Réalisateur
Lou Ye
Scénario
Lou Ye et Yingli Ma
Note
9 /10

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Fiche technique

Titre original
An unfinished film
Durée
107 minutes
Année
2024
Pays
Singapour / Allemagne
Réalisateur
Lou Ye
Scénario
Lou Ye et Yingli Ma
Note
9 /10

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