« — Vous connaissez un chef qui s’appelle Bocuse? — et vous, vous connaissez une reine qui s’appelle Elizabeth? »
Près d’un village situé à la frontière séparant le Québec des États-Unis, l’intransigeante douanière Sonia (Julie Le Breton) confisque le contenu de la voiture de Victor, un chef français en mal de reconnaissance installé à New York. Elle le regrette rapidement quand sa fille Lili-Beth décide de participer à un concours de Petits Chefs où elle semble avoir bien peu de chances de s’illustrer. Sonia décide de tout essayer pour obtenir l’aide du charmant, mais exaspérant Victor. Cette rencontre plus qu’improbable réunira tout un village pour passer au-delà des différents et aller goûter à l’essentiel.
Après 10 ans d’absence, Manon Briand revient avec Tous Toqués!. Cette comédie dramatique qui cuit partiellement ses personnages pour en sortir le goût du film. Un film à l’accent très familial et fédérateur qui dénote quelque peu avec la filmographie de la réalisatrice québécoise. En guise de tête d’affiche, on y retrouve Julie Le Breton et Édouard Baer accompagné par Élodie Fontaine.
La douane et la cuisine, c’est pareil : tout est dans le dosage!
Un film familial, c’est le sentiment qui prédomine à la fin du visionnement avec une forte odeur de terroir. Une structure narrative convenue, réglée comme du papier à musique avec des petites touches de subtilités qui sont les bienvenues. Le petit hic, le film a beau être très fédératif et facilement accessible, il laissera peut-être une certaine tranche du public (les jeunes 18-35) un peu sur le carreau.
Aux confins de la frontière canadienne, Victor se fait confisquer son matériel de cuisine et ses mets par Sonia l’agente aux frontières à la suite d’une fausse déclaration. Rien que la scène d’introduction donne le ton du film. À la fois sérieuse dans son propos et drôle dans son articulation, cette scène est l’élément déclencheur de la suite du film. Une suite qui, malgré quelques baisses de régime, garde un certain dynamisme, surtout grâce à des transitions bien trouvées et ultras fluides (masquant au passage un manque d’idée de certaines séquences). Tous Toqués!, ne veux pas perdre son spectateur, veut le garder en alerte et use des ressorts humoristiques, certes classiques, mais restent toujours aussi efficaces.
Une gastronomie comique ou une comédie gastronomique
Cette première incursion de Manon Briand dans la comédie s’avère être très prudente et tout en douceur. La réalisatrice de La turbulence des fluides y montre ses qualités de metteuse en scène via le duo de Victor et Sonia. Édouard Baer joue à merveille le looser magnifique, imbu de lui-même qui s’est perdu dans son obsession de la gagne… Au risque de perdre son entourage. De même, Julie Le Breton endosse bien le rôle de Sonia, agente frontalière tellement psychorigide que les villageois lui ont donné le doux surnom de « Bitch ».
Bien sûr, cette aventure comique s’apparente à une quête réflexive sur eux-mêmes et leurs rapports aux autres. De ce fait, les deux quêtes convergent vers le concours culinaire de Lili-Beth, la fille de Sonia. Autour de cette triangulaire, plusieurs sujets et thématiques sont évoqués, les rêves déchus, la pression de la performance, les limites de la loi, la confiance (en soi), les rapports familiaux, et même la représentation de la ruralité au Québec y passe. Un melting pot de sujets donc, traités de manière légère et douce.
Une légèreté de ton qui joue parfois contre le film. Lors de certaines séquences et surtout dans le deuxième tiers. La construction narrative ainsi que la mise en scène perdent un peu pied. En voulant être un film feel-good, la légèreté du ton cannibalise la profondeur du sérieux du film, ou alors elle est très rapidement évacuée comme un mcguffin tombé de nulle part. Cependant, la douceur du traitement à hauteur d’enfant, même si elle est parfois trop douce, est finement articulée pour être intelligible pour un enfant.
Malgré tout, le film ne s’éparpille pas vraiment et reste très cohérent dans ce qu’il présente même en termes de tempo et de dynamique interne.
Terroir, mon beau terroir
En outre, Manon Briand n’oublie pas les personnages secondaires qui sont à la fois attachants par leur candeur en donnant l’impression d’être « incultes », donne un cachet un peu quétaine au film, mais sans tomber dans le cliché bourrin.
En effet, l’un des sujets sérieux du film qui ressort est la question du « terroir », qu’est-ce qu’un plat du terroir? Comment évolue-t-il, comment dure-t-il dans le temps? Perd-on la notion du goût à force de manger des aliments industriels (j’avoue que la réponse est oui, mais la justifier est un peu plus complexe). La gastronomie fait, bien entendu, partie intégrante de l’identité d’une ville et la traiter par le prisme de la région se révèle être une bonne mécanique pour soulever des questions en rapport avec la région.
Manon Briand, en quelque sorte, signe son amour pour les petites villes. Elle qui a grandi à Baie-Comeau. Elle qui, manifestement, critique les conditions parfois difficiles de ces villes.
On cuisine un plat comme on cuisine une personne
Le film présente bien autant de qualités que de défauts, mais fait quand même appel à l’intelligence du spectateur. Tout le monde n’est pas la cible pour ce genre de proposition, c’est un film TRÈS familial et regroupe tous les ingrédients pour amuser toute une famille cherchant une activité à faire et donnera aux petites têtes le goût de la cuisine… Ou du cinéma.
