Aurora (Joana Santos), Portugaise, travaille dans un entrepôt de type Amazon en Écosse où elle prépare les commandes en collectant des objets conditionnés à travers des allées d’étagères. Immigrante économique, elle navigue dans la solitude et l’aliénation d’une vie de petits boulots pilotée par des algorithmes.
Pour son premier long métrage, la Portugaise Laura Carreira frappe fort et puise son inspiration du réel, elle-même expatriée vivant en Écosse. Les effets pervers des migrations économiques précarisant les travailleuses et travailleurs, que rappelait récemment le documentaire Limits of Europe de Apolena Rychlíková (Hot Docs 2024), ne touchent pas seulement les pays les moins avancés (PMA) mais de plein fouet l’Europe. Les heureux patrons, certains peu scrupuleux, jouissent de leur pouvoir et connaissance du droit du travail, ainsi que de la fragilité de leurs employés pour mieux exploiter les immigrants économiques venant des quatre coins du monde.
Reposant sur une interprétation magistrale de Joana Santos – véritable révélation du film –, Laura Carreira filme le monde monotone d’Aurora qui tourne en boucle : trajet aux aurores avec sa collègue portugaise, déambulations continues dans les allées de l’entrepôt aux sons des bips-bips des code-barres, repas avec des discussions banales au réfectoire, souper dans la cuisine qu’elle partage avec des colocataires internationaux au bruit monotone et cyclique de la machine à laver. Dans cette vie transpercée par la solitude, le seul péché mignon d’Aurora, ce sont les sucreries et pâtisseries, et les barres de chocolat qu’elle dérobe incognito dans la cuisine dans le placard de ses colocataires.
On Falling est empreint d’un réalisme social, presque documentarisant, cependant il parvient à entretenir une tension dramatique soutenue, empathique, qui naît du côté introverti d’Aurora qui joue sur les apparences avec le monde extérieur en gardant le sourire, mais souffre en silence. Durant son temps libre, son téléphone intelligent reste son meilleur ami, elle qui tente avec peu de succès de se connecter avec d’autres expatriés alors qu’elle est totalement déconnectée de sa famille au pays et des locaux.
Sans le défaut d’être misérabiliste, le film nous fait voir au contraire le « caché » de notre société consumériste, les petites mains qui travaillent dans l’ombre et qui aident à notre confort au quotidien. Qu’importe, les coups de marketing de multinationales comme Amazon se vantent des millions de colis envoyés chaque jour et font oublier que des êtres humains précaires comme Aurora sont chronométrés par les managers, entendent un bip répétitif dès lors qu’ils sont trop statiques au travail ou se suicident comme un des ses collègues.
La caméra est accrochée à Joana Santos sans que l’on suffoque, la distance de la réalisatrice est d’une justesse exemplaire pour toucher le réel et les conditions de vie de son héroïne. Cette mise en scène sensible lui permet également d’entrer en connexion avec d’autres « petites gens » et leur détresse secrète au fil de ses interactions (la jeune employée maquilleuse qui s’est scarifiée le poignet) ou de la découverte du contenu de la préparation de ses commandes (une corde pour se suicider?).
Vers la fin du film, quand on a enfin l’occasion d’en apprendre plus sur Aurora lors d’un entretien d’embauche, elle chute, incapable de se présenter, de dire qui elle est, de raconter son histoire, pour elle, d’une banalité et honte effroyables. Pourtant, nous avons cruellement envie de l’entendre son histoire. En évitant le piège d’un happy end et contredisant totalement l’expression « Il faut toucher le fond pour se relever », On Falling touche par son humanité et sa solidarité, matérialisées par la scène finale avec les travailleurs expatriés qui rappelle qu’elle n’est pas seule en détresse.
On Falling est présenté au TIFF les 6, 7 et 11 septembre 2024
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