« Tuer, ça a un impact irrémédiable sur tout le reste de ta vie. »
Nina, une jeune femme au caractère imprévisible, est recueillie par une bande de chasseurs dans un chalet éloigné. Au sein de cette microsociété masculine cinglante et attachante, elle sent qu’elle fait enfin partie d’une meute. Cet équilibre fragile est bousculé lorsqu’un mystérieux étranger se joint à son tour au groupe.
Aussi onirique qu’énigmatique, aussi nébuleux dans sa construction que clair dans ses intentions, Jour de chasse puise ses ressources cinématographiques en mêlant le thriller, le drame et la comédie, le tout dans une aventure nichée dans un chalet où seuls les amateurs de chasse peuvent se projeter. Annick Blanc offre une sorte de spectacle à la fois onirique et captivant où les plans larges de la forêt contrastent avec les plans serrés étouffant les personnages dans leurs bromances si fraternelles, mais tellement toxiques.
Annick Blanc offre, dans son œuvre, un spectacle détonnant. Le groupe d’hommes filmé est mis en scène dans une sorte de documentaire animalier, qui étudie ces mâles décrits comme une meute à la fois sauvage et cruelle, mais paradoxalement chaleureuse et bienveillante. En adoubant Nina (Nahéma Ricci), le groupe guidé par Bernard (Bruno Marcil) accueille en son sein une louve qu’ils transformeront très vite en loup à coups de rites initiatiques. L’effet du groupe embarque rapidement la protagoniste dans leur sillage boueux. Cet aspect de groupe est l’un des premiers points qu’aborde le film; rarement les personnages sont filmés isolés ou bien à l’écart des autres. La majeure partie des scènes sont filmées comme des moments de grâce, tout en ralenti, surplombées par de la musique qui fige le moment dans la rétine. Il ne s’agit pas d’expliquer l’amitié, il s’agit de l’observer dans son état naturel. L’intangible n’est pas palpable, il est émotionnel. Ces moments de bonheur enfantins avec les copains, où les choses et les challenges les plus débiles deviennent des défis de vie ou de mort.
Une meute reste une meute « à la vie, à la mort » comme le souligne Bernard. Certes, l’être humain est un être intrinsèquement sociable, mais la réalisatrice, à travers une mise en scène intelligente, débusque les traits de personnalité de chacun dans cet amas de masculinité aussi toxique qu’Andrew Tate. Si le groupe influence la personne, comment la personne influence-t-elle le groupe?
C’est bien l’une des premières thématiques explorées par le film. Nina a-t-elle perdu ses traits de caractère en rejoignant la meute? À quel point a-t-elle changé? Doit-elle obligatoirement acquiescer aux décisions de la meute aux dépens de ses principes (aussi douteux soient-ils)? Annick Blanc se retient bien de trancher et laisse sa caméra observer l’évolution naturelle des choses. Les plans sur les regards se multiplient comme les choix personnels piétinés par la logique de groupe.
Outre cette dimension introspective, la masculinité dégoulinante du film saute aux yeux. Loin des clichés habituels (même si les classiques sont bien présents), Annick Blanc essaie de décortiquer ses faiblesses. Pourquoi la masculinité est-elle devenue toxique? En quoi consiste sa toxicité? Et si cette masculinité exprimait ou voulait exprimer autre chose? Le mal-être des hommes? Leur rapport à l’amitié et au plaisir? Sans doute un peu et rien de tout cela.
En effet, la question est aussi vaste que le champ de chasse qui s’offre devant cette troupe. La bande est une sorte de microcosme que le cadre de la caméra et la verdure environnante ne cessent de mettre en lumière. Chaque personnage recèle en lui son rapport à la bande que les yeux féminins de Nina tentent de comprendre. C’est bien là l’une des spécificités du film : déconstruire les mythes via un regard extérieur. Via un regard féminin qui, entre deux verres d’alcool, s’immerge dans cette aventure où l’inconnu est garanti.
L’inconnu ou l’étranger dans cette œuvre n’est pas Nina, mais bien Doudos (Noubi Ndiaye). Un homme amené par Kévin (Frédéric Millaire-Zouvi). Pourquoi l’a-t-il amené? Pour se donner bonne conscience? De bon cœur? L’homme a ses raisons que le buddy de cet homme ignore. S’ensuivra une bascule dans le film, qui prend ses aises dans le thriller et met le groupe et chaque individu face à ses contradictions. Car oui, « il n’y a pas de bonne solution, il y a juste le moindre mal ». La réalisation devient plus cadencée, plus vaporeuse. Rêve et réalité se confondent entre deux bouffées de marijuana. Qui est l’étranger dans cette histoire? Qui est le sauvage?
Le film entraîne le spectateur dans sa perte de repères spatio-temporels et glisse tout doucement vers une épreuve psychologique où chaque personnage devient à la fois le chasseur et le gibier de ses propres démons.
L’un des gros points forts du film, c’est sa durée. Le film dans sa conception ne tergiverse pas, c’est un « droit au but » quelque peu confus par moments, mais rudement efficace pour extraire toute l’essence de cette histoire qui suffoque le mal-être et la toxicité masculine. Est-ce cela finalement la vision qu’a Annick Blanc des hommes? Des bêtes tellement perdues que la connerie s’est facilement transformée en un trait de caractère? C’est quoi être un homme de nos jours?
La corde raide sur laquelle tient la vision artistique du film, bien qu’elle soit très marquée, rompt à certains moments en offrant des moments de répit, qui certes font respirer le film, mais qui cassent le fait d’être emporté par ce tourbillon d’émotions et de détresse. Cela étant dit, ça ne gâche pas l’expérience cognitive désirée par la réalisatrice même si l’effet de surprise s’estompe par moments.
Jour de chasse est un film sensoriel, où l’histoire n’a pas réellement d’importance. On peut, d’un certain point de vue, résumer que chaque personnage est un trait de caractère de « l’homme ». En déconstruisant la figure masculine, Annick Blanc offre une plongée introspective où chaque personnage doit davantage chasser ses démons que le gibier.
Bande-annonce
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