« La situation vous a profité, on voit des milliers de tweets #VotezPapa »

Il est malheureusement assez rare de voir des longs-métrages haïtiens distribués au Québec. Pourtant, l’industrie audiovisuelle de la Perle des Antilles connait un développement intéressant depuis le début des années 2000, et ce, malgré les difficultés occasionnées par la tragédie du séisme de 2010. Ainsi, des cinéastes comme Richard Sénécal, Gessica Généus et Bruno Mourral – justement le réalisateur de Kidnapping Inc. – se sont démarqués dans les festivals ces vingt dernières années. Cependant, l’accès à leurs œuvres reste difficile. 

C’est pourquoi le public de Fantasia a eu beaucoup de chance d’avoir pu visionner l’excellente comédie policière de Mourral, après sa sortie en première mondiale à Sundance il y a quelques mois. Il faut dire que ce projet entretient un lien privilégié avec le Québec, puisque la société montréalaise Périphéria est un des partenaires de production du film et que Filmoption Internationale en est le distributeur. 

Un rythme haletant

Nous pouvons être fiers d’avoir soutenu ce petit bijou qu’est Kidnapping Inc., qui, grâce à son humour noir déjanté, sa distribution surdouée et son scénario joyeusement chaotique, est digne des meilleurs films de Quentin Tarantino ou de Guy Ritchie. Je confesse avoir ressenti un plaisir adolescent devant cette chevauchée sauvage débordante d’adrénaline qui ne laisse jamais le public s’ennuyer, même pas une seconde. L’ouverture du film rappelle Pulp Fiction (1994), alors que les logos de production défilent au son d’une chanson qui, ironiquement, rappelle que Dieu va punir tous les gens malfaisants. 

Comme le titre le laisse deviner, le long-métrage commence par un enlèvement. Deux escrocs de basse extraction, le mercurien Zoe et le taciturne Doc enlèvent le fils d’un candidat à la présidentielle dans le but de collecter une rançon de 300 000$. La musique du générique provenait en fait de la radio de leur voiture agonisante et s’arrête lorsqu’ils changent de poste. 

Bien entendu, dès la première scène, le plan des deux kidnappeurs ne tarde pas à partir en vrille et ils devront par tous les moyens essayer de satisfaire leur dangereux employeur. L’intrigue se déploie ainsi à force de quiproquos, de conversations délirantes et de plans mal réfléchis. 

L’efficacité narrative du film se trouve décuplée par la mise en scène de Mourral, avec ses scènes de poursuite en caméra épaule tournées dans les ruelles de Port-au-Prince, son montage ultra-saccadé, ses ralentis esthétiques qui évoquent l’univers du clip, ses images de drone, ses plans nerveux en Snorricam, ses éclairages léchés, ses couleurs vives, sa surenchère gore lors des échanges de coups de feu et… et j’en passe! Chaque scène est plus trépidante que la précédente. 

À travers tout cela, le public développe rapidement un attachement pour les deux protagonistes, lesquels multiplient les rencontres souvent accidentelles avec une série de personnages secondaires tous plus hauts en couleur les uns que les autres. Ces échanges permettent au spectateur occidental de découvrir toutes les couches de la société haïtiennes. 

Outre les deux interprètes principaux, Jasmuel Andri et Rolaphton Mercure, il faut saluer la performance de la réalisatrice Gessica Généus, qui est aussi actrice et fait une apparition dans le film.  Son personnage de jeune bourgeoise, enceinte et excédée, qui finit par prendre la situation en main reste un des plus marquants. 

Un message politique

Malgré son côté humoristique, Kidnapping Inc. dénonce tout de même avec sérieux les travers qui affligent la société haïtienne contemporaine. Le scénario s’assombrit beaucoup dans sa deuxième moitié, au point où je n’hésiterais pas à qualifier sa fin de tragicomique, alors que les protagonistes réalisent qu’ils sont au cœur d’une vaste machination politique.

Mourral aborde une multitude de thèmes comme l’insécurité, la corruption politique et judiciaire, le sentiment de stagnation qui touche une grande partie de la population, la méfiance qui existe entre les communautés noires et mulâtres, ainsi que de la déconnexion d’une partie des bourgeois face aux souffrances des plus démunis. 

À vrai dire, lors d’une séance de questions-réponses après la projection de Kidnapping Inc. à Fantasia, le réalisateur a révélé que la réalité a dépassé la fiction du film, puisque, durant le tournage des membres de l’équipe ont été enlevés et deux personnes qui ont travaillé sur le tournage ont même été tuées avant sa sortie. Le générique leur dédie une pensée. 

Chose certaine, c’est presque un miracle que Mourral ait pu présenter ce long-métrage qu’il a développé pendant plus de dix ans et dont le tournage – amorcé en 2019 – a subi plusieurs interruptions, causées notamment par des problèmes financiers, des confinements pandémiques et des troubles sociaux déclenchés par l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Mourral est l’archétype de l’artiste résilient qui continue à créer contre vents et marées. Ce fut un véritable plaisir de visionner son travail et de l’entendre parler, qui plus est dans le cadre d’un festival aussi chaleureux que Fantasia. 

Kidnapping Inc. a été présenté au Festival Fantasia le 4 août 2024.  

Bande-annonce