National Anthem - Une

National Anthem — Le chanteur, le cheval et le barbelé

« — You can stay as long as you want.
— Really?
— Yeah. You know, I actually only wandered in here one day and I never left. »

National Anthem Poster

Un jeune homme de 21 ans (Charlie Plummer) au Nouveau-Mexique se joint à une troupe de rodéo queer à la recherche de leur propre version du rêve américain.

45 ans déjà pour Sadia

Tandis que Starmania osait avec une insolite nouveauté de définir la culture contemporaine, Joe Dassin nous chantait comment les amours et les passions se transforment; que les jours finissent par se ressembler et que l’incroyable devient quotidien. En 2024, la culture queer n’en est plus à ses premiers balbutiements et c’est ce que démontre National Anthem, écrit par David Largman Murray avec Luke Gilford à la réalisation. Une première pour le réalisateur queer qui souhaitait rendre hommage à l’univers du rodéo qu’il adore, mais qui continue encore à être stigmatisé par le regard du patriarcat américain. 

Le film célèbre ce qu’est être queer dans tous ses aspects sans pour autant en faire une escapade dans le tabou, les différences et le classique tralala de la non-acceptation. Les personnages dans le film sont et se foutent bien de ce que l’on peut penser d’iels. L’histoire aurait autant pu mettre en scène un couple hétéro normatif cisgenré qu’un trouple non-binaire moderne et c’est précisément ce que cette oeuvre offre. Hétéro ou homo, cis ou trans, mono ou polyamoureux; ces mots ne sont jamais prononcés par aucun des personnages. L’aspect du ridicule est effleuré au début lorsque le protagoniste se retrouve dans une quincaillerie où se pavane l’équipe du rodéo, toutefois l’intention n’est pas de déblatérer sur ça. On parle avant tout de cette impression de bien-être lorsqu’on se trouve à la bonne place avec les bonnes personnes.

Un élan de fraîcheur dans le genre (cinématographique je veux dire) qui cesse d’avoir besoin de justifier son existence et se permet d’être, tout simplement. L’histoire tourne autour de Dylan, interprété par Charlie Plummer, soudainement attiré et intrigué par ces figures un peu étranges qui arborent de grands sourires et de la joie de vivre. Pareil à un petit nuage traversant lentement le ciel du Nevada, la trame narrative est vaporeuse et aérienne; pour moi, elle évoque l’esprit épris de passion pour qui la vie ne devient qu’une succession des moments où l’on voit l’objet de nos désirs. Pour Dylan, Sky, interprétée par Eve Lindley, est la plus haute limite et il ne peut s’empêcher de l’approcher et de monter avec elle pour une escapade qu’il n’oubliera jamais.

À demi-mot

Si l’identité de genre et l’orientation sexuelle restent dans le domaine du « non-dit », je ne m’attendais pas à ce que la quasi-totalité du dialogue veuille faire de même. Dorothy se retrouve dans les landes de Oz et moi je me suis retrouvée au pays des marmonneurs. Tout le monde à un ton grave et mâche les mots comme de la Hubabeluba ou whatever (tsé, la gomme à mâcher là). Je ne dis pas ça pour mal faire comme on dit, mais ça en devenait navrant à un point que j’ai dû enlever la basse et monter le son. Triste constat puisque le répertoire de chansons est majoritairement bon et incite à tendre un peu plus l’oreille qu’à l’habitude, mais hélas il faut constamment ajuster le son pour ne pas manquer l’expérience.

À un moment, le personnage principal discute avec sa mère qui lui dit le trouver ennuyeux et qu’elle à le droit de vouloir autrement pour elle, ce à quoi il répond avec sarcasme qu’il est surement ennuyeux parce qu’il n’a pas besoin de boire pour s’amuser. Mon cher, même si c’est vrai… il n’y a que des gens ennuyeux qui le disent à voix haute et spécialement si cela se veut être une riposte pointue. De toute façon, à quoi bon s’en vanter si même sobre on parle avec une patate dans la bouche? Ce ne sont évidemment que des vétilles, de l’enculage de mouches si j’oserais dire, avec lesquelles il n’y pas de quoi fouetter un cheval, mais ce genre de remarque me fait toujours sourciller puisqu’elles sont souvent faites avec tant de véhémence que cela trouble le lien entre le protagoniste et le public (en plus, on la voit dans 2 ou 3 scènes cette madame, pas plus). Les personnages bouc-émissaires restent des clichés qui ici ne sont pas en concomitance avec la qualité recherchée par le film au niveau de la profondeur. 

National Anthem - À demi-mots

Les dialogues ne sont pas abondants, alors il est difficile de dire que l’on ne pourrait pas comprendre ce qui se passe sans eux. En ça, le film réussit très bien à faire passer les personnages comme des personnes qui pourraient vraiment exister; des individus plausibles de qui on ne peut connaître l’intériorité profonde au premier abord. Une incitation à la découverte de l’autre et aussi de soi. Cette scène en particulier où les éclairages illuminent les visages, révélant sporadiquement chacune des multiples facettes qu’un individu peut avoir. Une mâchoire tantôt féminine puis masculine; le nez, les yeux, les joues et ainsi de suite autant chez elle que lui. Une belle démonstration de la fluidité des apparences.

Regarder entre les doigts

L’œuvre reste tout de même peut-être un peu provocante (tu l’sais tu fais exprès) par sa façon d’être cru dans ses démonstrations d’appréciation mutuelle. Bien sûr, il faut être ouvert d’esprit à la pluralité des mœurs et pratiques sexuelles, mais pour ce qui en est de la représentation à l’écran de ces marques affectives, elles finissent toujours par paraître davantage pornographiques plutôt que charnels ou érotiques ou même romantiques. Disons que j’avais un peu de difficulté à ressentir leurs sentiments réciproques lorsque Sky répète qu’elle est en couple ouvert.

Néanmoins, sans doute est-ce là que ce drame romantique se départage des autres plus conventionnels, alors que Dylan s’abandonne complètement à une passion qui ne peut se partager entièrement entre les deux parties. Les quelques mois qu’il traverse en compagnie de cette famille constituée et son entichement pour Sky rappelle les amours d’été; tout peut arriver, mais à la fin — car il y en aura une — la vie doit reprendre son cours emportant dans son torrent nos espoirs et ne laissant que la possibilité de rêver à cette vie parallèle où nous nous côtoyons encore.

Ce qui me plaît dans une œuvre c’est l’attention méticuleuse à vouloir couvrir le plus de points de vue sans pour autant prêcher pour sa paroisse (excepté dans les contes et les fables qui se veulent moralisatrices) de manière trop apparente. National Anthem accomplit sans mal à trouver sa propre identité au sein du genre cinématographique qu’est la romance tout en y amenant un arôme de Skittles (goûte l’arc-en-ciel!) qui saura sûrement rafraîchir le palais des amateurs des films à l’eau de rose. Malgré, la discographie presque impeccable j’aurais souhaité y entendre au moins un classique western ou country. Personnellement, mon choix s’arrête sur Je chante à cheval de Willie Lamothe, spécialement au moment où nos deux taureaux (euh tourtereaux) se ruent sur un veau (ou une vache naine?) pour le lancer au sol et lui attacher les pattes. Décidément, il n’y a rien comme un bon petit rodéo pour remettre les idées en place.

P.-S. Un petit clin d’oeil à Sadia de Starmania.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
National Anthem
Durée
96 minutes
Année
2023
Pays
États-Unis
Réalisateur
Luke Gilford
Scénario
David Largman Murray
Note
7.5 /10

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Fiche technique

Titre original
National Anthem
Durée
96 minutes
Année
2023
Pays
États-Unis
Réalisateur
Luke Gilford
Scénario
David Largman Murray
Note
7.5 /10

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