Thamela Mpumlwana as Kipkemboi with Elsie Abang and Abel Mutua

Kipkemboi — Appuyez sur F5

« I think you are a genius. Start acting like one. »
[Je crois que tu es un génie. Alors commence à agir ainsi.]

Kipkemboi - affiche

Kipkemboi (Thamela Mpumlwana), un surdoué des maths d’un petit village au Kenya, découvre une équation mathématique qui lui donne la possibilité d’exploiter la bourse à son avantage. Alors que la CIA est en route, Kipkemboi ne se doute pas que son coup de génie pourrait causer le débalancement de tout le marché.

Partout sur la Terre

S’il y a bien une chose qui nous unit tous, c’est ce besoin de sécurité; une nécessité que nous associons beaucoup avec le domaine financier. Les hivers canadiens peuvent être rudes et l’impérativité d’avoir une chaumière convenable pour survivre aux nuits glaciales ne relève pas du simple luxe. Parallèlement au Kenya, l’eau est beaucoup plus difficile d’accès et plusieurs régions sont encore en train de cultiver la terre à la pelle et au râteau; sans parler de l’omniprésence de la culture nord-américaine qui amène son lot de compétitivité et de désirs matériels.

Thamela Mpumlwana and Elsie Abang in Kipkemboi
Kipkemboi (Thamela Mpumlwana) et Chipchirchir (Elsie Abang)

Le Canada est probablement l’endroit sur terre où la culture américaine a le plus d’influence et les pays de l’Afrique là où elle a le plus d’incidence. Nous partageons certainement aussi un rêve commun; celui de figurer parmi les grands de notre monde moderne. Comme bien des gens, nous voyons le capital monétaire comme étant la façon la plus éprouvée et rapide pour se frayer un chemin « au sommet de l’échelle »; si échelle il y a bel et bien.

Je suis toutefois d’une autre école de pensée. Je crois fondamentalement que le bien-être et le sentiment de sécurité que nous cherchons n’a rien à voir avec l’argent, mais bien avec une forme de richesse moins tangible qui à mon avis est bien plus précieuse. Nous cherchons la confiance; ce sentiment qui nous permet de vivre ensemble sans avoir peur de manquer de quelque chose. Cette chose en particulier est probablement la reconnaissance qui témoigne de notre place dans le monde — non pas par soucie hiérarchique —, mais équité. La seule raison qui nous pousse à vouloir être les « meilleurs » est sans doute qu’il ne semble pas y avoir d’autre moyen pour échapper à ce sentiment dévalorisant et insécurisant qu’est celui d’être pauvre et mis à l’écart. 

Le diamant brut

Pour le mathémagicien qu’est Kipkemboi, interprété par Thamela Mpumlwana, ses préoccupations restent les mêmes que n’importe qui d’autre dans son village. Malgré son intellect qui le promeut à un grand avenir, cette voie est une option qu’il ne peut emprunter alors qu’on a besoin de lui pour entretenir la terre familiale; d’autant plus lorsque son père décède le sacrant comme le seul homme — voire la seule personne — au logis à pouvoir aider sa mère avec les récoltes. Son parcours en est un particulier — peut-être —, mais loin d’être unique et c’est justement grâce à cela que le public peut facilement s’identifier au personnage; nous avons tous une raison de ne pas déployer nos ailes.

Thamela Mpumlwana at the mud hut in Kipkemboi

Kipkemboi est bien plus qu’un VHS bon marché qui essaie de vous vendre le secret pour être riche; à moins qu’on considère que peser sur F5 soit une méthode pour faire de l’argent facile (dans le film, c’était semblable à des jeux de hasard, communément appelé « machines à sous » ). Le message reste classique sur ce point, les riches sont riches, les pauvres restent pauvres et il y a de fortes chances que ceux qui sont ou veulent être riche tentent d’empêcher que les pauvres le soient… riches. Cependant, ce n’est pas dans l’existence de ce système où réside le drame, mais plutôt dans les injustices et les inégalités que ce dernier perpétue. Nous aimons tous jouer à un jeu de temps en temps pourvu que les règles qui le régissent soient égalitaires entre tous les joueurs; mais là encore, la vie n’est pas un jeu (petit clin d’œil cynique et narquois).

Qui n’a jamais rêvé de faire des millions de dollars en ne faisant qu’appuyer sur un bouton? Au moins, ça donne une sensation assez incroyable de le voir gagner et perdre à la bourse, mais c’est un plaisir bref. À en croire cette œuvre réalisée par Charles Uwagbai et écrite par Joel Richardson, ce rêve est vécu par les plus riches actionnaires du marché boursier, et ce, partout sur la planète. La question qui turlupine l’esprit de Kipkemboi autant que celui du spectorat; « Pourquoi ne pas en abuser nous-mêmes? » J’étire cette réflexion sur un air des Fables de la Fontaine :

« Bien sûr, que cet argent qu’à moi seul je ne saurai garder, je le jure. J’entretiendrai la dure tâche — parmi mes plus et mes moins proches — d’également la dispenser. Qu’une chèvre ou une vache; ou bien deux; je donnerais sans compter; pour moi comme pour eux. Pourvu que je puisse me faire valoir de cette tour; y voir un peu mieux sur les alentours; une vue dont j’ai besoin pour moi-même tout autant que ces quelques brebis, ainsi que ce lac et ce blé aussi. Rien de trop je m’y assurerai, le plus modeste des châteaux fera l’affaire, car après tout, ce trésor; mon trésor; notre trésor ,dis-je, doit y être caché. Qu’on aille pas conclure que pour moi je voudrais le garder, mais ces murs il faut bien qu’on les érige. Et qui le fera, eux? Ils ont à peine une brouette pour transporter les pierres et de mon aide ils réclament bien plus que le contraire. Sans aucun doute, on me sommerait de protéger cet or qu’eux-mêmes ne sauraient quoi en faire. Ne suis-je pas plus que bon homme d’offrir ma providence? »

Hands Beyond America

De ma petite histoire nous voudrions sûrement une piètre fin pour notre pas si fin et bientôt richissime protagoniste (et c’est probablement ce que je lui aurais offert); ou du moins une chute qui amènerait une prise de conscience chez lui et possiblement son spectorat. Le film, Kipkemboi, — de même que cette fable — sous-entend cette conclusion moralisatrice impérative par son absence. Cela laisse adroitement à tout un chacun le choix de décider ce qu’iel soutient comme étant valeureux ou non de faire; l’œuvre ne laisse pas sans réflexion à porter sur le monde et sur soi-même.

Actors Thamela Mpumlwana and Elsie Abang in Kipkemboi

Le réalisateur de Kipkemboi dit avoir été immédiatement charmé par le scénario trouvant un souffle d’inspiration à travers l’idée que notre esprit est le plus grand outil que nous avons pour améliorer notre condition. Le film est réalisé conjointement entre le Canada et le Kenya, encourageant fortement à unir leurs talents pour de possibles futures productions; c’est à tout le moins ce que j’espère que le film inspirera chez ses spectateurs puisque l’entraide en est finalement la message de morale qu’il faille retenir dans tout ça (enfin, c’est ce que j’ai envie de voir de bon là-dedans). Nous sommes des pièces de LEGO, si je puis dire, et les LEGO c’est beau une fois qu’on les assemble; l’humanité avec toutes ses couleurs.

L’ironie finale viendrait de cette constatation à laquelle je m’arrête parfois; j’entends par-là de ces héros qui en veulent aux mieux nantis uniquement parce qu’iels aimeraient être dans le coup. À la manière d’un méchant dans les aventures d’Indiana Jones, on voit la vraie nature des gens une fois que le trésor est à portée de mains; changeant ainsi de camp pour aller du côté des gagnants. Rappelez-vous ce qui les différencie de Jones; ce qui les mène réellement à faire ce qu’iels font. Tous croient être bien plus brillants et davantage en contrôle. Toutefois, n’oublions pas ce qui advient de l’orgueilleux qui ne croyait qu’en lui lorsqu’il finit châtié et brisé par la roue; dans ce cas-ci, la roue du système en est une impardonnable.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Kipkemboi
Durée
90 minutes
Année
2023
Pays
Canada / Kenya
Réalisateur
Charles Uwagbai
Scénario
Joel Richardson
Note
7 /10

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Fiche technique

Titre original
Kipkemboi
Durée
90 minutes
Année
2023
Pays
Canada / Kenya
Réalisateur
Charles Uwagbai
Scénario
Joel Richardson
Note
7 /10

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