« Elle arrêterait de se battre si on n’était pas là pour elle et pour la ferme. »
Charlie (Morgan Saylor), 20 ans, étudiante, revient dans la ferme familiale en Virginie pour aider sa mère qui est souffrante. Elles ont une vision différente de la vie : Charlie étudie la finance, tandis que Laura (Andrea Riseborough) gère un élevage de poules. Après une longue absence, Solange (Catherine Deneuve), la mère de Laura, grand-mère de Charlie, débarque à la ferme. Elle est française, féministe et excentrique. Solange a quitté l’Amérique alors que sa fille était encore une enfant et elles ne se sont jamais beaucoup revues.
Au Fil des Saisons est une comédie dramatique franco-américaine réalisée par Hanna Ladoul et Marco La Via. Sorti en 2024, le film met en scène un trio de rousses : la fille, la mère et la grand-mère, respectivement interprétées par Morgan Saylor, Andrea Riseborough et Catherine Deneuve.
Trois éléments connexes rythment ce long-métrage : les quatre saisons, la maladie de Laura et l’évolution des relations mère-fille. L’un ne tiendrait pas debout sans les deux autres. Malgré la tristesse du sujet principal, c’est l’émotion positive des liens familiaux qui domine à l’écran, et non le pathos de la maladie. Nous allons voir comment le traitement de la maladie permet d’aborder la puissance de la relation mère-fille tout au long d’une année d’évolutions multiples.
Au sein de la diégèse, on se rend bien compte que la maladie de Laura est là pour déclencher ces retrouvailles insolites. Solange, une mère absente depuis sa plus tendre enfance, n’aurait pu réapparaître que pour quelque chose de grave, d’important. Fidèle à elle-même, elle a tout de même mis quatre mois à répondre à l’appel écrit de sa fille… Mais elle est là, après une trentaine d’années d’absence. Quant à Charlie, elle met en pause sa vie citadine d’étudiante en couple. Cela apparaît comme un réel sacrifice pour elle qui n’apprécie pas la campagne, mais elle répond à ses obligations familiales pour épauler sa mère dans cette période difficile.
Cette maladie, finalement, on n’en parle que très peu. On comprend qu’il s’agit d’un cancer, que Laura subit les effets d’une chimiothérapie lorsqu’elle revient de ses journées passées à l’hôpital. Mais le choix délibéré des réalisateurs de ne pas développer la question permet de laisser place aux conséquences de cette maladie : le retour de sa fille et de sa mère à la maison pour l’aider au quotidien. Et ce n’est pas rien : Charlie s’occupe de l’élevage de poules, elle devient aussi la cuisinière et l’infirmière de sa mère. Sa présence est indispensable. Lorsque Solange est présente, elle n’est pas de trop, il y a facilement du travail pour deux.
Au quotidien, la santé de Laura décline de saison en saison. À chaque chimio, elle revient de plus en plus faible, incapable de se nourrir ou de sortir de chez elle. Elle dort beaucoup et se repose, ce qui laisse aussi l’occasion à Solange et Charlotte de tisser des liens nouveaux. La lutte contre la grippe aviaire et l’abattage des poules aide ce duo à devenir complice.
On peut se permettre d’affirmer que si Laura n’était pas tombée malade, cette adolescente aurait continué à vivre sa vie sans connaître l’existence de sa grand-mère. Du point de vue de Laura, avant cette année de retrouvailles, elle ne semblait pas très proche de sa fille et elle détestait sa mère. Mais ce drame les réconcilie.
Ce bouleversement dans la vie de ces trois femmes leur permet non seulement de se retrouver, mais aussi d’apprendre à s’aimer. Au départ, aucune des relations n’est fluide. Ces trois femmes ne se comprennent pas. Charlie semble dégoûtée par les poules et par la campagne en général, elle n’est franchement pas ravie d’être là. Sa mère, en plus de cela, ne parvient pas à accepter ses choix en matière d’études et de mode de vie. Lorsque Solange arrive dans leur vie, c’est avec fracas qu’on l’accueille. Charlie a besoin d’un peu de temps pour encaisser la nouvelle, Laura l’encourage à repartir avec colère.
Tout compte fait, les relations conflictuelles tournent autour de Laura. Ce n’est pas lié à sa maladie puisque ces tensions semblent profondes et anciennes. Elle a du mal à comprendre sa fille et elle rejette sa mère qui l’a abandonnée quand elle était enfant. Solange et Charlie apprennent à se connaître et s’entendent très bien, assez rapidement. Mais c’est avec Laura que ça bloque. Pourtant, elles sont là. Pour l’aider à affronter son cancer, pour se rencontrer, pour régler leurs différends, pour se rapprocher et grandir ensemble. Les trois personnages féminins sont profondément humains, émouvants et attachants.
On part de loin entre Laura et Solange : les discussions ressemblent à de vraies fusillades, les critiques et les reproches fusent à toute vitesse. Entre Laura et sa fille, la relation débute sur de meilleures bases, on perçoit une jolie complicité malgré les incompréhensions (elle lui apporte des fleurs, elles rient ensemble…), comme si elles étaient reliées par le cœur, mais pas par l’esprit. L’évolution et les progrès de cette relation se font également ressentir, elles se lient davantage et apprennent à se comprendre. À un moment, Laura va même s’intéresser à un bouquin de cours de sa fille.
C’est un soir d’hiver que les trois femmes se rapprochent réellement. Cette séquence très touchante débute lorsque Laura va se coucher directement, après une journée épuisante de traitement. Quand elles l’entendent vomir et gémir de douleur, Solange et Charlie interrompent leur dîner pour la rejoindre. Dans un de ses pires moments, Laura trouve le réconfort indubitable d’une mère et d’une fille blotties contre elle, pour s’endormir paisiblement. Ce moment représente l’apogée de la tendresse mère-fille dans le film, suivi de près par la séquence de l’anniversaire de Solange. Malgré les embrassades, ce soir-là, on pressent la distance de Solange, prête à quitter les lieux. Mais cette fois-ci, elle ne les abandonne pas réellement. Le fil des saisons, dans ce film, marque à la fois l’évolution de la maladie et celle des relations familiales. Peu à peu, les échanges s’adoucissent, les liens se renforcent.
Au départ, ce ne sont que discorde et friction. Les conversations se noient dans les sarcasmes et les provocations. Pourtant, les relations mère-fille sont empreintes d’un mélange très réaliste de complicité et de conflit. Au fil des saisons, la balance penche du côté de l’amour et de l’empathie. Le spectateur perçoit parfaitement cette évolution, scène après scène. Chacune exprime d’abord ses blessures sans entendre celles de l’autre, mais peu à peu, elles parviennent à s’ouvrir et se remettre en question.
Solange et Charlie, en revanche, se sont bien entendues dès le début. Bien sûr, on sent le malaise de la première rencontre. S’ensuit une série de questions que Charlie pose à sa toute nouvelle grand-mère. Au départ, Solange ne souhaite pas répondre, mais elle se livre progressivement. Leur complicité semble innée, comme celle d’une petite-fille avec sa grand-mère, et se renforce aisément.
Entre Solange et Laura, les choses sont plus compliquées. Même après quelques séquences qui montrent que la situation s’arrange, des blessures profondes ressortent. Ce sont des années entières de rancœur accumulée qui est exprimée. Laura assène une réplique qui semble vraiment heurter Solange : « T’as même pas été capable d’élever ta propre fille.» Là, quelque chose se produit en Solange, qui se livre ensuite à sa petite-fille et ne tardera pas à planifier son départ. Ce départ, cette fois, sera l’occasion pour elle de se sacrifier pour les couvrir, en envoyant de faux aveux à la police. Catherine Deneuve laisse alors un vide à l’écran, comme dans l’histoire. On se demande si elle a encore abandonné sa fille. Puis la dernière séquence nous offre un retour subtil, à travers une carte postale (vide, mais bien présente). Cette femme a beaucoup progressé en quelques mois, elle qui se sentait incapable d’être mère, encore moins grand-mère.
Charlie, de son côté, mûrit sensiblement en une année. En retournant vivre avec sa mère, elle commence par reconsidérer ses priorités et débute sa remise en question personnelle. Physiquement et mentalement, on la voit grandir en faisant face à son nouveau quotidien. Plusieurs fois elle exprime « ne plus être une enfant », la première fois cela porte à sourire, mais sur la fin on la croit et on la comprend. À travers la maladie, mine de rien, les liens familiaux se renforcent et les tabous tombent. Les générations apprennent à se comprendre.
La notion d’évolution est centrale dans la mise en scène de ce film. Les lumières et les couleurs évoluent avec les saisons, nous faisant ressentir avec brio cette année qui s’écoule. La transformation physique de Laura, très progressive, nous montre la chute de sa santé. Elle maigrit, son visage se marque et se creuse, son expression est de plus en plus fatiguée. Le travail sur son apparence permet de voir l’évolution de sa santé et son moral, sans avoir à utiliser beaucoup de mots. Ainsi, l’action et le dialogue se concentrent sur autre chose : l’élevage de poules et le subterfuge pour les garder en vie malgré l’épidémie. Ce sujet permet d’ajouter une touche d’humour importante qui rend le film touchant et amusant. Au printemps, elle va mieux, puis elle reçoit la carte de sa mère. En quatre saisons, on assiste à une guérison à la fois physique et dans les relations familiales.
Avec Au Fil des Saisons, Marco La Via et Hanna Ladoul parviennent à nous faire rire et sourire sur un sujet sensible. Le film dévoile plusieurs fils directeurs, remarquablement tissés. La relation mère-fille est l’un des piliers du film, la maladie contribue à en révéler la profondeur et la complexité. L’émotion domine tout au long de ces 97 minutes, sans tomber dans le sensationnalisme et la tristesse. Une magnifique bande originale vient sublimer l’émotion du film, signée Juan Cortés.
Bande-annonce
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