« Il pleut des chiens morts. »
Après la sortie de Yannick l’année dernière, Quentin Dupieux ne montre aucun signe de ralentissement, produisant annuellement des films qui ne dépassent pas 70 minutes au compteur. Son (avant) dernier projet Daaaaaalí!, n’est rien de moins qu’un clin d’œil permanent et déjanté au surréalisme, où se mêlent hommage et parodie, à la limite du burlesque. À l’image des œuvres de Dalí, le film est une énigme enveloppée dans un mystère, puis drapée dans un puzzle indéchiffrable. Ce n’est pas simplement un film; c’est une expédition dans les méandres d’un esprit aussi excentrique que celui de Salvador Dalí lui-même.
Le scénario se déroule autour d’une journaliste française, incarnée par une Anaïs Demoustier convaincante dans son rôle d’éternelle aspirante à l’interview ultime. Elle court, sans jamais vraiment l’atteindre, après le fantôme d’un Dali plus insaisissable que jamais. Dupieux joue avec la structure narrative comme Dali jouait avec les horloges molles : avec une liberté déconcertante qui déstabilise autant qu’elle fascine. Après une incursion dans un cinéma plus introspectif avec Yannick, Dupieux revient à ses premières amours avec le surréalisme, cette fois-ci en s’attaquant à la figure même du mouvement.
La décision de représenter Salvador Dalí à travers cinq acteurs différents, notamment Edouard Baer, Gilles Lellouche, Jonathan Cohen, Pio Marmaï et Didier Flamand enrichit non seulement le récit, mais souligne également l’impossibilité de limiter un artiste aussi complexe à une unique image ou perspective. Chaque acteur qui se partage la moustache ajoute sa propre nuance à ce personnage, jouant avec une absurdité qui frôle le ridicule sans jamais y succomber, et créant ainsi un portrait morcelé de Dali qui défie toute compréhension globale.
Ce kaléidoscope d’interprétations se dévoile dans un cadre où les interactions parfois un peu choquantes, comme celle entre cette journaliste tenace et son producteur exagérément théâtral, joué par Romain Duris, mettent en lumière les extravagances et les prétentions du monde artistique. Ce microcosme, peuplé de figures allant du jardinier à la maquilleuse, enrichit la dynamique de cette farce contemporaine, dépeignant un univers où chaque personnage contribue à l’ensemble de l’œuvre.
Techniquement, Dupieux reste fidèle à lui-même : les scènes sont tournées avec une sobriété qui contraste avec l’exubérance du contenu. C’est dans cet équilibre précaire entre la mise en scène minimaliste et le chaos narratif que le film trouve son charme. Thomas Bangalter, avec sa bande originale, parvient à envelopper cette folie dans un manteau de mélodies qui accentuent l’étrangeté sans la résoudre.
Dupieux ne se contente pas de raconter une histoire; il crée une expérience cinématographique où la structure même du film, rappelant celle de Réalité, transforme la narration en un enchevêtrement de réalités imbriquées. Le rêve récurrent d’un prêtre offre un fil conducteur qui, tout en divertissant, instille subtilement une inquiétude.
Quentin Dupieux lui-même réfutait cette étiquette trop simpliste. En effet, le terme « surréalisme » évoque une période spécifique et un mouvement bien défini, celui de Dalí et ses contemporains. Mais ce que cherche à accomplir Daaaaaalí! va bien au-delà d’une simple catégorisation. Ce n’est pas une étiquette prédéfinie que l’on peut simplement appliquer. Dupieux le présente plutôt comme un jeu, une expérience audacieuse, une nouvelle façon de faire du cinéma. Le film est une exploration, un terrain d’expérimentation cinématographique où les règles traditionnelles sont non seulement défiées, mais réinventées.
Enfin, Daaaaaalí! est un film qui se moque ouvertement et affectueusement de son sujet. Dupieux ne cherche pas à nous livrer un Dalí authentique, mais plutôt à explorer ce qu’il représente : un mythe, une icône de l’absurde, un objet de fascination culturelle. C’est une exploration de ce que signifie être un artiste, de l’art en tant qu’illusion, de la vérité en tant que construction. C’est une ode à la folie créative, un labyrinthe de miroirs où chaque reflet est une invitation à repousser les limites de notre imagination. Dupieux, fidèle à lui-même, continue d’explorer ses thèmes de prédilection avec un humour noir et une légèreté qui cache une observation pénétrante de la nature humaine. Ce film n’est pas seulement à voir, il est à vivre, pour tous ceux qui cherchent à s’égarer un moment dans le dédale de l’absurde.
Si vous êtes en quête d’un film qui vous prend par la main pour vous expliquer poliment le monde, passez votre chemin. Daaaaaalí! est un non-biopic. C’est un labyrinthe sans sortie, une blague dont la chute, aussi étrange que cela puisse paraître, est que la chute elle-même a été peinte sur le mur d’un couloir qui ne mène nulle part. À voir, donc, pour le plaisir pur d’être perdu dans le surréel.
« J’ai gardé ça : l’idée que la plus belle œuvre d’art de Dalí, c’est sa personnalité. »
Quentin Dupieux
« — Quel est votre secret pour avoir du succès?
Salvador Dalí
— Offrir du bon miel à la bonne mouche, au bon moment, et au bon endroit. »
Bande-annonce
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