« J’aimerais que ça puisse avoir marqué. Je serais heureux. Qu’on se souvienne de ce que j’ai fait et que ça ait une certaine valeur. »
Graver l’homme : arrêt sur Pierre Hébert nous transporte dans le labyrinthe inspirant et poétique que forment la vie et l’œuvre du cinéaste d’animation Pierre Hébert.
L’Office Nationale du Film se spécialise comme on le sait bien dans la conservation de la culture, spécialement en ce qui a trait au cinéma et l’art multimédia. Si vous voulez en apprendre plus sur l’Office Nationale du Film et leurs installations, vous pouvez consulter le site de l’ONF qui regorge d’informations en tout genre; ainsi que cet article du Petit Septième dans lequel il est possible de m’accompagner alors que je visite le centre de préservation et de restauration de l’ONF.
La pellicule photographique est semblable à un canevas. Au début, il n’y a que le noir de jet duquel tout peut apparaitre. Pour que des images s’y affichent, il ne suffit que de laisser la lumière pénétrer le film au fur et à mesure qu’il défile comme avec un appareil photo automatique. Une à une, 24 images secondes sont soigneusement divisées en cadre bien distinct pour chaque seconde qui passe. Cette méthode peut sembler ardue aux yeux d’un néophyte, mais croyez-moi; c’est bien une des façons de faire les plus efficaces pour arriver à faire un métrage qu’il soit long, moyen ou court.
Cependant, il arrive que la créativité humaine amène à trouver d’autres approches. L’artiste visuel, Pierre Hébert, est l’un de ceux qui furent charmés par la gravure sur pellicule. Avec cette technique, on y voit que du noir jusqu’à ce qu’on y appose la pointe d’un outil et y gratte son imaginaire tel les divinités avec le firmament. Le documentaire à propos de cet homme unique intitulé Graver l’homme : Arrêt sur Pierre Hébert est sûrement une démonstration de l’intérêt de son réalisateur, Loïc Darses, sur ce processus de création; un engouement peut-être soudain qu’il eut envie de nous partager.
Pour Pierre Hébert, ses créations deviennent des formes de vies nouvelles et indescriptibles tout en étant familières. Cette sensation, je l’ai ressentie également en visionnant le film. Ce n’est pas simplement qu’une personne talentueuse, il s’avère être fort intéressant et pertinent autant dans ses propos que son travail. En ce qui me concerne, le noir et le blanc qu’on emploit pour chaque film d’archive de l’Office Nationale du Film peut finir par être lassant, mais cette fois j’y percevais une nécessicité d’y aller ainsi du point de vue de la direction photographique. Le film n’est pas absout de toutes couleurs et c’est bien là où le visionnement prend une dimension spectaculaire.
Avoir la possibilité de laisser une trace de son passage en est une précieuse. Cependant, comment s’assurer que le tableau dressé renvoie une image de valeur égale vis-à-vis du soi original? Le portrait d’une vie se dessine en superposant différents moments pour n’en former qu’un seul. De notre naissance jusqu’à notre mort, – tout en passant par chaque moment vécu – est empreint d’une unicité que nous appelons une existence. Il faut savoir encapsuler l’entièreté d’un être par bribe, par morceaux comme les pièces d’un casse-tête; car il est clair qu’un seul ne peut suffire à l’ensemble pour le définir. Le tout, dit-on, est plus grand que la somme de ses parties.
En combinant plusieurs images pour n’en former qu’une, monsieur Hébert produit un effet similaire, voire identique. L’arrêt sur l’image ne permet pas de voir la totalité de ce que l’on perçoit, mais seulement une des parties qui composent l’ensemble. De la même manière que l’on porte une oreille attentive lors d’une conversation pour en saisir le sens; il est nécessaire de faire défiler la bande film à l’écran pour que son spectorat puisse pleinement jouir de l’œuvre. Ce qui revient aussi au propre de l’animation, dans le sens où l’aspect fixe n’a pas autant d’importance que le mouvement.
Le documentaire est efficace tant dans l’introduction de l’homme, Pierre Hébert, que du procédé de gravure sur pellicule en le comparant à la gravure sur pierre et l’humain de la préhistoire en remontant la ligne du temps jusqu’aux technologies utilisées de nos jours. Je dis cela; non pas parce que l’artiste en question est rendu à un âge plus vénérable ni parce que son art peut sembler rudimentaire ou archaïque, mais bien parce que ce qu’il fait est au cœur de ce que la création apporte à son créateur et à celles et ceux qui l’expérimenteront ensuite. Les deux narratives sont intimement liées, si bien que je me demandais si l’on documentait la vie de Pierre Hébert pour parler de gravure, ou l’inverse.
J’étais sensible à ces mots portant une signification si précieuse à l’artiste; des mots que vous aurez envie (je l’espère) d’entendre par vous-même. Une fois le film de Loïc Darses terminé, j’eus l’impression que les dernières paroles prononcées tombaient encore autour de moi comme de la poussière dans le faisceau d’un projecteur de cinéma. Après tout ce grattage, il serait normal qu’on retrouve des grenailles d’halogénure d’argent un peu partout rappelant ces morceaux d’effaces lorsqu’on écrit à la main (oui, oui, je l’expérimente encore).
L’art est à l’artiste et son interlocuteur, ce que l’amour est à un couple; l’important n’est pas tant les entités plus que le lien qui les unit. En ce sens, l’œuvre de Pierre Hébert se contemple comme une prose passionnée, sensible et désireuse de créer un lien entre l’artisan et sa tâche à accomplir ce que l’on pourrait appeler « l’amour de son travail ». Comme il le dit si bien : « que dire quand on voudrait qu’il ne suffise que de voir et d’entendre? » C’est pourquoi je vous le recommande chaudement, histoire de le vivre à votre tour.
J’écris ces lignes et je me demande ce que je laisserai au monde lorsque je n’y serai plus. La question est loin d’en être une qui ne soit que personnelle. Je m’interroge sur ce que j’accomplis tous les jours afin d’apposer une marque dans l’histoire de l’humanité qui ne soit pas vide de sens; quel est le but de notre passage ici bas s’il n’aide pas ceux qui nous suivrons? L’accomplissement est davantage dans l’essai que dans l’attente. Finalement, Ed Wood fut immortalisé non pas pour sa réussite, mais sa persistance. Au pire, on devient un exemple dans le sens de la Via Negativa (que je définirai une autre fois). Alors, que faisons-nous de notre quotidien qui va au-delà du YOLO? En tout cas, la plupart d’entre nous, je crois du moins, essayent. Je compte sur vous aussi, cher lectorat, et je vous dis : À la prochaine fois!
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième