« I was thinking for a while, but now you are publishing a book so I really want to tell you that I was so ashamed that we are the same gender. Do you think you had done nothing wrong? »
[J’y ai réfléchi un moment, mais maintenant vous publiez un livre donc j’ai vraiment envie de vous dire que j’avais tellement honte que nous soyons du même sexe. Pensez-vous que vous n’avez rien fait de mal?]
La journaliste Shiori Ito se lance dans une enquête courageuse sur sa propre agression sexuelle dans une tentative improbable de poursuivre en justice son agresseur de haut rang. Sa quête devient une affaire historique au Japon, révélant les systèmes judiciaires et sociétaux obsolètes du pays.
Avec Black Box Diaries, Shiori Ito raconte, images et enregistrements à l’appui, sa longue lutte pour faire condamner son agresseur. Cette longue bataille sera devenue le combat de toute une nation.
Lorsque le tournage de ce film a débuté, les lois japonaises sur le viol étaient restées les mêmes depuis 110 ans, avec une peine minimale plus courte pour le viol que pour le vol. Selon les statistiques, le viol n’existait pratiquement pas et, culturellement et structurellement, la violence sexuelle n’était pas considérée comme un problème sérieux. Le viol n’était prouvable que par des violences physiques graves ou des menaces, et non par un manque de consentement. Le tabou et les complications liés au traitement de ce sujet existaient à tous les niveaux de la société et, par conséquent, la plupart des victimes portaient rarement des allégations d’agression sexuelle contre leurs agresseurs. Comme l’explique un homme qui travaille auprès des victimes, la peur de devoir revivre l’événement et la stigmatisation font que seulement 4 % (certaines études parlent même d’un chiffre aussi bas que 1 %) des survivantes d’une agression sexuelle signalent le crime. Le tabou est profond. Le film n’en montre que quelques exemples, mais l’une d’elles est frappante alors que SHiori Ito traduit un courriel qu’elle a reçu après avoir dénoncé publiquement son agresseur :
« I was thinking for a while, but now you are publishing a book so I really want to tell you that I was so ashamed that we are the same gender. Do you think you had done nothing wrong? I have been raised very strictly that I can avoid these things. Even though whatever you are saying is the truth, I feel so bad for the man you are accusing. Shame on you. »
Shiori Ito
[J’y ai réfléchi un moment, mais maintenant vous publiez un livre donc j’ai vraiment envie de vous dire que j’avais tellement honte que nous soyons du même sexe. Pensez-vous que vous n’avez rien fait de mal ? J’ai été élevé de manière très stricte pour éviter ces choses. Même si tout ce que vous dites est la vérité, je me sens tellement mal pour l’homme que vous accusez. Honte à vous.]
Les chances qu’une femme policière soit affectée à l’affaire étaient aussi très rares : moins de 8 % des forces de police japonaises sont des femmes. Lorsqu’elles se présentaient à la police, les victimes devaient souvent reconstituer leur incident avec des poupées grandeur nature. Tokyo ne disposait que d’un seul centre d’aide aux victimes de viol pour une ville de 14 millions d’habitants – une seule ligne téléphonique où deux personnes partageaient la charge de travail. C’est à cette société que Shiori Ito a été confrontée lorsqu’elle a décidé de dénoncer un viol, et Black box diaries est l’histoire d’un changement durement gagné, même s’il n’est pas encore suffisant.
Lorsqu’en mai 2017, Shiori Ito, une aspirante journaliste de 28 ans, rend publique qu’elle a été violée par le journaliste et biographe du Premier ministre Shinzo Abe, elle estime qu’elle n’a pas d’autre choix pour faire modifier les lois désuètes du Japon sur les agressions sexuelles. Sa conférence de presse choque l’opinion. En quelques jours, Shiori est propulsée au centre de la politique japonaise – la droite la considère comme une menace pour faire tomber le gouvernement Abe et la gauche la salue comme une héroïne pour la même raison. Les menaces de mort, la cyberintimidation et les courriels haineux entraînent Shiori dans une spirale descendante.
La première partie du documentaire d’enquête pour sur cette partie de sa lutte. La conférence de presse qui lance le film est quasi surréelle et met en place le contexte dans lequel le reste du documentaire se déroulera. Bien qu’au début la jeune femme semble s’amuser des commentaires dégradants et haineux qui suivent son coup d’éclat, rapidement la peine et le doute prendront de plus en plus de place. Le spectateur suivra donc non seulement l’enquête, mais aussi l’état mental de la journaliste.
Lorsqu’elle se porte partie civile, l’accusé lui lance une guerre totale. Déterminée à ne pas donner le mauvais exemple aux autres victimes, Shiori fait avancer son dossier et décide de publier un livre sur son expérience.
Réalisé par elle-même, avec du matériel très personnel, Black box diaries capture le voyage tumultueux et déchirant de Shiori, allant derrière les gros titres pour révéler ce que cela a été de marcher dans ses pas. Le documentaire révèle l’impact personnel du réseau politique, médiatique et technologique d’une société sur l’humanité de ses individus. À la fois victime et journaliste enquêtant sur son propre cas, le documentaire montre que ce que Shiori a fait n’était pas seulement de créer un changement social, mais, en fin de compte, de se maintenir en vie.
Shiori explique ceci à propos de son combat :
« In Japan, where speaking of rape remains taboo, only 4% of victims report their cases to police. Victims and those around them may be stigmatized and even ostracized from society. My family was against my actions. The police investigator, who had prepared to arrest Yamaguchi at Narita Airport upon returning from the US before receiving a last-minute call “from above,” warned that I was ruining a journalism career just beginning. »
Shiori Ito
[Au Japon, où parler de viol reste tabou, seules 4 % des victimes signalent leur cas à la police. Les victimes et leur entourage peuvent être stigmatisés, voire mis au ban de la société. Ma famille était contre mes actions. L’enquêteur de la police, qui s’était préparé à arrêter Yamaguchi à l’aéroport de Narita à son retour des États-Unis avant de recevoir un appel de dernière minute « venant d’en haut », m’a prévenu que j’étais en train de ruiner une carrière de journaliste qui commençait à peine.]
On pourrait reprocher à la réalisatrice de mettre un peu trop de séquences où elle pleure afin de créer du sensationnalisme. Il y a aussi les images qui sont parfois mal composées. Mais comme il s’agit d’un film d’enquête, on peut facilement pardonner ce deuxième point.
Le sujet est choquant. D’ailleurs, le film commence par une mise en garde à ce sujet. Et bien honnêtement, ce long métrage m’a mis en colère. Et bien qu’il soit tendant de juger le Japon en matière de justice, il n’y a pas si longtemps nous avions des problèmes similaires et une grande difficulté à amener les agresseurs devant la justice. Aux États-Unis, les lois protégeant les victimes régressent lentement.
Gardons en tête que nous ne sommes jamais complètement à l’abri de ce genre de situations.
Le documentaire dresse un portrait sur 8 ans. C’est le temps que ça aura pris pour que le combat de Shiori connaisse son dénouement. La réalisatrice se permet un petit retour en arrière, à un moment, pour bien expliquer d’où part son combat. Parce que lorsqu’on commence l’enquête en 2017, ça fait déjà 2 ans que l’affaire a été classée par la police.
Je disais aussi, un peu plus haut, qu’il y avait un peu trop de moments de pleurs dans ce documentaire. Mais par moment, ces scènes ont une grande importance afin de montrer par quoi passe la jeune femme. Pour parvenir à faire changer les choses, elle a poussé son corps – et sa santé mentale – à la limite. Elle a revisité l’hôtel où le viol s’est produit, pourchassé son agresseur, subit les foudres de la Japonaise moyenne et affronté les pouvoirs en place. On suit Ito jusqu’au bris. Puis à sa renaissance, en quelque sorte.
Le résultat est un film marquant et nécessaire. Shiori Ito est devenu un symbole. Maintenant, ne reste plus qu’à espérer que ce symbole ne sera pas détruit et que la société japonaise continuera d’évoluer dans la bonne direction.
Black Box Diaries est présenté aux Hot docs les 29 avril et 3 mai 2024.
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