Le plus grand festival dédié au genre documentaire en Amérique du Nord, Hot Docs, revient à pour sa 31e édition du 25 avril au 5 mai à Toronto.
Conséquence de la crise financière que traverse le festival, il y aura moins de films que l’année dernière : une trentaine de moins. Mais il y en aura néanmoins assez pour s’en mettre sous la dent avec 168 films venant de 64 pays, incluant 83 premières internationales et mondiales.
Money money money
Pour celles et ceux qui n’ont pas lu les dernières actualités, disons-le sommairement : Hot Docs ne se porte pas très bien. Sa présidente Marie Nelson alertait les médias le mois dernier sur la situation financière préoccupante de l’organisme qui ne s’est jamais vraiment remis de la pandémie de COVID-19. Elle avait entrainé alors des pertes de recettes gigantesques avec la fermeture du cinéma qu’il exploite durant l’année sur la rue Bloor et l’organisation en mode virtuel de son festival. Nelson avance que les subventions des bailleurs de fonds doivent augmenter afin de pérenniser le festival avec une programmation ambitieuse de plus de 200 films, son marché et sa multitude de conférences pour l’industrie.
Marie Nelson
Faut-il sauver Hot Docs? Est-ce la fin annoncée du festival? Je n’y crois pas vraiment, mais c’est une bonne stratégie de mettre les projecteurs sur le festival en impliquant les médias francophones comme anglophones et faire ainsi pression sur les financeurs. Il faut rappeler que la situation de Hot Docs n’est pas unique au Canada ou dans le monde. Le festival de Clermont-Ferrand en France, plus grand festival dédié au court-métrage sur le globe a subi des baisses de financement public en 2024 ayant contraint la direction a diminué sa programmation lors de son édition en février. Ou encore, ImagineNative Film + Media Arts Festival, le plus grand festival de films et d’arts médiatiques autochtones au monde qui se tient à Toronto, a annulé son édition prévue en juin 2024 pour la reporter en 2025. Les temps sont durs pour les artistes et également pour les festivals, première rampe de lancement des œuvres, mais tout se passe pour le mieux pour les mastodontes comme Netflix qui n’en finissent pas d’accumuler des abonnés et des recettes.
Les finances publiques limitées dans le secteur culturel conduisent à des dilemmes cornéliens du côté des décideurs qui peuvent déshabiller un organisme pour en rhabiller un autre. Reste pour ces organismes en manque éternel de financement les jeux de pouvoir et les cercles d’influence qui amènent à des manœuvres pour tirer la couverture vers eux, avec plus ou moins de succès. La question du rendement de plus en plus martelée par les décideurs dans le secteur de la diffusion et plus généralement de l’action culturelle favorisera toujours les plus forts et découragera les plus faibles qui se battent pour quelques dollars afin de continuer à faire vivre leur passion de transmettre aux publics des œuvres orphelines en quête de spectateurs.
Dans cette histoire tristement récurrente de manque de moyens, ce sont toujours les créateurs et créatrices, et toute la chaîne de production et de distribution qui payent les pots cassés. Les festivals auront toujours besoin d’être transfusés par des fonds publics, c’est dans l’ADN de leur modèle économique de n’être jamais rentables.
Des salles de cinéma indépendantes et des festivals qui baissent le rideau, ce n’est jamais de bon augure pour l’expression des diversités culturelles. C’est laisser encore plus de place aux plateformes américaines, qui, pilotées par des algorithmes d’intelligence artificielle voire des programmateurs humanoïdes, massacrent encore un peu plus la découverte, la curiosité et le cinéma indépendant.
Vague de départs
Quand bien même Hot Docs est en difficulté financière, il se tient bien cette année, et il sera encore là vraisemblablement l’année prochaine. En revanche, il se trouvera vidé de son équipe de programmation qui a claqué en grande pompe la porte du festival, juste avant le dévoilement de la programmation le 26 mars dernier. 10 programmateurs – Samah Ali, Vivian Belik, Jesse Cumming, Angie Driscoll, Margaret Pereira, Gabor Pertic, Kaitlynn Tomaselli, Myrocia Watamaniuk, Mariam Zaidi et Yiqian Zhang – ont annoncé en effet leur départ sur les médias sociaux le 24 mars. Parmi l’équipe de programmation, des membres étaient là depuis plus de 20 ans, comme Myrocia Watamaniuk, programmatrice internationale senior longs métrages et Angie Driscoll, programmatrice internationale senior, longs métrages et courts métrages.
« J’ai fait le choix déchirant de quitter le Hot Docs Festival 2024. Je le fais avec 9 de mes collègues, listés ci-dessous. Je continuerai à me battre pour les films et les cinéastes – ils sont le fondement de tous les festivals de cinéma et la raison pour laquelle je fais ce travail. »
Déclaration commune des 10 programmateurs qui ont démissionné
Au lendemain de cette débandade, le festival annonce le départ du directeur artistique Hussain Currimbhoy pour « raisons personnelles » depuis le 20 mars. On apprendra plus tard dans la presse qu’il fait face à de multiples allégations de « grave mauvaise gestion » et de promotion d’un « environnement de travail toxique » qui auraient finalement conduit à la démission massive des 10 employés. Bref, la direction de Hot Docs doit probablement maintenant essuyer les plâtres, faire le bilan et se relever afin de retrouver son âme de programmateurs qui a fait la renommée du festival et prouver également aux bailleurs de fonds que le festival n’est pas au creux de la vague.
Effet conjoncturel ou non, j’ai trouvé cette année la programmation moins ambitieuse et incarnée que les éditions précédentes. Surtout, la section Canadian Spectrum Competition semble moins fournie qu’habituellement et, dans cette section, nombreux sont les films sélectionnés qui partagent la même question de la mémoire familiale et le recours aux archives. J’ai quelques réserves sur le fait que ce corpus de 13 longs métrages représente bien la création documentaire actuelle au Canada. Peut-être plus curieux encore, c’est la quasi-absence de la guerre en Ukraine parmi les choix de programmation (à part Porcelain War). L’année dernière, le programme annuel Made in laissait la place à l’Ukraine avec un choix de films extraordinaires de la programmatrice Myrocia Watamaniuk, aujourd’hui partie.
Cela étant dit, il y a beaucoup de films prometteurs parmi les 168 titres. Dans mon prochain article, je partagerai les 15 films qui ont attiré mon attention. À suivre.
