« We all look for scapegoats when the world goes to shit, don’t we.
But we never look up. We always look down. We accuse the poor bastards below.
It’s always their fault. »
[On cherche tous des boucs émissaires quand ça chie.
On regarde jamais en haut. Toujours en bas. On accuse les plus pauvres que nous.
C’est toujours leur faute.]
Tommy Joe « TJ » Ballantyne, propriétaire d’un petit pub dans une ancienne communauté minière du comté de Dunham, se bat pour conserver son bar, seul endroit restant où les habitants puissent se rassembler en paix. Pendant ce temps, les tensions montent alors que des réfugiés syriens s’installent dans les maisons vacantes de la ville, dont une jeune fille, Yara, qui se lie d’amitié avec TJ.
Avec The Old Oak, Ken Loach, qui fête bientôt son 88e (!) anniversaire, nous rappelle la nécessité et le pouvoir du cinéma d’intervention social avec un sujet malheureusement toujours d’actualité.
Ce n’est qu’au moment d’écrire ces lignes que j’ai appris que The Old Oak serait le dernier film du légendaire réalisateur. Difficile de ne pas sentir une sorte de deuil pour cette icône précurseure du mouvement du réalisme social (ou en anglais kitchen sink realism, un terme que j’affectionne particulièrement), mouvement au sein duquel il était surnommé the angry old man (le vieil homme fâché). Bien qu’il puisse paraître un peu comique, ce surnom va très bien à un réalisateur s’étant battu pendant des décennies pour le droit des personnes marginalisées, des travailleurs, des gens vivant dans la pauvreté, du « petit peuple », pour ainsi dire.
En dépit de ce pseudo-deuil, il est tout aussi difficile de lui en vouloir de se retirer du cinéma alors que le réalisateur souffle bientôt ses 88 bougies. Malgré son âge (ce que j’avance en toute connaissance de cause que cela n’enlève souvent rien à un.e artiste), Loach ne perd rien de la colère féroce l’ayant fait connaître (et censurer à maintes reprises), et il signe ici un chant du cygne satisfaisant, bien qu’un peu sentimental.
Bien que le film se déroule en 2016 afin de contextualiser celui-ci à l’époque du paroxysme médiatique de la guerre syrienne (guerre toujours en cours), on sent un désir de s’adresser de manière plus universelle aux déracinés et aux réfugiés. Dans une entrevue avec le journal The Guardian, Loach explique que malgré les milles sujets que ses films puissent avoir abordés, il regrette de ne pas avoir touché directement le sujet du conflit israélo-palestinien, et que si ce film a été tourné avant la guerre, il se voit triste qu’il s’agisse de quelque chose qui soit toujours aussi d’actualité.
Si le sujet de la pauvreté, de l’insécurité sociale et du déracinement sont au cœur de cette œuvre, Ken Loach souhaite surtout nous mettre en garde des dangers de l’intolérance ainsi que des dommages que cela peut causer à une communauté. À voir la plupart des habitants de la ville anonyme de The Old Oak, l’arrivée de réfugiés syriens n’augure rien de bon pour leur communauté pauvre ne tenant qu’au ruban adhésif. Au moment du déménagement des familles, plusieurs commencent à se plaindre que cela va faire baisser le prix des maisons qu’ils peinent déjà à vendre. Puis, ils se plaignent au bar de ne pas pouvoir les comprendre avec leur accent. Puis, nous commençons vite à entendre les balbutiements de la rhétorique dangereuse et résolument raciste à la « je n’ai rien contre les réfugiés, mais… » telle qu’une cliente déclare. Ces frustrations représentent la « goutte qui fait déborder le vase » pour cette communauté jadis heureuse, mais désormais délaissée du gouvernement suite à la fermeture d’une énorme mine (ou, en anglais, the pit), symbole de prospérité économique, en 1984.
Comme il n’est pas inhabituel pour ses films, Loach nous montre les frustrations d’un peuple qui ne se sent pas écouté, mais nous avertit tout autant des dangers que puissent représenter le fait de diriger notre colère contre l’inconnu. Pour les habitants, les réfugiés syriens représentent des boucs émissaires, premières personnes qu’ils puissent blâmer depuis longtemps. C’est au cœur de ce conflit que TJ (incarné par l’excellent Dave Turner), le personnage principal, se trouve, déchiré entre son amour inconditionnel pour la communauté dans laquelle il a passé sa vie entière et sa compassion pour les nouveaux arrivants, dont une, Yara (Ebla Mari, grande révélation), avec qui il se lie vite d’amitié.
Il a souvent été assez commun de reprocher aux films de Ken Loach un relatif manque de complexité, en cela que ses récits peuvent souvent être trop unidimensionnels et sentimentaux pour les sujets qu’ils abordent. On met en scène « les gentils » contre « les méchants » (ou dans ce cas-ci, les habitants empathiques et les racistes) Si je suis dans une certaine mesure d’accord avec cette critique, il s’agit de quelque chose qui colle beaucoup plus à un film tel que The Old Oak que dans un film comme, disons, Sweet Sixteen, alors que les camps mis en scène se positionnent dans une logique idéaliste beaucoup plus binaire que lorsque the powers that be (le gouvernement) sont impliqués. En ce sens, s’il peut s’agir d’un film qui manque un peu de souffle au plan politico-critique, surtout mis en contrastes avec d’autres de ses films plus anciens, The Old Oak représente tout de même une finale satisfaisante pour ce titan du cinéma britannique, et je ne peux m’empêcher de verser une petite larme à l’idée que Loach nous quitte artistiquement, malgré une relève plus que prête à reprendre le flambeau. Merci pour tout, Ken Loach!
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième