« Moi, dans le spectacle, je suis le sentier. »
C’est l’histoire d’une femme perdue qui s’embarque sur un bateau pour aller le plus loin possible. Elle s’est fait dire que là-bas, les gens vivent doucement, enveloppés de silence. Elle veut découvrir cette vie, tendre l’oreille aux bruits qui s’éveillent quand on se tait. Pendant des nuits, elle se laisse dériver jusqu’à une île qu’on appelle le Cimetière du Golfe, la terreur des navigateurs…
Nouvelle création de Système Kangourou librement inspirée du film Bermudes (Nord) de Claire Legendre, Dérive de nuit offre une expérience sensorielle enveloppante et conviviale, entre le ciné-concert, l’installation visuelle et le théâtre.
Les performeurs.euses tissent le récit avec délicatesse : Frédéric Auger à la guitare et à l’harmonium dans le rôle des paysages, Karine Sauvé au chant et aux pédales à effets dans le rôle des vents, Julie Vallée-Léger à la table à dessin et au dispositif vidéo dans le rôle des humeurs, et Claudine Robillard à la narration et à la transformation de l’espace dans le rôle des sentiers.
Jamais je n’avais vu un spectacle d’art vivant mélanger aussi bien les différents arts. Non seulement les artistes mélangent la musique et le théâtre, mais on y ajoute le cinéma et le dessin/peinture dans un ensemble de domaines artistiques hétéroclites qui prennent forme en un ensemble étonnamment homogène.
Cette homogénéité provient certainement de la chimie entre les artistes qui sont sur scène. Claudine Robillard est une conteuse hors pair, Julie Vallée-Léger manie le crayon et la table de montage à la perfection, alors que Karine Sauvé et Frédéric Auger sont des musiciens de grands talents.
Chacun d’entre eux sait exactement ce qu’il apporte au spectacle et où son rôle s’arrête. Les échanges entre Karine et Claudine créent une touche de légèreté qui permet au spectateur de se laisser emporter dans l’histoire qu’il se fait raconter.
Cette histoire, c’est un beau voyage au bout du monde. Ok, pas si loin que ça, mais un long et beau voyage tout de même. À la base de cette histoire, il y a le film de Claire Legendre, Bermudes (nord), dont des séquences sont projetées sur un écran géant au fond de la scène.
En tant que cinéphile, ce qui m’a frappé dans ce spectacle, c’est à quel point on a, par moment, l’impression d’assister à la création de la trame sonore du film. Un peu comme si on regardait les compositeurs et les bruiteurs créer la bande-son du film. Comme si on regardait le film pendant qu’il était en train d’être finalisé. Et comme si, en plus, on avait une personne qui nous racontait ce qu’on n’entendait pas de l’histoire.
Le voyage auquel j’ai été convié jeudi soir en était un unique. Pendant un peu plus d’une heure, j’ai été bercé par la voix de Claudine Robillard et la musique de Karine Sauvé et Frédéric Auger.
Mais ce qui amène une touche de plus, et qui rend ce spectacle réellement unique, c’est le fait d’avoir Julie Vallée-Léger qui interagit directement avec le film. Par un procédé de surimpression, elle ajoute des mouvements de mains, peinture ou encore dessine par-dessus le film. Un des plus beaux moments arrive lorsqu’elle dessine par-dessus des cerfs, en rose, avant de faire disparaître le long métrage pour ne laisser que l’œuvre d’art que ses dessins ont créée.
C’est difficile à imaginer en lisant ce que j’écris, mais croyez-moi, ça vaut le détour.
Spectacle voyage qui honore les paysages de la Côte-Nord et de la Basse-Côte-Nord, les rencontres improbables, les gestes humbles et les actes de création qui transfigurent le quotidien, l’expérience interdisciplinaire de Dérive de nuit enveloppe et berce.
C’est une occasion de retourner en enfance, à ce moment délicieux où on se laisse raconter une histoire et où rien ne peut empêcher notre imagination de voyager. Ce que ce spectacle offre n’a pas de prix. Ça s’appelle tout simplement « du bonheur ».
Spectacle pour les 9 ans et plus.
Bande-annonce
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