« I don’t drink coffee. So, my teeth should be fine, but… They’re all rotted due to my propensity for sweets. »
[Je ne bois pas de café. Donc, mes dents devraient bien aller, mais… elles sont toutes pourries à cause de ma propension aux sucreries.]
Eileen (Thomasin McKenzie) est une jeune femme d’allures ordinaires aux yeux de tous, surtout ceux de son père (Shea Whigham) un ancien policier alcoolique. Eileen travaille dans une prison pour jeunes délinquants et fait la rencontre d’une collègue (Anne Hathaway) qui lui fera découvrir ce qui existe au-delà du fantasme.
Qu’est-ce que le fantasme? Est-ce que la folie est une chose passagère ou constante et insidieuse? Qu’est-ce que l’amour? Quelles sont les différences entre passion et pulsion? Ce sont ces questions qui semblent orienter la trame narrative du film Eileen, réalisé par William Oldroyd d’après le roman du même nom par Ottessa Moshfegh. Malgré son caractère contemplatif, l’œuvre réussit à garder l’attention de son public avec des retournements saisissants, mais surtout une protagoniste intrigante. L’atmosphère des années soixante est recréée à merveille, le décor est tout simplement magnifique. Le personnage de Eileen est brillamment interprété par Thomasin McKenzie qui offre une performance de jeu égal en force — quoiqu’opposé en style — à celui de Anne Hathaway dans le rôle de Rebecca.
Les plans pullulent de petits détails qui émoustillent le regard grâce à des compositions recherchées évoquant le sens sans avoir à expliquer quoi que ce soit. Je me souviens de celui où Eileen veut s’emparer de la bouteille d’alcool de son père en douce pendant qu’il dort ivre sur son fauteuil. La table d’appoint est presque invisible sous l’amas créé par un revolver, une paire de jumelles, des cigarettes et des bouteilles vides. On ne voit que la main du père, puis doucement celle de Eileen qui s’approche avec un gant blanc essayant de se faire subtile pour prendre le fond de vodka au milieu du fouillis.
Eileen a une imagination débordante avec une certaine propension au sexe et à la mort, ce que l’on remarque assez facilement à travers les rêves éveillés auxquels elle s’adonne souvent. J’en conviens, avec de pareils ingrédients, on s’attend probablement à un film lourd et glauque, mais détrompez-vous. Le voyage entreprit est, par moment, on ne peut plus enchanteur. Le sujet de la folie est finement abordé par l’entremise d’un petit délinquant qui aurait, semble-t-il, tué son père dans son sommeil; un évènement déclencheur de bien des questionnements parmi la tranquille et monotone populace du Massachusetts.
Le film Eileen ose un regard candide sur la folie du fantasme et de l’obsession pulsionnelle, lorsque celui-ci rencontre la réalité, se transformant en une obsession. Il est difficile de saisir ce qui s’opère dans l’esprit de Eileen, autre que la sensation qu’elle réprime constamment ses pensées et ses pulsions. On ouvre sur un marais un peu lugubre où deux jeunes adultes s’adonnent à de l’amour sans doute prémarital sous le regard voyeur et discret de Eileen qui se masturbe avec de la neige dans les culottes en les observant. On démontre ici qu’elle est un personnage rempli de pulsions inassouvies. Elle reste après tout une femme très réservée pour qui la timidité semble son trait de caractère principal, mais est-ce bien-là sa réelle personnalité?
À l’intérieur, Eileen se trouve en train de bouillir à la chaleur de ses désirs et ses pulsions qu’elle n’exprime pas, mais surtout devant l’incapacité de s’évader de ce monde froid que foulent ses pieds chaque jour de sa vie. Elle s’intéresse étrangement à ce garçon; ce Lee Polk, interprété par Sam Nivola, qui aurait en quelque sorte découvert une manière de se libérer de ce fardeau que sont les liens du sang pour cette jeune femme et s’émanciper de la souffrance que l’on endure au nom de la famille et des normes à suivre. À un moment dans le film où tout le monde se demande comment un enfant peut en venir à commettre un tel geste sur l’un de ses parents, pour Eileen c’est l’évidence même; selon elle, tous les enfants rêvent secrètement de tuer leurs figures parentales.
Une réplique alarmante qui passe pour du sarcasme, mais en ceci réside la constatation qu’il est impossible de réellement savoir ce qui se trame dans l’esprit d’autrui. En effet, si une connaissance de confiance vous sortait une histoire de la sorte, probablement que vous ne penseriez pas qu’elle puisse être sérieuse. Je ne dis pas qu’il faille se méfier des commentaires sarcastiques ou quoi que ce soit, mais la réflexion reste pertinente pour mieux saisir l’œuvre dans sa totalité (par exemple, si tu as des raisons de croire qu’une personne de ton entourage puisse bel et bien vouloir faire ce genre de choses; il serait bon de songer à avec qui tu te tiens, maudit affaire!).
Une des raisons pourquoi l’intrigue m’attrapa garde baissée (outre le fait que je n’ai jamais lu le roman), c’était cette vive touche de romance saphique pour laquelle on s’émerveille tendrement avec le teint rougi et le regard porté légèrement vers le bas. Grâce à son talent formidable, McKenzie arrive à nous faire sentir toute la palette d’émotions qui traverse l’âme de Eileen sans jamais la nommer. La réalisation est particulièrement flatteuse pour cette jeune actrice qui commence à avoir acquis beaucoup d’expérience depuis son rôle de Astrid dans The Hobbit en 2014. Maintenant qu’elle a l’habitude des premiers rôles, on ne peut que remarquer la force avec laquelle elle crève l’écran.
Il est fort agréable de continuer à voir une relève pour le cinéma hollywoodien de demain. J’admets souvent m’exprimer en défaveur de l’industrie cinématographique en général (et je ne changerai pas d’avis de sitôt), cela n’empêche pas que le milieu est encore capable de faire émerger certains talents hors pair. Je ne parle pas seulement du travail qui s’accomplit devant la caméra, mais aussi tout le travail derrière. Je félicite la réalisation impeccable tant au niveau de la composition sonore; que du choix de musiques; ou de la lyricité des images. Un dernier point fort; le temps. Eileen est ce genre de long métrage qui passe rapidement tellement le récit est bien ficelé (je l’ai vu deux fois, et les deux fois ont passé à la même vitesse). Attention par contre à une fin un peu abrupte qui pourrait en laisser quelques-uns sur leur faim avec quelques points d’interrogations dans la tête.
Cette semaine, j’ai été gâté niveau chef-d’œuvre; ce qui augmente le niveau de difficulté à pondre des articles en peu de temps en essayant de soutenir une qualité équivalente à ce que j’ai pu contempler. Si vous aussi vous voulez en avoir plein la vue dans vos prochaines sorties au cinéma, je suggère fortement de commencer par Eileen; histoire de se mettre un peu de sucré sous la dent (tant qu’on n’en fait pas des caries ;-)).
Bande-annonce
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