« I remember being very young and being haunted by her stories. Like, I remember her crying at night but I was just a kid and didn’t know how to console her. »
[Je me souviens avoir été très jeune et avoir été hanté par ses histoires. Je me souviens qu’elle pleurait la nuit, mais je n’étais qu’un enfant et je ne savais pas comment la consoler.]
Au fil des générations, la souffrance des survivantes et survivants des pensionnats a irradié et entraîné des conséquences sur les familles et les communautés autochtones.
Le documentaire éminemment personnel de Jules Arita Koostachin (Ph. D.) WaaPaKe (Demain) dépasse le traumatisme intergénérationnel : il nous invite à défaire les nœuds du silence et à évoluer ensemble vers la liberté et la force collectives.
WaaPaKe veut dire « Demain » en Cri. Je crois qu’il est important de le mentionner de prime abord, surtout quand on considère ce qui est arrivé aux cultures autochtones; l’importance de souligner que ce mot existe, qu’il a une équivalence dans tous les autres langages et qu’il ne sera pas perdu. Dr. Jules Arita Koostachin grave un nouveau chapitre dans l’histoire de sa Nation. Avec ce documentaire touchant, il met la lumière sur les cicatrices qui recouvrent le corps et marque encore l’esprit des Premières Nations. J’ai terminé le visionnement rempli d’empathie, mais aussi d’espoir pour le futur autochtone. Le premier pas en documentant cette douleur, non seulement pour la pérennité de ces cultures, mais aussi pour l’apaisement progressif de leurs douleurs collectives. J’emploie ici des mots qui furent utilisés pour décrire une autre situation que l’on juge souvent bien pire, mais qui en demeure, malgré notre honte collective voilée, équivalente; « jamais plus ».
Pour que l’on puisse dire qu’il n’y aura plus quelque chose, il faut pouvoir la nommer, la pointer et la reconnaître, car l’histoire nous apprend trop souvent que l’on a tendance à oublier, puis recommencer ensuite. Une action qu’entreprend avec courage la réalisatrice qui essaie de déterrer des racines invisibles dont on ne voit plus que le tronc amoché, mais encore solide de cet arbre que les pensionnats ont essayé d’abattre. C’est un processus difficile que de vouloir parler de la douleur de celles et ceux qui n’ont pas pu l’exprimer alors qu’iels la subissaient.
À travers ce projet , Dr. Koostachin nous fait découvrir l’horreur des pensionnats à travers des témoignages émouvants et percutants des gens proches d’elle démontrant à un certain point comment personne des communautés autochtones n’a été épargné de porter à son tour ce fardeau. Par la même occasion, cela lui permet de nommer cette forme de douleur, un type qu’elle nomme intergénérationnelle. Les blessures que subissent les générations passées finissent par affecter celles de demain. Qu’arrive-t-il lorsque des êtres démolis et traumatisés doivent prendre en charge à leur tour d’élever les humains de demain, alors qu’iels n’ont quasiment jamais connu la tendresse? Cette violence qui traverse les couches du tissu social générationnel comme une brûlure au troisième degré.
Le plus malheureux de notre histoire en tant que peuple serait d’avoir laissé passer au feu plus que nos voisins; mais aussi nos hôtes sur ces terres magnifiques; nos frères et sœurs en devenir (quel gâchis. J’en ai les larmes aux yeux). On sait bien que la majorité de la nation québécoise ignorait les atrocités qui se perpétraient dans les pensionnats; mais qu’en est-il de la minorité? Tout le monde n’a pas pu être exempté d’avoir connaissance de ces actes monstrueux et pourtant, allons nous ignorer nos mains tachées de sang et couvertes de cloques encore longtemps? Au Canada, les religieux de l’époque ne pouvaient tout de même pas être au niveau du KGB ou de la CIA et ne jamais rien laisser paraître, non?
« Comment réparer la faute? » Voilà une question intéressante. Le documentaire ne l’aborde pas et c’est tant mieux, car c’est à nous de nous responsabiliser pour les erreurs du passé; pas parce que nous devons nous sentir coupables de ce qui est arrivé, mais parce que nous devrions avoir honte de ne pas les aider. Je félicite toutes ces notions d’autodidactes ou d’autonomie, veillons tout de même à ce que ça ne devienne pas de l’orgueil ou de l’égoïsme. Aider son prochain fait aussi partie des responsabilités d’un individu mature. Je vois quotidiennement l’empathie humaine face à la Terre; face aux animaux; et néanmoins si peu pour nos semblables. À seulement se regarder, on a fini que par voir nos différences; peut-être est-il temps de se parler pour voir à quel point nous nous ressemblons.
WaaPake nous met devant le fait accompli et nous confronte à regarder le visage des oubliés et des survivants; nous oblige à nous faire réfléchir à comment les immortaliser. Un documentaire certes très troublant, mais il n’en reste pas moins rempli d’espoir pour le futur autochtone sur ce grand continent que nous partageons. Dr. Koostachin et les siens font tous leur petit bout de chemin et continuent de grandir malgré le mal incendiaire. Et nous, en héritiers de cultivateur, qu’avons-nous appris de ce que les cendres permettent à la terre? Avons-nous, nous aussi, tous oublié d’où nous venons?
Il est commendable des peuples québécois et canadiens à ne pas avoir de propension à régler le conflit par la guerre ouverte. Qu’en est-il de cette manie irritante à vouloir constamment installer l’ordre et la paix ailleurs dans le monde? Alors qu’ici rage encore un conflit silencieux que l’on devra traiter tôt ou tard, le Canada se pare d’être une nation pacifique aux yeux du monde. Trop tard pour les autruches et les poules mouillées, la cloche a été percée. Au cours du visionnement, j’ai pu être témoin que les Premières Nations s’affairent déjà à reconstruire, et ce, malgré le peu qui reste. À nous de prendre exemple sur eux maintenant. Qui sommes-nous si nous ne nous réaffirmons pas aussi autrement et laissons nos pères avoir décidé à notre place?
J’ai été particulièrement touché par les paroles de Joseph Dandurand, un grand homme solide à l’intérieur tendre dont la mère est une survivante des pensionnats. À un moment, il mentionne que son héritage en est un de transmission orale. Cette dernière fut perdue et aujourd’hui la plupart des autochtones contemporains ne connaissent pas leur langue ou leur histoire. Cependant, telle l’étoile du Nord, il croit mordicus qu’il a la possibilité de faire de nouveaux contes, et ainsi d’écrire de nouvelle page pour l’histoire Kwantlen. Petit train va loin, bien évidemment il n’est qu’un seul homme (pour le moment), mais il n’en faut souvent pas plus pour que comme Monsieur Dandurand le dit si bien: « So hopefully, maybe like ten thousand years from now, somebody will pick up my book and say “Oh!It’s a Kwantlen story” ».
N’est-ce pas rafraîchissant de voir des gens continuer malgré l’adversité? Des êtres qui nourrissent sans cesse l’espoir que waapake sera meilleur, car il peut être meilleur si l’on travaille tous pour qu’il le soit. Tendre la main, mais aussi tendre l’oreille, car toutes les paroles ne s’envolent pas (et pas tous les écrits restent).
Le seul point faible à mon humble avis, aura été trop de fois d’intégrer des effets spéciaux CGI pour essayer de mystifier et d’embellir une nature déjà magnifique. Je crois sincèrement que nos paysages variés; tantôt vêtu d’un blanc étincelant ou de fleurs multicolores ou des arbres qui rougissent de se dénuder; n’ont besoin d’aucune retouche ou de maquillage qui puissent accentuer sa beauté naturelle.
Waapake est présenté aux RIDM les 18 et 19 novembre 2023.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième