« Je n’ai aucun mot de soutien pour toi, car tu es responsable de la gestion de cette tragédie qui ne doit pas être oubliée. Continue à te sentir coupable et à te blâmer. »
Dans son premier long métrage documentaire, la réalisatrice Nam Arum tourne sa caméra vers ses parents, deux membres de la génération 386 sud-coréenne. L’activisme politique de cette génération a atteint son paroxysme en juin 1987 avec des manifestations majeures qui ont contraint le gouvernement autoritaire à organiser des élections au suffrage universel et à mettre en œuvre des réformes démocratiques clés. Plus de 35 ans plus tard, la cinéaste revient sur l’état de cette démocratie à travers un portrait de famille chaleureux sur fond d’histoire récente du pays.
Utilisant un style cinématographique personnel et intime, Arum examine l’adhésion de son père aux conventions en tant que haut fonctionnaire et l’enthousiasme fervent de sa mère en tant que militante féministe. Au milieu de ces deux dynamiques contrastées, Arum cherche à découvrir son propre rôle et comment elle peut contribuer au changement social.
Avec son premier documentaire, K-Family Affairs (애국소녀), la jeune réalisatrice sud-coréenne réussit un coup d’éclat : raconter l’histoire politique récente de son pays à travers sa réalité familiale.
J’ai souvent parlé contre ces soi-disant documentaires qui relatent une histoire de famille sans intérêt. Et je persiste à le dire : une histoire de famille ne représente pas un sujet de documentaire pertinent. Mais…
Bien que K-Family Affairs mette en scène la famille de la réalisatrice, il traite surtout de la politique du pays, et des changements sociaux qui se produisent ou qui ne se produisent pas. Il faut dire que la jeune femme a une famille atypique. Son père travaille pour le gouvernement, alors que sa mère est une activiste qui a passé la majeure partie de sa vie à s’attaquer aux pratiques du gouvernement. Ils se sont rencontrés à l’université, alors que lui étudiait pour être journaliste.
La réalisatrice ne s’attarde pas sur le moment décisif où le père a décidé de changer ses plans de carrière pour devenir haut fonctionnaire. Mais on sent qu’il y a eu une grande tension à ce moment. Mais le couple a décidé de poursuivre sa relation. À travers la relation des parents, Arum traite du sort des femmes au sein de la société coréenne des années 80, mais aussi actuelle.
Certaines séquences sont plus touchantes, voire déstabilisantes, surtout pour un parent. Dans une des séquences tirées d’archives familiales, on voit la mère assise par terre avec ses deux petites jumelles de moins de 1 an. La réalisatrice raconte, en voix-off, qu’en visionnant cette vidéo, elle a découvert un regard qu’elle n’avait jamais vu chez sa mère. Une profonde tristesse, un regard vide d’une femme qui, maintenant qu’elle est mariée et a des enfants, se voit obligée de laisser son travail et sa carrière pour s’occuper des enfants et de la maison. Parce que c’est ainsi qu’une femme doit vivre dans la société. Même si une femme a le droit de retourner au travail après avoir eu des enfants, c’est fortement mal vu. Ce regard, donc, que la réalisatrice prend le temps de nous montrer, laisse entrevoir toute la tristesse d’une femme qui rêve de « plus » que d’être simplement une mère, une épouse.
Une autre séquence tout aussi difficile à supporter est, elle, tournée par Arum. Sur un fond de mer et d’arbres, elle lit une lettre qu’elle a écrite à son père, l’année précédente. Une lettre extrêmement dure envers cet homme qu’elle aime. Elle y fait référence à une des plus grandes tragédies que le pays a connues, le naufrage du Sewol, alors que son père était responsable de ce département au gouvernement.
« Récemment, de nombreux jeunes que tu voulais protéger ont perdu la vie. Je n’ai aucun mot de soutien pour toi, car tu es responsable de la gestion de cette tragédie qui ne doit pas être oubliée. Continue à te sentir coupable et à te blâmer. J’espère que cet incident te rappellera pourquoi tu es devenu fonctionnaire en premier lieu. Je crois que tu es capable de bâtir un gouvernement digne de confiance au lieu d’en être la marionnette. »
Une tragédie qui a mené 250 lycéens à la mort.
Ce qui nous amène au volet politique et historique du documentaire.
Constituée principalement d’images d’archives, cette thématique raconte comment la Corée du Sud a évolué en une cinquantaine d’années, passant d’un régime totalitaire, à une démocratie.
Le naufrage du Sewol est au centre du récit, car il a eu un grand impacte sur la société, ainsi que sur la famille. La réalisatrice explique à quel point elle se sentait mal d’être à l’école et de n’avoir personne à pleurer. Qu’elle a senti qu’elle devait faire quelque chose. C’est là qu’elle a écrit cette lettre à son père. À deux reprises, elle tente de revenir sur ce lourd sujet avec son père qui, chaque fois, évite de répondre.
Son père est un homme qui met beaucoup l’emphase sur son rôle au sein du gouvernement et que, ainsi, il doit rester neutre et ne jamais donner une opinion politique. Ce qui, pour sa fille, est inacceptable.
Il y a des moments plus cocasses, afin d’alléger la trame narrative. Par exemple, ces moments de tendresse lors desquels les jumelles fêtent leur anniversaire. Les filles sont nées le même jour que le tout premier suffrage de ce nouveau pays démocratique. Et comme les élections se tenaient à période fixe, chaque 5 ans, leur anniversaire tombait le jour des élections. N’est-ce pas là un signe du destin que ces filles doivent s’impliquer dans leur société?
Cette anecdote est, évidemment, une excuse pour amener les manifestations monstres qu’a connues le pays dans les années 90 et 2000. Dont ces manifestations qui ont mené à l’arrestation de l’ancien président, ou à celles qui ont mené à la chute du régime en place et qui, du coup, à fait que l’anniversaire des jumelles ne tombait plus le même jour que les élections.
Avec K-Family Affairs, Arum Nam réussit à traiter d’enjeux de société complexe comme la politique, les tragédies ou encore les droits des femmes, sur un ton qui reste léger, en utilisant les anecdotes de sa famille. Du coup, le spectateur peut s’attacher à ces personnages, ce qui est plutôt rare dans un documentaire.
Une question traîne tout au long du film. La jeune femme se demande à quel point la société coréenne a évolué, et à quel point ces évolutions sont solides. Après tout, on voit, depuis quelques années, que l’extrémisme conservateur renaît un peu partout en occident. Il semblerait que les démocraties d’Asie ne soient pas à l’abri.
Ce documentaire est donc un immanquable pour quiconque s’intéresse aux questions d’égalités et d’avancées progressistes dans le monde. Et pour ceux qui s’intéressent à la Corée du Sud, bien sûr!
À voir.
K-Family Affairs est présenté aux RIDM les 16 et 26 novembre 2023.
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