Les rayons Gamma - Une

[Cinemania] Les rayons gamma – À travers le quartier Saint-Michel de Montréal

« C’est pas la bouffe qu’on va bouffer, c’est toi qui vas te faire bouffer. La première! T’es trop gentille, c’est pas bien. […] T’es fragile! »

Les rayons gamma - Affiche

Le quartier Saint-Michel de Montréal bouge – pas seulement puisque beaucoup de gens y circulent, mais aussi parce que ses habitants viennent des quatre coins du monde, faisant de ce quartier un endroit multiculturel par excellence. Ce mélange de cultures a attiré l’attention du réalisateur québécois Henry Bernadet lorsqu’il est venu de Québec, ville selon lui davantage monoculturelle, à Montréal, où il a fait des ateliers de théâtre avec des élèves d’une école secondaire. 

L’intérêt pour la période de l’adolescence présentée dès son premier long-métrage coréalisé avec Myriam Verreault, À l’ouest de Pluton (2008), film qui a fait couler beaucoup d’encre et a fait le tour des festivals de films nationaux et internationaux, se propage donc dans Les rayons gamma, ce deuxième long-métrage attendu depuis maintenant 15 ans. 

Henry1ⓒ Nicolas Canniccioni.
Henry Bernadet (©Nicolas Canniccioni)

 « L’adolescence reste la même dans le sens où ce sont toujours les mêmes moments très intenses peu importe les générations, peu importe où dans le monde on est, d’où on vient, des moments charniers de la vie. […] Dans les deux films, il y avait ça donc, mais la différence c’est que pour Pluton ce sont des gens que je connaissais, c’était comme mes petits frères, mes petites sœurs, ils viennent de mon coin, à côté de chez moi. […] Mais là, je suis allé rencontrer des gens d’autres cultures. »

Henry Bernadet

Si son premier film a montré des ados en banlieue au Québec, son deuxième film, qui vient de fêter sa première mondiale au prestigieux Festival de San Sebastián, se situe au cœur de Montréal, mais présente la métropole sous un angle inouï : d’abord par le choix du quartier loin des curiosités, et ensuite par le multiculturalisme de ses acteurs non-professionnels, qui, quelques années auparavant, n’auraient pas été représentés à l’écran. En voici quelques-uns… 

Penser l’apocalypse : Fatima et Naïma

On les voit bavarder avec leurs amis au parc, ou rôder dans un bâtiment brut qui par son aspect inachevé et atemporel les amène à exprimer leurs visions de l’avenir – dont Fatima a déjà une idée très précise : elle veut se débarrasser de ses mauvaises fréquentations du passé, être indépendante, avoir du succès le plus vite possible – ce qu’elle affirme avec conviction lors d’un entretien d’embauche : « Vous vous voyez où dans cinq ans? – Moi? Millionnaire! – En faisant quoi? – Beh, de l’argent. » Mais lorsqu’elle s’en prend à une cliente au supermarché et perd son travail de caissière, les spectres du passé reviennent la hanter et mettent en péril son amitié avec Naïma. 

Les rayons gamma - Penser Apocalypse
Fatima, Naïma et leur bande d’amis

Timide et conformiste, Naïma est, aux yeux de la jeune révoltée, inapte pour la vie : si l’apocalypse venait, estime Fatima, elle se battrait contre les zombies, puisque dans la vie il faut savoir se défendre, s’imposer. Son amie Naïma, en revanche, serait trop lâche : « C’est pas la bouffe qu’on va bouffer, c’est toi qui vas te faire bouffer. La première! T’est trop gentille, c’est pas bien. […] T’es fragile! »

Penser le début des temps : Toussaint et la mystérieuse femme au téléphone

Tandis que les filles imaginent la fin des temps, Toussaint, qu’on voit pêcher au bord du fleuve Saint-Laurent ou au travail, s’intéresse au début des temps – il regarde le ciel, étudie le cosmos et les étoiles. Son travail à l’animalerie alimente sa curiosité pour les animaux préhistoriques. Car ce sont les animaux qu’il préfère – son animal favori, l’escargot, souligne sa personnalité : il aime se cacher des autres et vit en dehors du temps. 

Les rayons gamma - Penser le début des temps
Toussaint préfère rester à l’écart

Le message dans une bouteille à l’eau découverte en pêchant le met en contact avec une femme mystérieuse de l’autre côté du fleuve. Celle qui vit à Laval et qui aurait espéré que son message réussirait à traverser l’océan incite Toussaint, qui fuit les hommes, à ouvrir les yeux pour ceux qui l’entourent : « Qu’est-ce que tu vois? », lui demande-t-elle ainsi à plusieurs reprises, mais aussi : « Est-ce que t’es heureux? » Toussaint qui n’est pas habitué qu’on lui pose des questions si intimes est irrité : « C’est bizarre comme question. C’est pas une question à poser… C’est impoli. Je sais pas comment être, avec les gens. » Encouragé par l’inconnue, il essaie de faire un pas vers les autres – mais quand il fait une mauvaise expérience à la fête de la fille qu’il aime en secret, il lui reproche de lui avoir donné de mauvais conseils. Comment briser le silence qui s’ensuit après? 

Du passé au présent : Abdel et Omar

Le troisième duo de personnages dans le film, les cousins Abdel et Omar, tisse le lien entre le passé et le présent. Ayant grandi ensemble au Maroc, Omar rend visite à Abdel qui vit à Montréal avec sa famille. Avec les années de distance entre eux, Abdel éprouve l’arrivée de son cousin plus grand comme une intrusion dans sa vie stable, un concurrent devant ses amis. En revanche, Omar désire renouer avec le passé, passer du temps avec son ami d’enfance, découvrir la ville ensemble. En montrant le duo faire le tour des sites touristiques, tantôt seul, tantôt accompagné par des amis, deux expériences de Montréal se confrontent : l’image romantisée d’Omar, excité par Montréal et adepte de Céline Dion, et les expériences du racisme des – dans ce cas – Maghrébins vivant à Saint-Michel, peu passionnés par les endroits clichés de la ville (que parfois ils n’ont pas vus eux-mêmes) : « Bon, pour les baleines, t’as qu’à prendre la ligne bleue. » Lorsqu’Abdel abandonne son cousin à une station de ladite ligne de métro pour ne pas devoir partager ses amis avec lui lors d’une fête, le jeune Marocain ne rentre plus à la maison. Abdel arrivera-t-il à retrouver le disparu sain et sauf?

Les rayons gamma - Du passé au présent
Les cousins Abdel et Omar

 « C’est un film sur la découverte, où moi-même je découvre un paysage. Dans le film on découvre ce quartier, c’est un voyage dans un quartier, c’est une fresque, un voyage sensoriel où on découvre des lieux, on découvre sa propre ville, on la redécouvre. […] C’est un film sur la rencontre, les personnages se mettent à découvrir, à redécouvrir leur entourage immédiat, leur monde. »

Henry Bernadet 

Un quartier, des habitants tous différents?

Le réalisateur Henry Bernadet arrive à merveille à tisser des liens implicites entre ses différents protagonistes, et ceci par deux approches : d’une part par le montage du film qui fait débuter la scène comme la précédente s’est terminée – par exemple, les filles contemplent le fleuve derrière le bâtiment en construction tandis que Toussaint, montré tout juste après, regarde l’eau qui coule en pêchant. Mais ce ne sont pas seulement les endroits et les perspectives qui unissent les jeunes. Ce sont également leurs émotions liées à l’adolescence : la solitude ou le sentiment de ne pas appartenir à un groupe, la sensation selon laquelle leur propre vie est ennuyeuse et que la « vraie » vie nous attend encore, quelque part; l’impression d’être mieux compris par les amis que par la famille… En somme, Les rayons gamma souligne l’importance des autres qui nous entourent et qui nous épaulent, qui nous aident à des moments les plus inattendus. 

Les rayons gamma - Un quartier

Si les groupes de personnages restent entre eux pendant la plupart du film, ils finissent par se mélanger vers la fin – et ce sera précisément le garçon peu social Toussaint qui met Abdel sur la bonne piste dans sa recherche d’Omar. Enfin, ce ne sera pas la caméra thermique qui le retrouve, mais l’empathie humaine…

Les rayons gamma, les rayons du cœur?

Tout comme les rayons gamma sont des rayonnements électromagnétiques créés par des transitions nucléaires (donc au cœur des atomes), l’adolescence est une période où tout change tout le temps, particulièrement à l’intérieur de soi-même. Et comme les rayons gamma, ces changements intérieurs se font ressentir à l’extérieur – tantôt de manière provocante et agressive, tantôt de manière plus subtile. Le titre du film pourrait donc être lu comme un clin d’œil à cette période de la vie tumultueuse. 

 « Les rayons gamma, c’est l’énergie la plus puissante qu’il peut y avoir, puis c’est une collision énorme. Dans la vie on est constamment en collision avec les autres, […] le film parle du rapport qu’on a à l’autre et jusqu’à quel point on va aller vers l’autre ou non. […] Et puis il y a une métaphore dans le film qui est celle des ondes […]. On est traversé par des ondes constamment, on ne sait pas d’où, c’est très mystérieux, c’est quoi l’impact que ça a sur nos vies, on a ça en commun comme humains. Donc, ça nous fragilise, mais en même temps il y a quelque chose là-dedans d’invisible qui nous relie. »

Henry Bernadet 

Touchant, convaincant

Mélange entre documentaire et fiction, entre drame et conte de fées, entre réalité et poésie, Les rayons gamma est un film à voir absolument. La prestation des acteurs, quoique non-professionnels, est impressionnante et ne paraît jamais artificielle. Les gros plans permettent l’étude intime des personnages qui eux-mêmes contemplent le monde qui les entoure – ce qui est brillamment mis en évidence par des plans qui créent des situations de double observation en filmant les acteurs de derrière en train de regarder eux-mêmes leur entourage. 

Les rayons gamma est présenté au festival Cinemania le 8 novembre et sortira en salle le 10 novembre 2023.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Les rayons gamma
Durée
99 minutes
Année
2023
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Henry Bernadet
Scénario
Henry Bernadet, Nicolas Krief et Isabelle Brouillette
Note
9 /10

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Fiche technique

Titre original
Les rayons gamma
Durée
99 minutes
Année
2023
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Henry Bernadet
Scénario
Henry Bernadet, Nicolas Krief et Isabelle Brouillette
Note
9 /10

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