« Ça fait trois ans que je suis suivie par un psy et là, en trois heures, tu m’as débloquée. »
Depuis 2014, en France, la Justice Restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles comme Judith, Fanny ou Michel.Nassim, Issa, et Thomas, condamnés pour vols avec violence, Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes d’entrées par effraction, de braquages et de vol à l’arraché, mais aussi Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent tous dans des mesures de Justice Restaurative.Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du chemin, parfois, la réparation…
Après avoir réalisé Pupille dévoilant les péripéties de l’adoption après une naissance sous X (anonymat), Jeanne Henry reste toujours portée sur les sujets sociaux. Elle revient avec Je verrai toujours vos visages, une histoire dévoilant les rouages de la justice réparatrice. Une fiction, douce et douloureuse à la fois, portée sur l’exploration de l’humain, sa perception de l’autre et de ses traumatismes.
Le geste d’humeur, les yeux illuminés par les larmes, les paroles virulentes et le silence imprégné de honte et de peur. Entrer dans le cercle n’est pas chose aisée ni pour les victimes ni pour les condamnés. En mettant en avant le processus parfois douloureux de la justice réparatrice, Jeanne Henry place (et nous avec) ses personnages dans un cadre austère. Un quasi huis clos parfois étouffant dans l’enceinte d’une prison où la parole aussi virulente et douce soit-elle se libère pour alléger ses victimes (et ses bourreaux) de son poids.
Ici, il n’est pas question de prestation d’envergure ou d’une dynamique d’événement; tout est dans la retenue. Une retenue qui décuple la puissance des mots, qui rend singulière la présentation de chaque personnage.Si le film ne dispose pas d’un dynamisme gestuel ou corporel, il possède par contre un dynamisme psychologique percutant, en témoigne l’arc scénaristique dédié à Chloé (Adèle Exarchopoulos) et au face à face avec son frère (Raphaël Quenard).
Ce dynamisme est d’autant plus souligné par les plans, toujours au plus du corps, au plus près du regard comme pour si la caméra l’avant et après discours de chacun. Le film, par sa structure est un enchaînement de drame que la réalisatrice parsème de petit moment de comédie et de tendresse, où la puissance du collectif de ce cercle écrase les traumatismes individuels. En effet, en présentant tous les personnages sur un même pied d’égalité, la mise en scène renforce la crédibilité du collectif qui trouve sens au regard de chacun.
« J’acquiers un étayage documentaire solide qui libère mon imaginaire. »
Jeanne Henry
Si le film a le mérite d’être aussi exhaustif et détaillé dans son sujet, c’est que la documentation de la réalisatrice a été des plus minutieuse. Elle qui a assisté à des formations de médiation, de véritables séances de face-à-face, et plongé quasi tête baissée dans ses recherches. Toutes ces informations ont donné au film une dimension didactique, où l’ont suit le processus étape par étape. Un film qui, limite, peut cocher la case documentaire…Mais pour autant, reste une fiction. Si l’étayage documentaire a libéré l’imaginaire de la réalisatrice, il n’a pas autant réussi a libéré tout le potentiel de sa créativité cinématographique. Je verrai toujours vos visages tombe, bien malgré lui et dans certain aspect, dans la répétition. Il oublie son statut de fiction au profit, parfois, d’un surdosage d’explication comme si ce dernier a pris le dessus sur une mise en scène aussi, sobre soit-elle, rend le tout un peu trop terne. Le cinéma est un vecteur d’émotion puissant, mais pas que ! et le film avait, peut-être, autre chose à offrir.
Je verrai toujours vos visages possède des qualités indéniables en poursuivant la quête sociale de sa réalisatrice. En illuminant une facette oubliée de la justice, il rappelle aux spectateurs, qu’à certains égards la justice ne peut pas venger, mais peut tout à fait soigner. Si Jeanne Henry bourre son film de bons sentiments, elle n’omet pas de souligner leurs complexités
Je verrai toujours vos visages est présenté au Festival Cinemania, les 2, 3 et 4 novembre 2023.
Bande-annonce
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