« Je cherche une vie simple. Je ne veux plus travailler, Román. »
Román (Esteban Bigliardi) et Morán (Daniel Elías), deux modestes employés de banque de Buenos Aires, sont piégés par la routine. Morán met en œuvre un projet fou : voler au coffre une somme équivalente à leurs vies de salaires. Désormais délinquants, leurs destins sont liés. Au gré de leur cavale et des rencontres, chacun à sa manière emprunte une voie nouvelle vers la liberté.
Difficile à classer, celui-là. Difficile d’aussi penser que le réalisateur Rodriguo Moreno n’a pas prévu ce genre de réaction des spectateurs. Du sommet de ses trois lentes (mais pas ennuyantes pour autant) heures, Les délinquants fait présentement relativement beaucoup parler pour une drôle de raison : certains qualifient le troisième long-métrage du réalisateur de « premier film de vol de banque du mouvement slow cinema ou cinéma lent ». Pour les non-initiés, il s’agit d’un mouvement informel dont les caractéristiques se rapportent, mais ne sont pas exclusives, à un style et rythme minimaliste, des plans lents et contemplatifs, ainsi que peu ou pas de fil narratif. Je ne suis pas certain d’agréer avec le fait que le film soit « lent » à proprement parler, mais pas dur de voir pourquoi les gens pourraient penser ainsi. Voyons pourquoi.
Dès le début, le sort de Morán, trésorier de banque quarantenaire, est scellé; le soleil se lève sur son habit propre, patiemment plié sur une chaise. Puis, l’ombre de son détenteur apparaît par dessus.
On comprend dès le premier plan que cet habit n’est (figurativement) pas habité, que l’homme le portant n’est que l’ombre de lui-même. Il pourrait aussi bien être invisible : se présentant toujours à la même heure, à la même banque, pour la même raison, et ce, « 365 jours par année, sauf un petit quinze jours de vacances », même ses collègues ne considèrent pas ce fantôme, à un point tel qu’il parvient à voler 650 000$ américains en plein jour, sous les yeux de ses collègues et dans l’ombre des caméras. Évidemment, il sait bien que ce ne sera pas si facile une fois que quelqu’un se rendra compte des centaines de milliers manquants, mais il a déjà prévu la suite. Le soir même, il invite son collègue Román, commis de caisse tout aussi ennuyeux et qu’il connaît à peine, au restaurant pour lui proposer un plan fou : 325 000$ américains représentent exactement 25 ans de salaire pour les deux hommes de quarante ans, soit assez pour les supporter jusqu’à leur retraite. Le plan? Morán se rend immédiatement à la police, et purge une peine qu’il estime grossièrement à trois ans et demi, « avec bonne conduite ». Tout ce que Román a à faire est de garder l’argent en sécurité chez lui pour encaisser la moitié des 650 000$. C’est un plan tellement simple, tellement fou, que ça pourrait presque fonctionner, et malgré l’aspect presque burlesque de la chose, difficile de ne pas sympathiser avec ces criminels ordinaires.
Le style narratif, visuel et rythmique nous rappelle vite un film de Kaurismaki sous relaxant musculaire. Car si l’intrigue nous semble palpitante, sachez que le peu que je viens de décrire se déroule en pas même une heure et demie, et seulement jusqu’à ce moment (clairement indiqué avec un carton « FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE ») avons-nous l’impression que le film débute réellement. La réalité, c’est qu’un autre film commence : le vol, la ville, la routine, tout ça n’est que l’arrière-plan, la mise en table pour un drame sentimental, existentiel, contemplatif.
En effet, la deuxième partie se concentre sur les déboires émotionnels des deux hommes à la suite d’un revirement de situation que je ne révèlerai pas. Si le changement peu sembler dramatique ou brusque, il n’en est rien, et nous sommes transportés de manière fluide et lente dans quelque chose d’onirique. Le bruit de la ville et les plans serrés qui y sont cadrés laissent place aux sublimes paysages montagneux de la nature argentinienne et aux mœurs existentielles de ces citadins frustrés. Nous comprenons alors que, si la longueur du film semble excessive pour le peu que le réalisateur raconte à priori, ce dernier affiche un réel désir de dédramatiser le dramatique et de dramatiser le banal, et si ce n’est pas toujours complètement réussi, je ne peux que reconnaître les efforts mis à l’œuvre d’une ambiance pensive et contemplative aux frontières de l’onirisme. Rajoutez à cela des jeux visuels inventifs, un soupçon de surréalisme (par exemple, le patron de la banque et celui de la prison joués par le même acteur ou le fait que les noms des trois personnages principaux ne soit qu’une anagramme des deux autres) et une bande-son discrète, mais très bonne, et nous avons une recette pour un film qui, s’il n’est pas toujours réussi à cent pour cent, a le mérite d’être réellement original et surprenant. D’ici le moment où vous allez aller le voir (et tenter de ne pas vous endormir devant), ne vous rappelez que d’une chose : la liberté, ça ne s’achète pas.
Bande-annonce
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