« Make some noise for Kalia! Make some noise for Eva! »
[Faites du bruit pour Kalia! Faites du bruit pour Eva!]
Sous le chaud soleil grec, les animateurs d’un complexe insulaire tout compris se préparent pour la haute saison touristique. Kalia (Dimitra Vlagopoulou) est le chef de la meute. Décors en papier, costumes brillants et spectacles de danse remplissent la scène. Alors que l’été s’intensifie et que la pression du travail augmente, leurs nuits deviennent violentes et le combat de Kalia se révèle dans l’obscurité. Mais lorsque les projecteurs se rallument, le spectacle doit continuer.
Avec Animal, Sofia Exarchou amène le spectateur dans l’univers des hôtels tout inclus de niveau B et C, dans les iles grecques. Un monde où l’exploitation du corps et la décadence font partie de la norme.
L’histoire de Animal se déroule au sein du groupe d’animateur d’un hôtel tout inclus d’une ile grecque. Disons un hôtel de catégorie B ou les visiteurs sont principalement des gens des pays de l’Europe de l’Est.
À l’intérieur de cette machine touristique, les animateurs sont les employés qui assurent l’animation. Avec ces personnages, la réalisatrice tente de montrer comment le rôle et le pouvoir du divertissement en Europe et dans le monde occidental sont un élément essentiel de la survie du capitalisme. Et d’une certaine manière, contribue à l’abus dans le monde du travail.
Le système est bien organisé, offrant des divertissements toute la journée : des divertissements pour adultes, des divertissements pour les enfants, des divertissements au bord de la piscine, au bord du bar et en bord de plage sont tous disponibles. En tant qu’outils de la machinerie de divertissement établie dans ces structures capitalistes, le travail des animateurs méritait d’être illustré.
La réalisatrice met l’accent sur le travail et ce qui l’entoure. On se promène d’une séquence de travail à une séquence de défoulement dans un bar à une séquence de regroupement entre animateurs après le boulot, une beuverie, et on retourne au boulot.
Et pour compléter le portrait, les animateurs les plus sexy se voient offrir l’opportunité de travailler dans un club pendant la nuit où ils doivent danser, se trémousser et exciter les vacanciers, avant de retourner brûlés, complètement bourrés, pour une courte nuit, avant de retourner divertir les familles dans leur travail de jour. Un rythme complètement fou qui mènera certains d’entre eux au bord de la destruction.
Animal est structuré autour de trois personnages féminins de trois âges différents. De mettre en scène trois filles n’est pas anodin. L’univers du divertissement en est un principalement d’exposition de corps féminins.
« Je voulais explorer le spectacle lui-même — qui devrait apporter de la joie et du plaisir —, et comment les femmes s’y rapportent, les stéréotypes auxquels elles sont confrontées, les rôles qu’elles doivent jouer, les blagues qu’elles doivent assumer chaque soir et tout ce qui concerne l’exploitation de leur propre corps. »
Sofia Exarchou
Exploitation que les filles, volontairement ou non, nourrissent.
Les trois personnages centraux sont la petite Mary (Danai Petropoulea), qui a six ans; Kalia, la trentaine avancée et qui est animatrice depuis de nombreuses années et qui n’a pas de frontières entre son travail et sa vie; et Eva, presque 18 ans, qui est animatrice pour la première fois et qui ambitionne de faire partie de ce monde. Son histoire est une sorte de passage à l’âge adulte.
On pourrait voir ces trois personnages comme l’image d’une même personne qui aurait grandi dans ce monde particulier, à 3 moments de sa vie. Cela amène une certaine tristesse à cette histoire. Quand on voit la petite Mary qui apprend à bouger sensuellement pour divertir les vacanciers et qui assiste aux beuveries des jeunes adultes, on ne peut faire autrement que de juger Kalia et le père de la fillette, qui sont les deux seuls vrais adultes dans la place. Puis, quand on regarde Eva, 17 ans, qui semble tellement blasée et malheureuse dans la vie se lancer dans cet univers et se donner à un des gars alors qu’elle ne semble pas en avoir envie du tout, juste pour appartenir à cet univers, c’est triste et déprimant. Puis, on regarde Kalia qui, fin trentaine, se retrouve coincée dans cette cage où elle a grandi. À mesure que le film progresse, on la verra se perdre dans un tourbillon qui, on se demande, est peut-être ce qui se produit chaque été.
Pour montrer la mouvance et la rapidité avec laquelle tout se déroule, presque tout le film est tourné en « caméra à la main ». L’effet est efficace alors qu’on se sent happé dans ce tourbillon qui va beaucoup trop vite malgré une certaine lenteur dans l’écoulement du temps.
Ce long métrage est aussi un regard sur la solitude. Les animateurs sont toujours en groupe, entourés et pourtant, ils semblent tous souffrir de solitude. Une profonde solitude qui leur donne tous une apparence dépressive, blasée, triste.
Pour terminer, j’aimerais expliquer le titre qui, à défaut d’être évident, est bien pensé. Anima sans le « L » vient du latin et signifie « âme ». Le mot animateur dérive également d’anima – le métier dont le but est d’animer – pour remonter le moral des autres, pour qu’ils se sentent heureux et vivants. La réalisatrice aimait aussi l’idée qu’anima puisse avoir un sens complètement différent simplement en ajoutant la lettre L à la fin, évoquant toute la violence et l’agressivité, ainsi que l’intensité et l’énergie de cet environnement de travail, la lutte intérieure de ceux qui y travaillent et l’importance de leur propre corps.
Un animal qui, d’ailleurs, ne réfléchit pas et agit simplement par instinct…
Animal est présenté au FNC les 9 et 12 octobre 2023.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième