« Tu vois, ça, ce sont des sporophytes. Ce sont des tiges avec, au bout, des capsules. Et ces petites capsules vont s’ouvrir pour que les spores de la mousse se répandent. »

Stefan (Stefan Gota), un ouvrier du bâtiment roumain vivant à Bruxelles, est sur le point de rentrer chez lui. Il prépare une grande marmite de soupe avec les restes dans son réfrigérateur, à distribuer en guise de cadeau d’adieu à ses amis et à sa famille. Alors qu’il s’apprête à partir, il rencontre Shuxiu (Liyo Gong), une jeune femme belgo-chinoise qui travaille dans un petit restaurant tout en préparant un doctorat sur les mousses. Son attention pour le quasi invisible l’arrête net.

Avec Here, Bas Devos offre un film contemplatif qui questionne sur ce que ça signifie d’être humain. Un film misant sur différents thèmes pour y arriver.

Lent et… lent

Le film est construit de façon à mener le spectateur – comme les personnages – vers un moment de calme, un moment d’attention totale. Du coup, les plans sont souvent longs, et peu de choses se passent. 

Le début du film place assez rapidement la technique utilisée. Les premiers plans montrent des chantiers de construction, puis des espaces verts. Chaque plan dure de longues secondes. À ce moment-là, le spectateur va soit s’atteler pour une aventure tout en lenteur, ou décrocher directement. Les 10 premières minutes du film sont longues. J’ai moi-même failli décrocher. Mais, parfois, la persévérance rapporte. 

Cette lenteur est nécessaire pour que le réalisateur puisse passer son message. Après tout, si on veut vanter les bienfaits de prendre son temps pour vivre le moment présent, n’est-ce pas nécessaire de prendre son temps pour le montrer? 

Un point intéressant du film est que plutôt que de miser sur des images magnifiques et spectaculaires afin de montrer au spectateur la beauté de la nature, Devos utilise la technique inverse. Il présente la nature urbaine exactement comme elle est : jolie, douce, relaxante, mais pas réellement spectaculaire. Les plans sont bien composés afin que l’attention du spectateur soit bien dirigée, mais sans artifices. Certains pourraient dire qu’il s’agit d’une faiblesse, moi je dis que c’est une force. 

La mousse et les humains

« Ce film parle de boîtes de soupe, de graines, de racines et de la mousse molle sous nos pieds. Et par conséquent, c’est un film sur ce que signifie être humain. »

Bas Devos

Le réalisateur utilise la mousse comme une métaphore pour parler de ce « maintenant épais et fibreux » : intimement lié au futur et au passé, mais présent, et intensément lié à l’environnement, à la qualité de l’air et de l’eau environnants, à la quantité de lumière solaire. Le comportement humain trouve écho dans ces lits moelleux de végétation spongieuse. Shuxiu est le guide de Stefan, ainsi que celui du spectateur.

La mousse constitue un ensemble, un monde. Et c’est ce petit monde qui se trouve sous nos pieds que le réalisateur, par son personnage féminin,  nous amène à regarder à la loupe. Elle identifie les espèces nombreuses et variées que nous tenons entre nos doigts et les appelle par leurs mystérieux noms latins. Syntrichia laevipila, Kindbergia praelonga… 

« Nommer les choses est la première étape pour apprendre à les regarder, écrit Robin Wall Kimmerer dans son livre Gathering Moss. C’est une manière d’entrer dans une relation intime et enrichissante avec le monde. »

Et c’est à ça que nous invite ce film : entrer en relation avec le monde qui nous entoure et prendre conscience de ce qui nous permet de vivre. Here n’est pas un pamphlet écologique. Mais c’est une œuvre qui propose au spectateur de s’intéresser à ce qui vit sous ses pieds. Peut-être est-ce une bonne manière d’envisager le monde actuel et futur d’un autre point de vue.

Un peu plus…

Il y a des films qui demandent un effort intellectuel. Il y a ceux qui demande de mettre le cerveau à off. Entre les deux, il y a tout un monde. 

Here se positionne quelque part dans ce vaste univers de film qui demande un effort minimal pour ensuite se laisser guider tout en douceur. 

Here est présenté au FNC les 8 et 13 octobre 2023.

Bande-annonce