« La découverte d’un nouveau met, fait beaucoup plus de plaisir à l’humanité que la découverte d’une nouvelle étoile »
Pour ouvrir son festival, le FNC a opté pour La passion de Dodin bouffant. Film hautement français de par la thématique de la gastronomie qu’il aborde, sans doute pour ouvrir notre appétit de cinéphile comme le long métrage m’a donné un sérieux creux à l’estomac tant la réalisation de Tràn Anh Hùng filme la nourriture et les plats avec générosité, voire décadence.
Eugénie, cuisinière hors pair, est depuis 20 ans au service du célèbre gastronome Dodin. Au fil du temps, de la pratique de la gastronomie et de l’admiration réciproque est née une relation amoureuse. De cette union naissent des plats tous plus savoureux et délicats les uns que les autres qui vont jusqu’à émerveiller les plus grands de ce monde. Pourtant, Eugénie, avide de liberté, n’a jamais voulu se marier avec Dodin. Ce dernier décide alors de faire quelque chose qu’il n’a encore jamais fait : cuisiner pour elle
« Cela fait des années que je cherche un sujet sur la gastronomie qui est un travail et un art. Je suis finalement tombé sur La vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet, de Marcel Rouff. Il y avait là des pages magnifiques sur la gastronomie. »
Tràn Anh Hùng
Faut dire que Tràn Anh Hùng n’a pas fait les choses à moitié pour cette adaptation sur grand écran et son retour après 7 ans d’absence. Entre des plats filmés comme des œuvres d’art, des plans tout droit sortis des tableaux de Vermeer, tout cela avec une mise en scène qui lui a valu de partir avec un prix lors du dernier Festival de Cannes. Oui ce film transpire la passion et l’amour.
La scène d’ouverture dure 40 minutes. Un temps durant lequel on y voit le tumulte de la préparation et la dégustation d’un repas. Carré de veau, cailles, écrevisses, quenelles, petits légumes, bouillon doublement filtré, laitue soigneusement braisée, vol-au-vent, omelette norvégienne, tout y passe dans une sonate silencieuse durant laquelle les dialogues ont laissé place à de l’ASMR d’émincé de légumes, découpe de viandes, décorticage, et bruit d’assiettes.
Une séquence durant laquelle les coupes se font rares. La caméra, tout en fluidité, passe d’un personnage à un autre offrant un certain sens de dynamisme et d’immersion. Benoit Magimel (Dodin) et Juliette Binoche (Eugénie) maîtrisent l’art du regard équivoque et vindicatif, ne tombant pas dans une sorte d’interprétation excessive.
Ce film est beau.
Ce film est beau parce qu’il a l’élégance de nous rappeler qu’avant que la bouffe devienne fast food, c’est avant tout un art culinaire. Un plat ce n’est pas un simple agencement esthétique de comestibles, un plat c’est une histoire, une addition d’anecdotes aux ramifications historiques qui forge une partie de la culture d’un pays et dans ce cas : la bonne vieille gastronomie française.
Ce film est beau, car la photographie Jonathan Ricquebourg donne aux images des couleurs chatoyantes. Un film d’époque ayant une palette de couleurs oscillant entre les couleurs froides et chaudes. Chaque plan se donne l’air d’un tableau de Vermeer.
Oui, ce film bien qu’il puisse avoir des airs d’une grosse publicité, nous rappelle qu’au-delà de la cuisine, il y a aussi l’art de vivre sa passion et l’art de transmettre son savoir.
*********Aparté*********
« J’aime déterminer des déplacements des personnages et de la caméra qui permettent de créer un flux cinématographique intéressant et que, à l’intérieur de cet agencement, on puisse, dans le même plan, passer d’un plan très serré à un plan plus large, à un plan moyen, d’un moment en mouvement à un moment immobile, et ainsi de suite »
Tràn Anh Hùng
Juste avant le coucher du soleil, Dodin (Benoit Magimel) et Eugénie (Juliette Binoche) sont dans le jardin du château en train de savourer un café. La caméra filme Dodin avec un plan serré ou on le voit allumer sa pipe de profil. Eugénie est en second plan.
Petit à petit, le plan commence à s’élargir et dans le cadre on y voit Eugénie et Dodin de face en train de discuter et d’échanger. Par la suite, la caméra continue de reculer pour donner un très beau plan d’ensemble où on y voit le couple dans la verdure du jardin.
Je pense que cette séquence résume à elle toute seule, les propos de Tràn Anh Hùng. Il ne casse pas la fluidité de l’échange, la mise en scène est limpide, on est immergé dans ce décorum d’antan. Techniquement, c’est très fort. Par ailleurs, je souligne les interprétations des deux acteurs, habitué aux joutes des mises en scène audacieuses.
Au-delà de l’amour de la cuisine, l’amour humain est aussi présent et une sorte d’analogie entre les deux dimensions.
Dodin est aussi amoureux d’Eugénie. Sa fidèle cuisinière de 20 ans à qui il a proposé plusieurs fois de l’épouser. Le plat se transforme en une déclaration d’amour et d’affection.
« Un artiste de la gastronomie est celui qui a la capacité de distinguer des saveurs que nous ne savons pas distinguer aussi bien, et cette capacité de savoir mélanger, doser, équilibrer les goûts, les parfums, les textures, les consistances, la température… »
Quand Eugénie tombe malade, Dodin cuisine pour elle. Lorsqu’il la demande (une énième fois) en mariage, il confectionne un menu inventé spécialement pour elle, choisissant soigneusement les ingrédients, voulant à tout prix la conquérir.
Au final, La passion de Dodin bouffant dépeint le rapport entre l’art culinaire et la vie, comment ces deux dimensions se transposent ou l’une peut être un prisme de l’autre (on savoure le bon met comme on savoure la vie).
On peut lui reprocher son côté un peu trop bohémien ou son côté soft power français (d’ailleurs, le film représentera la France aux Oscars). Mais, cela reste un excellent moment de cinéma, plusieurs restent dans la rétine.
PS : Je vous conseille de manger avant d’aller le voir.
La Passion de Dodin bouffant est présenté au FNC les 4 et 12 octobre 2023.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième