「じゃあちょっと間きしますが。 人をわかるって、どういうことですか。」
[Eh bien, je vais prendre un moment. Que signifie comprendre une personne?]
Kanae (Yoko MAKI), la propriétaire des bains publics, est désemparée lorsque son mari, Satoru (Eita NAGAYAMA), disparaît soudainement. Lorsqu’elle parvient à rouvrir les bains publics, un homme mystérieux, nommé Hori (Arata IURA), vient vers elle et lui dit : « Je veux travailler pour vous ». Il finit par travailler comme employée temporaire, et les deux commencent une étrange vie ensemble. Pendant ce temps, Kanae décide d’écouter la recommandation de son amie Kanno, et elle engage un étrange détective, Yamazaki (ou Yamasaki, c’est selon) afin de retrouver son mari. Les sentiments que Satoru, Hori et même Kanae elle-même avaient enfouis au plus profond de leur cœur émergent progressivement.
Avec Undercurrent (アンダーカレント), Rikiya Imaizumi offre, dans ce drame obsédant, une vision inhabituelle d’un problème commun : comment pouvons-nous savoir ce qu’il y a réellement dans le cœur et l’esprit des autres?
Rarement le titre d’un film aura été si juste et représentatif de l’histoire complexe qu’il renferme. Il y a deux définitions principales au mot undecurrent, qu’on pourrait traduire par sous-courant.
Le premier est : débit d’eau du substrat, courant de fond. Le second : un sentiment troublant sous la surface.
Undercurrent renferme au sein de son histoire ces deux définitions. Kanae Sekiguchi dirige l’entreprise de bains publics de sa famille. Du coup, elle utilise cette eau comme substrat. D’ailleurs, le remplissage et le nettoyage des bains reviennent en boucle dans le film. On comprendra éventuellement que ce débit d’eau que l’on voit en gros plan sortir du robinet est aussi une image rappelant le débit d’une rivière. Rivière qui a une grande importance dans la résolution de l’intrigue. Car bien que le film de Rikiya Imaizumi soit un drame touchant et lourd, il y a aussi un élément de suspense. Le volet « enquête » garde le spectateur dans une sorte d’attente, de quête, pour découvrir si le mari de Kanae est mort, ou s’il s’est simplement poussé en abandonnant sa femme sans un mot. Il y a aussi l’autre grande question à savoir qui est ce fameux Hori san et pourquoi il est là.
Et finalement, l’idée du sentiment troublant sous la surface reste présent jusqu’au dévoilement final. Car, évidemment, Kanae possède aussi un secret qui la fait suffoquer. À ce niveau, une image reviendra à de nombreuses reprises dans le film. Kanae rêve (ou fantasme, elle n’en est pas certaine et nous non plus) qu’elle se fait étrangler en se faisant, en plus, pousser sous l’eau.
Le réalisateur joue habilement avec ces concepts de sous-courant afin de développer lentement une intrigue obsédante.
Undercurrent est un film magnifique. Mais il faut tout de même être prêt à se lancer dans une lente et longue escapade. Tout d’abord parce que ce long métrage est… long. Il dure presque 2h30. Ensuite, parce qu’il est lent et introspectif. Bien qu’il y ait une enquête, la majeure partie du film se déroule à la maison de Kanae et aux bains, adjacents à ladite maison. Des discussions et de longs silences remplissent le film de Rikiya Imaizumi.
Mais le réalisateur touche aussi à des sujets rarement abordés dans le cinéma japonais. Le plus troublant étant celui des disparitions et des enlèvements d’enfants. Le Japon est un des pays les plus sécuritaires, et l’était encore plus (apparemment), jusqu’au début des années 2000. Alors, lorsque le réalisateur met en scène deux disparitions d’enfants à quelques années d’intervalle, il y a un petit quelque chose de tabou. D’ailleurs, la réaction typique de l’époque, au Japon, est montrée dans le film lorsque Tajima-san raconte à Hori-san ce qui s’est passé plusieurs années auparavant. Il explique à quel point sa femme s’en voulait de ne pas avoir porté plus d’attention aux enfants du quartier. Car contrairement à chez nous, la sécurité est une histoire de société au pays du soleil levant.
Il faut aussi prendre quelques lignes pour parler des personnages. Ils sont bien présentés et travaillés. Vous savez, ces petits détails qui rendent un personnage vrai? Kanae occupe ses temps libres à éplucher les avis de décès et les histoires de suicides dans les journaux. C’est d’ailleurs une occasion pour le réalisateur d’attirer l’attention sur le nombre effarant de suicides qu’il y a dans la société japonaise chaque année.
Il y a aussi le vieux Tajima qui va aux bains presque chaque jour depuis que sa femme est décédée et qui apporte une douche de douceur à ce récit somme toute assez sombre. Il crée une sorte de lien entre chaque personnage : il joue avec la fillette d’une amie de Kanae, il joue à un jeu qui ressemble aux échecs avec Hori et il est un soutien psychologique pour Kanae, qu’il connait depuis qu’elle est petite.
Sans oublier le bizarre de détective. Il permet de détendre l’atmosphère par son comportement atypique. Une des scènes les plus décalées (que serait un film japonais sans une scène de ce type?) se déroule dans un salon de karaoke où le détective rencontre Kanae pour lui faire son rapport de recherche. Il lui annonce que son mari lui a menti sur un nombre incroyable de choses dès leur rencontre et qu’en fait, il n’est vraiment pas l’homme qu’elle croyait qu’il était. La femme est au bord des larmes, remplie d’un profond sentiment de détresse. Puis, il lui demande, sans aucune pause, si elle veut chanter. Puisqu’ils sont dans un karaoké, tsé… Évidemment, elle trouve la force de refuser. Il décide alors de chanter une belle chanson sur une personne qui réalise avoir été trompée par son épouse et qui est partie sans un mot. Vraiment de quoi donner envie à Kanae de sauter en bas d’un pont.
Undercurrent (アンダーカレント), adapté d’un manga (évidemment) est donc un film fort, qui créera un profond sentiment d’empathie, ainsi qu’une déprime chez le spectateur. Une œuvre à voir absolument.
Undercurrent est présenté au VIFF, les 28 et 30 septembre 2023.
Bande-annonce
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