Stellar - Une

Stellar – Le cinéma c’est aussi une vision intime du monde

 « From the sky it came. Mother earth willfully split the ground beneath the lake. Serpents swam again in this world. She and He braided in the rift. »
[C’est venu du ciel. La Terre Mère a volontairement fendu le sol sous le lac. Les serpents nagèrent à nouveau dans ce monde. Elle et Lui se sont tressés dans la faille.]

Stellar - affiche

She, interprétée par Elle-Máijá Tailfeathers, vit dans une ville qui n’est pas nommée, entre dans un bar anonyme et déguste un Scotch en solitaire. La nature, belle et vengeresse, s’anime de tous ses éléments. Pendant que le monde s’énerve sous les changements constants, She rencontre He, interprété par Braeden Clark, en silence avec un verre de bière à la main. Ensemble, iels essaieront de découvrir ce qui reste de permanent à travers l’être que même les histoires douloureuses ne savent éliminer; l’amour qui unit.

Dibaajimowin

Malgré les éléments qui se déchaînent et la Terre qui change, la vie humaine reste la même. Un amour naissant entre deux boissons, accompagné d’une chanson qui fait oublier le temps qui passe tout en laissant à deux cœurs qui s’aiment la chance de s’effleurer un instant; gênés et désireux d’un avenir incertain. 

Darlene Naponse critique avec beaucoup de subjectivité (autant avec les idées abordées qu’avec les images utilisées), comment le monde vu par ses contemporains n’est pas la seule vision qui existe de ce dernier. Les peuples autochtones sont bel et bien toujours présents et continuent de regarder leur univers se transformer; qu’il soit partagé ou privé. 

Stellar - Dibaajimowin

La première scène (un plan fixe sur un sol de pierres concassées et l’horizon nébuleux) raconte comment, il y a de cela 1.8 milliard d’années, un météore s’abattit sur Terre créant un des plus importants gisements de cuivre et de nickel. Un pied de nez à la culture occidentale dominante qui croit tout posséder; autant ce qui la précède que ce qui est censé lui succéder, en lui offrant faussement l’impression de savoir ce que le film raconte. Il ne s’agit que d’une élégante façon d’introduire l’idée d’une allégorie; une histoire qui n’est pas nécessairement factuelle, plutôt qu’elle est porteuse d’un sens plus grand qu’un simple évènement, tout en n’ignorant pas les faits.

Le scripte semble nous communiquer de profonds questionnements personnels de la part de madame Naponse sur le chemin à prendre; bref, comment continuer quand le passé donne l’impression de s’effacer derrière nos pas et que la suite des choses met de l’avant une impression d’insurmontabilité ou d’impasse? 

Ça prend de la force, montrer sa vulnérabilité

L’esthétique est indéniablement inspirante, portant avec elle la volonté d’évoquer des pensées et des sentiments plus forts que les mots (sans n’être que des sentiments amoureux). Elle dévoile aussi tous les récits qui traversent les êtres; certains plus simples à raconter quelquefois avec un silence et un touché.

Stellar - Ça prend de la force
She (Elle-Máijá Tailfeathers) et He (Braeden Clark)

Le rapprochement (je ne parle pas obligatoirement d’un rapprochement physique) des deux protagonistes est sans cesse interrompu par l’intrusion d’une ou plusieurs autres parties, ce faisant la narrative intime de She et He se retrouve cisaillée par l’intervention de la société qui manque d’empathie envers la vie privée. La seule exception est celle des Aunties, interprétées par Billy Merasty et Tina Keeper, qui ne restent pas plus de deux minutes à l’écran leur laissant leur proximité, mais sans oublier de montrer une autre porte pour sortir de cet enfer; une porte secrète et cachée. Peut-être que même face à un mur, il existe toujours une possible sortie sans avoir à tout briser? Celle-ci nécessitera toutefois de savoir changer légèrement sa manière de percevoir les choses (je rajouterais à ça qu’il serait bon de temps à autre d’avoir un loquet et une clef pour au moins pouvoir la barrer ne serait-ce que momentanément).

Un barman, interprété par Rossif Sutherland, s’éprend de panique face aux feux qui assiègent la ville (référence aux feux de forêts des dernières années? Cela n’est pas précisé); pendant que She et He, sourire en coin, tentent de le rassurer avec une légère condescendance (quoiqu’elle semble naïve et involontaire) comme on le fait avec un enfant apeuré. Ce dernier part finalement du bar; les laissant, là, à se resservir comme bon leur semble.

Vers la fin du film, un vieil universitaire vient avec une naïve (bien que pédante) volonté de bien faire, soutenant faribolement l’éducation que la mère de He a acquise à la sueur de son front. She and He se complaisent à renvoyer l’homme d’où il venait avec véhémence (ne doit-on pas respecter nos aînés?). Que croit-il connaître et que pense-t-il leur apprendre qu’iels pourraient trouver utile? On comprend qu’il est censé représenter l’institution avec un grand « I ». Cependant, les agissements des deux personnages principaux viennent se contredire dans ce qu’iels prétendent être durant le reste de ce long métrage. L’amertume d’une vieille bière ou d’un vin trop corsé soumet le palais à ne pouvoir complètement apprécier les arômes variés qu’offre le reste de la présentation.

Les dialogues empreints de sagesse, d’onirisme et d’harmonie viennent ironiquement être entrecoupés par des discours tristes, mais aussi, durs et haineux. Le regard sur l’arrivée des colons et ce qui s’ensuivit (au rythme effréné de l’exploitation de notre mère à tous), brisent les thématiques de paix que l’œuvre semble promouvoir.

Si on porte l’amour en soi, donc, il faudrait au moins essayer de la garder, peu importe la situation; à défaut, on finit par se sentir perdu ou tiraillé par chaque événement qui viendrait troubler nos habitudes d’être ce que nous pouvons être de mieux. Je ne dis pas de simplement tendre l’autre joue, mais d’être en mesure de reconnaître la possibilité de surmonter les obstacles, s’il y en a (ou tout au plus, la sagesse d’en connaître la différence).

Aadizookaan

Stellar c’est l’impression d’être à l’intérieur sans l’être vraiment. Un souvenir d’une époque révolue, au grand désarroi des deux protagonistes, où jadis l’humain vivait sans frontières, omis celles du cœur qui restent encore et malgré tout les plus difficiles à traverser. Deux êtres pris entre les valeurs ancestrales qui les poussent toujours vers l’avant et l’implacable modernité qui s’impose comme un mur. 

Stellar - Aadizookaan

J’écrivais ces dernières lignes tandis qu’à la radio se terminait une chanson que je n’ai pas reconnu, mais malgré tout très paisible (vous ne me voudriez pas dans votre équipe à La Fureur). Cette dernière fut suivie de deux annonces publicitaires. La première en était une de Linen Chest « le monde intérieur »… La deuxième publicité, une suggestion pour les patios extérieurs en tous genres… j’ai fermé la radio avant qu’elle se termine; un peu écœuré. 

Je suis, malgré tout, retourné à cet article en sentant avoir saisi quelque chose de nouveau. « Je ne dois pas juger hâtivement des actions ou des dires de mon prochain et laisser le droit à sa propre subjectivité ». J’ai, après tout, envie d’être compris moi aussi. Alors, comment crois-je pouvoir le rendre comme j’aimerais le recevoir? Pour cela c’est un effort mutuel et constant que je m’engage à entreprendre un peu plus chaque jour, sans pour autant penser faire changer l’autre.

L’humilité s’offre d’être une qualité qui nous permet d’apprendre beaucoup; encore faut-il savoir que l’on ne sait pas tout. C’est ce pour quoi je vous suggère de vous faire votre propre idée de Stellar, une œuvre aux propriétés uniques que chacun pourra tenter d’apprécier à sa façon.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Stellar
Durée
87 minutes
Année
2022
Pays
Canada
Réalisateur
Darlene Naponse
Scénario
Darlene Naponse
Note
7.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Stellar
Durée
87 minutes
Année
2022
Pays
Canada
Réalisateur
Darlene Naponse
Scénario
Darlene Naponse
Note
7.5 /10

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