« I do bad things sometimes. »
[Je fais de vilaines choses parfois.]
Lorsqu’un groupe d’amis s’échappe de la ville pour passer le week-end dans un hôtel abandonné, une énergie inquiétante et envahissante commence à éclairer les fissures de leur petite cellule familiale. Ruthie Nodd (Gayle Rankin) hérite de l’hôtel de sa grand-mère et avec de mauvais souvenirs d’enfance menaçant d’éclater à la surface, Ruthie veut vendre l’hôtel et ne jamais revenir. Mais sa compagne Cal (Hari Nef) tente plutôt de la convaincre de lui rendre sa gloire d’antan. Ils sont rejoints par leur aimable amie Maddie (Rad Pereira) et la mystérieuse Fran (Annabelle Dexter-Jones), dont la séduction désordonnée menace de creuser un fossé entre le couple. Alors que les amis dansent, cuisinent, flirtent et se battent dans les couloirs de l’hôtel, ils commencent à se retrouver indélébilement enlacés dans l’étreinte séduisante de l’hôtel et commencent à se faire du mal.
Avec Bad Things, Stewart Thorndike propose un film d’horreur d’un style efficace, rappelant The Shining. Le tout avec une perspective féminine rafraichissante.
L’idée derrière Bad Things était de faire une place aux femmes dans un style qui laisse, depuis longtemps, la position de tête aux hommes blancs hétéros. Et il faut dire que la réalisatrice réussit assez bien à donner une place forte à des femmes et, même, à mettre un homme en scène de la manière peu flatteuse que les femmes le sont depuis longtemps.
Dans ce film, il n’y a qu’un personnage d’homme. La réalisatrice expliquait ceci par rapport aux rôles des sexes dans le cinéma d’horreur :
« I did a little research with the slasher and how women are shown. It’s three times as long to see a woman get killed as opposed to a man. The way that we look at women dying is different, and it’s the savoring of their death. I decided to reverse it, and I wanted him to be covering his boobs and having to run and just savor his death. Everybody else gets a different kind of death that’s more abrupt, it’s not savored. You don’t luxuriate in their panic. I was just giving back a little. » [J’ai fait une petite recherche sur le slasher et comment les femmes sont montrées. C’est trois fois plus long de voir une femme se faire tuer qu’un homme. La façon dont nous regardons les femmes mourir est différente, et c’est par le fait de savourer leur mort. J’ai décidé de l’inverser, et je voulais qu’il couvre ses seins et qu’il doive courir et savourer sa mort. Tout le monde subit une mort différente, plus brutale, qui n’est pas savourée. Vous ne vous prélassez pas dans leur panique. Je voulais simplement rendre un peu la pareil.]
Stewart Thorndike
Il faut dire que la mort de ce seul homme est effectivement surprenante. C’est quand la dernière fois que vous avez vu un homme se sauver en hurlant, se faisant déchirer sa camisole? Personnellement, je ne suis pas certain d’avoir déjà vu ça. Ça amène à se questionner sur les inégalités qu’on affiche sans cesse dans nos films, ce qui contribue à les normaliser.
En plus de cette inversion, Thorndike propose des personnages féminins qui agissent avec force, de façon parfois froide qu’on associe généralement aux personnages masculins. Ruthie Nodd est toujours en nuance dans ce qui se passe dans la scène pour elle. Elle passe de la douceur à la brutalité, de la sanité mentale à la quasi-folie. Elle rappelle un certain personnage masculin culte dont je vous parlerai plus loin. Fran est quelqu’un d’instable qui amène un sentiment d’ambivalence à savoir si on veut la soutenir ou la balancer. Elle est une énigme. Elle a cette mystique, mais elle est chic et véridique. Quant à Cal, elle représente cette personne dure à définir et dont tout le monde est amoureux. Elle essaie de garder Ruthie à ses côtés, mais on ne sait pas à quel point elle est la manipulée ou la manipulatrice. Elle est celle autour de laquelle tout le monde tourne.
Ces personnages sont intéressants, mais c’est la place qu’ils tiennent qui est particulièrement délectable.
On pourrait dire que Ruthie Nodd est une sorte de Jack Torrance. Vous voyez qui est Torrance? C’est le personnage magistralement interprété par Jack Nicholson dans The Shining.
Mais la ressemblance avec le film de Kubrick ne s’arrête pas là. L’histoire se déroule dans un gigantesque hôtel vide. Mais un hôtel qui est beaucoup plus « féminin » que The Overlook. Mais alors que The Shining parle du fardeau de l’homme blanc, et de ses privilèges, qu’il est construit sur cette terre où des choses terribles ont été faites au nom du progrès de l’homme blanc, Bad Things lui, suggère que l’hôtel est un endroit où seules les femmes peuvent faire de mauvaises choses. D’ailleurs, les fantômes de l’hôtel sont tous des femmes.
Les autres ressemblances avec le classique de Kubrick sont multiples. On peut citer les conversations que Ruthie a avec un des fantômes lui permettant de prendre ses décisions, mais surtout les deux joggeuses presque jumelles qui hantent les lieux. Sans oublier cette petite fille étrange qui tente d’interagir avec les 4 femmes.
Mais la question demeure : Bad Things est-il une copie féministe de The Shining, ou est-ce plutôt une forte inspiration offrant presque un contrepoids en plaçant une femme à la place de l’homme?
Je reste incertain. Une chose est certaine, on sent que l’œuvre de Kubrick reste profondément ancrée chez Thorndike.
Ici, la réalisatrice utilise beaucoup le mouvement pour rendre son œuvre saisissante. Fondamentalement, il ne se passe pas grand-chose dans ce film où l’action laisse plutôt place à l’inaction. C’est donc la caméra qui crée du mouvement en bougeant constamment. Le résultat est assez réussi puisque le film n’est aucunement ennuyant malgré sa lenteur.
Ce qui me donne surtout envie de recommander ce film, c’est la façon qu’il a de redonner aux femmes une sorte de pouvoir dans le cinéma d’horreur qui a donné toute la place aux hommes pendant si longtemps. Au lieu de voir de mauvaises choses être faites aux femmes, nous voyons des femmes faire de mauvaises choses. La réalisatrice crée un espace en dehors du monde dominé par les hommes. L’hôtel est résolument féminin — tout mauve et laiton et de plus en plus rouge sang et laiteux — et est hanté par les fantômes des femmes qui sont tombées sous son charme.
Si The Shining a déchaîné un monstre autoproclamé du patriarcat, Bad Things y répond avec rage. Une rage purement féminine.
Un film qui nous rappelle que le cinéma d’horreur était, à la base, pour les gens qui ne sont pas dans le courant dominant. Peut-être qu’il serait temps que ce genre redevienne un lieu de prise de parole pour les gens n’étant pas dans le mainstream.
Bande-annonce
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