« She thought of Eve, how God created woman against her will from the rib of man. Now she created a child from Adam, whether he likes it or not. »
[Elle a pensé à Eve, comment Dieu a créé la femme contre sa volonté à partir de la côte de l’homme. Maintenant, elle a créé un enfant d’Adam, qu’il le veuille ou non.]
Hippo (Kimball Farley), un adolescent particulier, et sa demi-sœur d’origine hongroise, Buttercup (Lilla Kizlinger), luttent pour devenir adultes à la fin des années 1990 en Amérique, sous le toit d’une mère (Eliza Roberts) qui a été institutionnalisée au moins une fois.
Avec Hippo, Mark H. Rapaport propose une histoire inspirée du récit mythologique d’Hippolyte, un film créant un profond inconfort avec son style, ses thèmes et ses transgressions. Attention, cette œuvre pourrait en choquer plusieurs.
Hippo est un garçon narcissique et socialement inadapté, qui adore la confrontation, la violence et les jeux vidéo. Étant confiné depuis l’enfance avec sa mère et sa sœur, il ne connaît rien du monde que ce qu’il voit dans les jeux vidéo. Le jeu auquel il joue presque tout le temps s’appelle Body Harvest (collecter les corps), un jeu violent dans lequel on tue et ramasse des corps. C’est un peu l’ancêtre de GTA. Du coup, il a une vision du monde dans lequel il a tous les droits et il peut utiliser la violence pour régler ses problèmes. Sans oublier sa conception un peu étrange de la biologie humaine. Il imagine que le liquide visqueux qui sort de son membre est une sorte d’acide permettant de tuer les extra-terrestres. Rien de moins.
Buttercup (Lilla Kizlinger), sa sœur adoptive, elle, est une immigrante hongroise introspective qui ne s’est jamais vraiment sentie confortable dans sa famille adoptive américaine. Elle a eu une enfance catholique réprimée dans l’Europe de l’Est qui a fait naître en elle des convictions assez distinctives au sujet de la sexualité et de la grossesse. Secrètement, l’adolescente rêve de porter l’enfant de son frère adoptif, mais elle a aussi commencé à explorer d’autres options avec de purs étrangers. Pour elle, Craigslist est une banque appauvrie de donneurs de sperme potentiels ».
Buttercup et Hippo ont fait l’école à la maison et n’ont eu que peu de contacts avec l’extérieur. Leur mère est donc la seule personne d’autorité et la seule personne détenant la vérité. Elle a élevé son fils tel un enfant roi – ou plutôt un enfant-dieu – qui ne sait accepter la moindre contrariété. Dans une scène épique, au début du film, il démolit la télévision après être mort dans son jeu vidéo. Puis il ordonne à sa mère d’en acheter une nouvelle. Ce qu’elle fait, évidemment.
Rapaport fonce la tête baissée dans cet univers sans se gêner pour gêner les spectateurs en touchant à des tabous sans les montrer comme s’ils étaient tabous. Par exemple, le fait que Buttercup veuille avoir un enfant de son frère (malgré sa grande croyance catholique) n’est pas un enjeu au sens éthique. La seule raison qui ferait en sorte que ce ne soit pas possible, c’est que son frère ne voudrait surtout pas la tuer avec son liquide acide pouvant brûler n’importe quoi qu’il touche…
Je ne veux surtout pas nommer les autres tabous présents dans ce film, mais le réalisateur réussit habilement à créer de grands malaises chez le spectateur. Juste pour ça, Hippo vaudrait la peine d’être vu.
Si le contenu du film le classe déjà dans une classe à part, son style le fait tout autant. Tournée dans un noir et blanc qui rappelle les VHS des années 1990, ce long métrage a une atmosphère lourde que ce choix d’image appuie. Les séquences de discussion entre les personnages sont presque toutes malaisantes. La pire de toutes étant probablement le souper avec l’invité de Buttercup.
Le film est narré un peu comme un conte qu’on lirait à un enfant, dans un livre. Le narrateur explique ce qui se passe dans la famille, parfois dans la tête des personnages, parfois à la place d’un dialogue. Cette narration, comme dans un conte pour enfants, cède parfois sa place à des dialogues entre les personnages. Ça ajoute au malaise que ressent le spectateur qui a l’impression de se faire raconter un conte mignon, dans lequel il y a des désirs violents, incestueux et pervers. Sans oublier un troublant narcissisme de la part de Hippo.
Il s’agit, d’ailleurs, d’un film difficilement classable. Peut-être qu’on pourrait en dire qu’il s’agit d’un conte horrifique. Mais sans créatures effrayantes.
Baigné dans une mélancolie décalée, et dans une perversité étrangement polymorphe, Hippo transgresse. Soyez assuré d’être parfois choqué par ce que vous verrez ou entendrez.
Le réalisateur se serait inspiré de son adolescence traumatisante au sein d’une communauté très croyante. Espérons qu’il y a plus de fiction que de réalité dans son film…
Cette œuvre marginale, nous dévoile donc un auteur tout à fait unique. Un premier long métrage qui nous donne envie de voir ce qui suivra.
Hippo est présenté en première mondiale au festival Fantasia les 26 et 27 juillet 2023.
Bande-annonce
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