Les chambres rouges - Une

[Fantasia] Les chambres rouges – Incursion dans les méandres de la technologie sale

« Tsé Kelly-Anne, y’a une affaire que je comprends pas. Pourquoi t’es là, toi? »

Les chambres rouges - affiche

Kelly-Anne (Juliette Gariépy) se réveille chaque matin aux portes du palais de justice pour s’assurer une place au procès hyper-médiatisé de Ludovic Chevalier (Maxwell McCabe Lokos), un tueur en série duquel elle est obsédée. Au fil des jours, la jeune femme tissera des liens avec Clémentine (Laurie Babin), une autre groupie, ce qui l’extirpera momentanément de sa solitude étouffante. Mais à force de côtoyer les parents des victimes dans un procès qui s’enlise, Kelly-Anne a de plus en plus de difficulté à maintenir son équilibre psychologique et à assumer sa fixation maladive pour le bourreau. Elle tentera alors par tous les moyens de mettre la main sur l’ultime pièce du puzzle : la vidéo manquante du meurtre d’une des victimes.

Avec Les chambres rouges, Pascal Plante touche à des sujets rarement traités au cinéma, et d’une façon plutôt originale. Il propose ainsi un suspense efficace, quoique peut-être trop soft…

Le spectacle des procès de meurtriers

Pascal Plante a prouvé à plusieurs reprises qu’il apprécie les plans séquence lorsqu’il peut l’utiliser pour rythmer son film. C’est ce qu’il fait dans Les chambres rouges, en débutant le film avec un long plan-séquence de plus de 12 minutes pour montrer le début du procès de Ludovic Chevalier. Une bonne idée qui permet d’installer lentement, très lentement, ses personnages tout en montrant la lourdeur du procédé judiciaire.

Les chambres rouges - Le show des procès de meurtriers
La procureure (Natalie Tannous)

Le film se veut une critique du star-système qui entoure souvent les procès de meurtres sordides comme on l’avait vu avec Luka Rocco Magnotta. En mettant l’accent sur les admiratrices de ce genre de procès plutôt que sur le tueur, Plante amène un point de vu peu utilisé au cinéma ou dans les séries. D’ailleurs, le tueur n’a pas une seule réplique. Il est là dans un grand nombre de scènes, tel un fantôme qui observe. Le spectateur se demande à quel moment il réagira, répliquera, se fâchera. Mais il reste là, tel un fantôme, mais avec une présence incroyable. Ça existe un prix pour un personnage qui n’a pas une seule ligne de texte?

De l’autre côté du spectre, il y a les deux jeunes femmes, présentes à chaque jour du procès, pour assister au spectacle. Clémentine est là pour le défendre bec et ongles, alors que Kelly-Anne reste beaucoup plus impassible. Qui est-elle par rapport à Chevalier? Voilà la question que le spectateur se posera tout au long du film. Film qui prend ainsi le pari d’écarter le tueur au maximum afin d’épouser le point de vue de Kelly-Anne, une jeune femme énigmatique aux motivations polymorphes.

« Sans vouloir trop cantonner ma protagoniste dans un diagnostic psychiatrique, Kelly-Anne penche néanmoins vers le côté sociopathique du spectre ; vers l’hybristophilie (c.-à.-d. la paraphilie de quelqu’un qui est stimulé par des crimes atroces). Kelly-Anne est bien plus complexe que cette étiquette, surtout qu’elle n’est volontairement jamais expliquée par des éléments de son passé, et ce, afin de la faire exister au présent, en dialogue avec son environnement, sans simplifier ses agissements par psychanalyse. »

Je fais un aparté pour revenir sur quelque chose que j’avais déjà écrit. Je disais qu’on a cette mauvaise habitude de juger les accusés sans vraiment savoir ce qu’il en est. Par exemple, je citais le procès de Turcotte, en disant que les gens étaient prêts à le juger et le punir sans avoir assisté au procès, sans avoir accès à toute l’information. Monsieur/madame tout-le-monde devient juge et bourreau sans même connaître les détails, les circonstances et les faits. L’opinion devient l’avocat, le juge et le bourreau. Dans une scène particulièrement troublante, Clémentine appelle sur une ligne ouverte pour déclarer ceci : « Vous, vous étiez pas au procès, vous savez pas de quoi vous parlez. Vous savez rien. » Et, honnêtement, elle a totalement raison. Que l’accusé soit coupable ou non n’est pas important ici. Ce qui est mis en avant c’est qu’on est tous prêts à juger une personne sans qu’un procès ne soit tenu.

Du cinéma trop grand public

Vous me voyez venir avec mon « mais » n’est-ce pas? Pascal Plante traite de sujets troublants – l’ingérence de la technologie dans nos vies, la cybercriminalité, les agressions sexuelles sur des mineurs – en en faisant un film très édulcoré. Je ne dis pas qu’il aurait dû jouer dans le crado, ou montrer à fond des trucs dégradants et visuellement choquants. Mais il aurait pu frapper l’imaginaire en mettant une seule scène dans laquelle le spectateur serait profondément troublé. Cela dit, les scènes dans lesquelles il cadre serré le visage des actrices, avec la lumière rouge de l’ordinateur sont puissantes. Ça, c’était bien joué.

Les chambres rouges - Du cinéma trop grand public
Clémentine (Laurie Babin) et Kelly-Anne (Juliette Gariépy)

Je dois dire, tout de même, que la musique de Dominique Plante appuie à merveille le récit. Une musique poignante de dans un mélange de style allant du médiévalo-baroque au techno qui déchire. Une musique qui réussit à rendre marquantes certaines scènes, dont une qui est aussi visuellement magnifique lorsque Clémentine regarde une séance photo de Kelly-Anne.

Mais malgré ces bons moments, Les chambres rouges reste trop en surface pour en faire un vrai bon film. Ça reste un film très large public qui n’apporte pas grand-chose de plus que le fait de traiter sobrement des thèmes rarement abordés au cinéma d’ici.

Un peu plus…

Enrobé dans un cyber-thriller judiciaire, Les chambres rouges est une œuvre qui réfléchit (et critique) notre fascination collective envers les meurtriers. Un anti-film de tueur en série, en quelque sorte.

Les chambres rouges - Un peu plus

Parce que, saviez-vous que lorsqu’elle était au sommet de sa « popularité », on estime que la vidéo du meurtre de Jun Lin par Magnotta a été visionnée plus de 10 millions de fois en 24 heures. Qu’est-ce que cela révèle sur nos instincts profonds? Sur notre société? Aujourd’hui, être « fasciné » plutôt que « dégoûté » par un crime odieux est plus normal que jamais.

Il y a aussi la facette qui touche à la cyber sécurité qui est particulièrement juste. Les gens sont connectés comme jamais auparavant, sans réaliser les risques réels et les limites de ce qu’ils peuvent faire ou non en ligne.

Au final, on a un film qui plaira aux masses, mais qui laissera les gens qui aiment un cinéma plus poussé sur leur faim. Pour les intrigués, le film sortira en salles au mois d’août.

Les chambres rouges était présenté au festival Fantasia le 20 juillet 2023, en première nord-américaine.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Les chambres rouges
Durée
118 minutes
Année
2023
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Pascal Plante
Scénario
Pascal Plante
Note
6.5 /10

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Fiche technique

Titre original
Les chambres rouges
Durée
118 minutes
Année
2023
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Pascal Plante
Scénario
Pascal Plante
Note
6.5 /10

© 2023 Le petit septième