« On est juste des humains, ok. Pis on a beau enquêter pis soulever les problèmes, il se passe jamais rien. »
À quoi servent nos corps sur cette planète? Une rencontre fortuite avec une inconnue rappelle à Laurence un lointain souvenir. Depuis, confronté à l’authenticité de sa propre image, Laurence habite différents corps qui le ramènent sans cesse à ce souvenir enfoui dans des rêves mystérieux.
Avec Les lauriers, Laurence Ly propose une websérie à l’atmosphère onirique comme on en voit peu au Québec. Une série peut-être un peu difficile à suivre pour certains, mieux vaut être averti.
On parle souvent de l’atmosphère d’un film lorsqu’il s’agit de cinéma d’horreur ou d’un thriller. Mais on le fait rarement lorsqu’on parle de cinéma plus cérébral. On en parle encore moins lorsqu’il est question de séries. Arrive Laurence Ly avec sa websérie Les lauriers.
Pour que cette série située dans un univers onirique fonctionne, l’atmosphère était particulièrement importante. Car soyons honnête, lorsqu’un film se promène sur la fine ligne qui sépare le réel du rêve, même avec un scénario solide et une réalisation juste, si l’ambiance ne passe pas, on peut rapidement se retrouver avec quelque chose de ridicule.
Ici, il faut lever notre chapeau à Ly et son équipe pour avoir créé un univers crédible, aux frontières floues. Il faut tout de même dire que le premier épisode ne vend pas la série à sa juste valeur. Ce premier épisode – qui est d’ailleurs un peu plus long que les subséquents – crée une certaine confusion. Le spectateur risque d’être un peu perdu. C’est pourquoi il faut enfiler l’épisode suivant immédiatement. C’est là que l’étrangeté que met en scène le réalisateur capte celui qui s’y plonge.
D’ailleurs, à partir du deuxième épisode, l’image est incroyable. Les plans offrent souvent une profondeur dans laquelle on peut se perdre pour être soudainement rappelé à la surface par un élément qui attire notre attention. Ceux qui aiment des films dans le genre de Mulholand Drive (David Lynch) ou encore La grande noirceur (Maxime Giroux) aimeront certainement Les Lauriers.
J’ai pris le temps de rencontrer virtuellement le créateur de la série pour lui poser quelques questions sur son œuvre.
La série est dans un style très peu exploité au Québec, un genre d’onirisme dans lequel le spectateur n’est jamais trop sûr de la véracité de ce qu’il regarde. Ça peut rappeler un peu David Lynch. Qu’est-ce qui t’a donné envie de créer une série dans ce style?
J’adore David Lynch. J’ai eu envie d’emprunter certaines de ses réflexions et certaines de ses approches notamment par rapport au médium quand on pense à sa série Twin Peaks par exemple quand il passe de la télévision (saison 1 et 2) au cinéma (Fire Walk With Me) et de nouveau à la télévision (The Return) mais désormais actualisée à notre époque; ou encore à Inland Empire pour penser le cinéma et sa star (Laura Dern) avec une caméra vidéo. Ici, je voulais réfléchir aux rêves et à notre propre existence à partir de nouveaux petits écrans (cellulaire) et sa constante multiplicité.
Pour poursuivre dans le style, il faut dire qu’on doit rester attentif pour ne pas se perdre en chemin. À quel point tu t’es posé la question en créant là série? Ce que je veux dire, c’est à quel point étais-tu prêt à risquer de perdre des spectateurs pour aller au bout de ta démarche? Est-ce qu’à un moment tu t’es mis une limite pour ne pas dépasser un certain point?
En fait, je l’ai construite de manière à ce qu’on ne soit pas trop attentif et la meilleure manière de s’y retrouver, ce serait un peu en se perdant en chemin… Bon, c’est une phrase un peu creuse… Mais, bien sûr, il y a un fil narratif, sans doute pas évident je le concède. Du moins, pour moi, ce serait comme faire la rencontre de quelque chose, et cette chose nous amène à voir autre chose qui nous amène encore à aller plus profondément vers autre chose. Par exemple, au début du premier épisode, j’y ai mis, si on veut, une clé de lecture pour la suite. On y voit un plan sur un cellulaire d’une photo en couleur d’une femme d’origine vietnamienne (Alice Tran), qui devient une photo en noir et blanc, qui devient un contour tracé en noir et blanc et qui devient finalement une image animée en couleur. La limite, elle est là. J’installe des choses pour qu’on puisse appréhender la suite (pour qui veut bien les voir). Mais on peut aussi tout simplement les vivre et les sentir. La musique par exemple ne doit pas rajouter de la confusion. Elle n’est pas atonale et elle doit être sentie.
La série est divisée en 6 épisodes d’une moyenne de 9 minutes chacun. Chaque épisode ayant son propre titre, sauf les épisodes 2 et 3 qui sont dans une continuité plus directe que les autres. Pourquoi ne pas avoir simplement fait un épisode plus long et ainsi réduire à 5 épisodes la série?
À la base, justement, les épisodes 2 et 3 allaient ensemble. Puis, quelque chose ne marchait pas. J’essayais de monter d’une autre manière et ça ne fonctionnait toujours pas. Éventuellement, je voyais ces deux parties comme un miroir se reflétant l’un et l’autre. Alors, c’était mieux d’en faire deux épisodes qui portent le même titre, mais scindés en deux parties.
Parlons maintenant du titre de la série, si tu le veux bien. Au tout début du premier épisode, tu expliques ce que signifie le prénom Laurence, que porte le personnage principal. Tu fais le lien avec laurier, d’où le titre de la série. Mais Laurence est aussi ton prénom. J’aimerais savoir pourquoi avoir choisi ce nom? C’est assez rare qu’un réalisateur et scénariste dans ce cas-ci, donne son nom à son personnage principal. Peux-tu m’en dire un peu plus à ce sujet?
Oui, j’aurai aimé que le personnage puisse porter un autre nom parce que justement, ça m’agaçait que j’aie toujours à présenter mon projet aux autres avec un personnage qui a mon nom… Je me suis donné des excuses en me disant que ça reste un projet personnel…
Mais, le problème, c’est que je ne pouvais pas trouver une étymologie plus juste pour aborder le personnage. Vouloir porter le laurier, c’est quand même pas mal. Ou bien c’est juste moi qui vis plus intensément avec mon propre prénom, haha… Le prénom Laurence pouvait aussi être pour homme, femme, queer même (du moins, on peut l’envisager comme ça au Québec) et ça fittait drôlement bien avec les multiples Laurence; et, le prénom Laura, ben ça fait trop directement référence à Twin Peaks et mon amour pour David Lynch… Bref…
L’épisode 5 est de loin mon préféré. Il y a une séquence dans laquelle deux personnages se promènent en forêt et l’homme fait un long discours défaitiste sur l’inaction des humains alors qu’on connaît les problèmes : la guerre, l’environnement… D’une certaine façon, cette séquence sort un peu du contexte important de la série. Une scène qui reste très pertinente tout de même, d’ailleurs. Qu’est-ce qui t’a amené à mettre ce discours du personnage?
Merci! En effet, par souci de rendre ça « homogène » cette séquence a été tout un casse-tête. Et, tu veux toujours couper le moins de scène possible qui a été filmée parce que, ben, les gens travaillent bénévolement pour toi (et j’en ai coupé des bouts… malheureusement…). Mais, c’est con l’homogénéité et je l’aime beaucoup cette séquence. Dans ma tête, rendu à ce moment du récit, les choses allaient mal et on devient, en général dans la vie, défaitiste et on se met… hors du monde. On dit tout plein de choses qui vont mal pour s’excuser de rester en retrait. C’était ça l’idée.
Merci Laurence!
Pareillement!
Bande-annonce
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