« The first thing I ask someone who wants to join Wakaliwood, are you in love with what you’re going to do? »
[La première chose que je demande à quelqu’un qui veut rejoindre Wakaliwood, es-tu amoureux de ce que tu vas faire?]
Lorsque le « Tarantino africain » choisit un nerd du cinéma new-yorkais comme son prochain héros d’action, c’est le début d’une amitié qui rend leur studio sans budget mondialement connu. Mais à mesure que leur succès grandit, les tensions éclatent et menacent tout ce qu’ils ont construit.
Avec la limite de ses moyens, Nabwana doit faire preuve d’ingéniosité et de détermination pour réaliser ses projets, mais heureusement, il n’est pas seul. On dit parfois que ça prend un village pour élever un enfant, mais on pourrait aussi dire que ça prend un village pour faire un film.
Wakaliwood, c’est le surnom qu’Isaac Godfrey Geoffrey Nabwana, le cinéaste qui a fondé le studio Ramon Film Productions, donne à sa petite communauté, un quartier défavorisé de Kampala, la capitale de l’Ouganda. En récupérant l’iconique wood de la ville sacrée (Hollywood), Wakaliga s’inscrit dans la continuité d’autres endroits comme Mumbai en Inde (Bollywood) ou le Nigeria (Nollywood), des endroits où sont installées des industries cinématographiques prospères. Des cinémas qui se réapproprient les codes mis en place par la métropole américaine, mais qui produisent leur projet pour une fraction du prix.
Le suffixe wood peut par contre être réducteur, une manière d’américaniser des industries culturelles non-occidentales, mais dans le cas de Wakaliwood, c’est une influence qui est tout à fait assumée. Ce qui a d’abord nourri la passion de Nabwana pour le septième art, ce sont les films d’arts martiaux hollywoodiens de Bruce Lee, Chuck Norris et Sylvester Stallone des années 70-80.
Avec la limite de ses moyens, Nabwana ne peut pas aspirer à reproduire en toute fidélité ces films à grands déploiement. Pour compenser, le cinéaste ougandais doit faire preuve d’ingéniosité et de détermination, mais heureusement, il n’est pas seul dans son projet. On dit parfois que ça prend un village pour élever un enfant, mais on pourrait aussi dire que ça prend un village pour faire un film. Nabwana est ainsi parvenu à rallier toute sa communauté derrière ses projets, mettant à profit les forces de chacun(e)s. Les plus photogéniques deviennent acteurs, les plus agiles deviennent cascadeurs, les plus artistiques créent les décors et costumes, les plus manuels construisent les accessoires et le reste des habitants du village agissent comme figurants. En vrai alchimiste, cette équipe parvient à donner l’illusion du grandiose à partir de presque rien, ils transforment de la ferraille en hélicoptère et des voitures miniatures en accidents grands formats.
L’objectif ici n’est pas de créer une illusion parfaite, au contraire. Nabwana assume entièrement l’esthétique basse fidélité (lo-fi) de ses projets. Il faut ainsi envisager ses œuvres plus comme des pastiches propulsés par la comédie plutôt que par l’action. Ce ton ambivalent n’a rien d’unique, les films de Kung Fu parodiques sont un sous-genre en soi, mais ce qui fait l’originalité du cinéma de Wakaliwood, c’est le type de narration. Même si la majorité des Ougandais connaissent l’anglais, la majorité des films étrangers projetés en Ouganda sont accompagnés d’un doublage rappelant les bonimenteurs de l’époque du cinéma du muet. Contrairement à l’époque par contre, cet accompagnement est loin d’être uniquement pratique. À la manière des commentateurs sportifs, les narrateurs ne se contentent pas de décrire l’action, ils y ajoutent des observations complémentaires et leur enthousiasme contagieux nous engage plus vivement dans le récit de manière comique.
De l’autre côté de l’Atlantique, un cinéphile américain, Alan Hofmanis, tombe sur la bande-annonce du prochain film sorti tout droit de Wakaliwood, Who Killed Captain Alex? Il développe instantanément une fascination pour la passion pure qui émane de ce projet. Pour un cinéaste new-yorkais désillusionné par le consumérisme et le formatage de son industrie, cette approche décomplexée et DIY (Do It Yourself) du cinéma est un signe d’espoir. Pour renouveler son rapport avec cet art, il décide d’aller à la rencontre des gens derrière ce projet, prenant le premier vol vers l’Ouganda.
Avec une passion commune pour le cinéma, l’amitié et la relation d’affaires, entre Hofmanis et Nabwana s’installe naturellement. Once Upon a Time in Uganda, c’est avant-tout l’histoire de cette relation qui connaît des hauts et des bas au cours des dix années sur lesquelles s’échelonne ce film. C’est que, malgré une passion commune qui les unit, leur rapport à cet art est radicalement différent. D’un côté, l’Américain a choisi de fuir l’industrie Hollywoodienne pour se rapprocher d’une forme plus artisanale de la création, il a le luxe de considérer que ce n’est ni nécessaire, ni souhaitable d’avoir plus de moyens pour réaliser leur projet. De l’autre côté, l’Ougandais rêve que son industrie locale se développe, bien qu’il soit avant tout motivé par sa passion, il est également alimenté par le désir de pouvoir payer son équipe et redonner à sa communauté. Leur relation est ainsi bâtie sur une dualité irréconciliable, l’art et l’argent.
L’objectif pour la plus grosse (et seule) société de production de Wakaliwood est donc clair, rentabiliser leurs créations. Malgré la popularité de leurs films chez les locaux, ce type de divertissement n’est pas encore reconnu et valorisé par les élites. En Ouganda, comme ailleurs, il faut être reconnu à l’international pour acquérir une crédibilité et une reconnaissance chez soi. C’est là que Hofmanis met à profit ses compétences de publiciste.
Après quelques reportages et articles sur Wakaliwood à l’international, Nabwana reçoit enfin une visibilité dans les médias locaux et un financement pour développer un projet de série. C’est à ce moment que la relation entre les deux hommes se détériore. Pour Nabwana, c’est le succès qu’il attendait et il souhaite en profiter autant que possible, il veut continuer de développer ses projets à une échelle locale. De son côté, Hofmanis, ne voit ça que comme un point de départ vers quelque chose de plus gros, il a l’ambition d’une tournée à l’international.
Après avoir complété quelques projets en Ouganda, Nabwana accepte finalement d’aller à la rencontre de son public américain et il effectue son entrée dans l’industrie de manière fracassante avec une première dans une salle comble au TIFF. Ce triomphe digne des happys ends hollywoodiens évacue momentanément le dilemme moral entre l’art et l’argent, mais des questions demeurent.
Est-ce que le travail de création de Nabwana et de promotion de Hofmanis auront été suffisants pour implanter de manière permanente et profitable une industrie de cinéma à Wakaliga, et ce, sans dénaturer l’essence DIY et la passion authentique de leur projet? Seul l’avenir le dira. Chose certaine, Once Upon a Time in Uganda est un témoin primordial de l’émergence de cette industrie.
Bande-annonce
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