« Sound is based on vibrations.
That’s what we’re all made of anyway.
It’s all about matter and energy. »
[Le son est basé sur les vibrations.
C’est de quoi nous sommes tous faits.
Tout est de la matière et de l’énergie.]
Music for Black Pigeons est la première collaboration entre Jørgen Leth et Andreas Koefoed. Le film pose des questions existentielles à des musiciens de jazz influents tels que Bill Frisell, Lee Konitz, Midori Takada et bien d’autres : Qu’est-ce que cela fait de jouer et qu’est-ce que cela signifie d’écouter? Qu’est-ce que cela signifie d’être un être humain et de passer toute sa vie à essayer d’exprimer quelque chose à travers des sons? Les personnages se réveillent, répètent, enregistrent, jouent et parlent de musique. À certains moments, ils se retrouvent au bord de l’existence, se remettant constamment en question. Ils écoutent. Ils se consacrent à la recherche d’un espace pour créer une connexion avec quelque chose de plus grand qu’eux. Quelque chose qui nous survivra à tous.
Au cours des 14 dernières années, les réalisateurs ont suivi le compositeur danois Jakob Bro, témoin de ses rencontres musicales avec des musiciens acclamés et excentriques de toutes générations et nationalités. À travers les compositions de Bro, les personnages du film explorent l’espace musical et, ce faisant, répondent à certaines des questions posées par le film, d’une manière poétique, positive et divertissante.
S’il s’agit d’un documentaire relativement conventionnel, il est tout de même surprenant de voir Leth, véritable réalisateur vétéran de la scène expérimentale danoise s’attaquer à un film du genre. Ce dernier, surtout connu pour son court-métrage de 1968 The Perfect Human (devenu culte avec les années et canonisé dans The Five Obstructions en collaboration avec Lars von Trier), fut aussi réalisateur d’un certain nombre de documentaires à caractère anthropologique, son domaine d’étude principal. Ici, c’est son passé de journaliste culturel qui ressort alors qu’il suit avec son nouvel acolyte Andreas Koefoed plusieurs musiciens de jazz moderne se trouvant tous dans l’orbite du guitariste Jakob Bro.
Le film « suit » le guitariste durant deux périodes distinctes : premièrement en 2011, alors qu’il enregistre son nouvel album pour le mythique label de production ECM et enchaîne les concerts, dont beaucoup sont improvisés. La deuxième partie se concentre sur des motifs similaires, mais cette fois en 2021, en pleine pandémie. Si, tel que mentionné, la trame narrative tourne beaucoup autour de Bro, c’est surtout parce qu’il s’agit d’une excellente occasion pour le réalisateur de montrer son incroyable entourage, qui est composé de grandes légendes du jazz. Il est particulièrement intéressant de voir les interactions entre Jakob et Lee Konitz, saxophoniste légendaire pour avoir participé étroitement aux sessions studio de Birth of Cool de Miles Davis, qui donna naissance au genre éponyme (cool jazz). Konitz, mort en 2020 de complications liées à la COVID-19, est le plus vieux musicien du documentaire, et il est intéressant de le voir interagir avec une génération de musiciens plus jeunes, dans un style plus expérimental. C’est d’ailleurs lui qui donne le nom au film dans un incident relaté par Bro, ce dernier expliquant que Konitz n’avait souvent aucune idée de la musique qu’il allait jouait, se contentant d’improviser et espérer que Jakob aime.
Au niveau formel, rien n’étonne, mais rien n’a besoin d’étonner. À son niveau le plus simple, le film n’est qu’une série de portraits et d’entrevues entrecoupées de performances musicales en studio ou en concert. Cependant, là où cela indiquerait souvent un manque d’imagination, ici la simplicité joue à son avantage. Loin des distractions visuelles, nous pouvons nous concentrer sur ce que disent les musiciens et les réponses (très) abstraites aux questions intentionnellement vagues et existentielles posées par les réalisateurs. Ces derniers sont d’ailleurs visiblement très proches de leurs sujets, les ayant filmés durant plusieurs années, et ils peuvent en retour réellement s’ouvrir à la caméra de manière naturelle.
En somme, Music for Black Pigeons représente un effort accessible et sûr de la part de ses réalisateurs, mais il aiderait tout de même d’avoir un certain intérêt envers le jazz avant de s’y lancer.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième