« Vous êtes Yamashita, n’est-ce pas? Clairement Yamashita. »
Miyamatsu (Teruyuki Kagawa) partage sa vie modeste entre des emplois au téléphérique et de figurant dans des films de gangsters et de samouraïs japonais. Sans famille, sans amis ni souvenirs du passé, il traverse la vie en somnambule. Par une rencontre fortuite, il est confronté à une autre vie, la sienne. Son vrai nom est Yamashita. Il a une sœur et une histoire qu’il décide d’enquêter.
Avec Roleless (宮松 と 山下), le collectif May (Masahiko Sato, Yutaro Seki et Kentaro Hirase) propose un film qui joue avec la notion du film dans le film d’une façon nouvelle. Les réalisateurs touchent aussi à un tabou du monde du cinéma : le rôle des extras, ces acteurs et actrices inconnus qui sont pourtant importants dans le succès des œuvres.
Roleless est divisé en deux parties clairement distinctes. Dans le premier tiers du film, Miyamatsu nous est présenté dans sa vie remplie d’ennui. Par l’alternance entre la vie réelle du personnage, et les séquences de films dans lesquels il joue, les réalisateurs créent une sorte de confusion chez le spectateur afin de mieux démontrer l’ennui et le vide de la vie du personnage. La ligne entre réalité et le « film dans le film » n’est pas définie de façon claire avant qu’on le réalise à la fin d’une scène, lorsque le réalisateur dans le film crie カット! « couper! ». Il faut dire que le début du film crée une belle confusion alors qu’on a l’impression de se retrouver dans un film cheap. D’une certaine manière, ce début rappelle celui de One cut from the dead.
Puis, la deuxième partie met l’accent sur Miyamatsu qui tente de comprendre qui était Yamashita. D’ailleurs, le titre original traduit mieux cette recherche d’identité. On pourrait le traduire ainsi : Miyamatsu et Yamashita. Alors que le premier acte est plutôt amusant, voire cocasse par moment, le second est touchant et intrigant. Le spectateur se retrouve coincé dans un sentiment d’incertitude. Est-ce que cette ancienne vie était bien réelle ou est-ce que Miyamatsu se fait mener en bateau?
La finale du film, sans être éclatante, est franchement étonnante et réussie.
Un jour il a été coupé à l’épée dans un drame historique, un jour, il a été abattu avec un arc, un jour il est tombé sous une balle. Pourquoi Miyamatsu, un homme amnésique, joue-t-il chaque jour un personnage sans nom? Est-ce une façon de mourir chaque jour?
Au-delà de cette question au centre du récit, Roleless est une sorte d’hommage à tous ces gens qui jouent dans des films de façon régulière sans jamais recevoir leur moment de gloire. On a tendance à imaginer que d’être acteur signifie la gloire et l’argent facile. Mais pour chaque star, il y a des centaines de comédiens anonymes. Certains, comme Miyamatsu, deviennent des spécialistes de la figuration. Parfois, lorsqu’ils sont chanceux, ils ont une ligne ou deux à dire. Mais parfois, ils ne font que faire semblant d’avoir une discussion, en silence, pendant que l’action se déroule devant eux.
Il y a, au-delà des scènes dans lesquelles notre ami meurt, deux séquences particulièrement efficaces qui montrent la triste réalité de cet homme. La première se déroule pendant un tournage, alors qu’il doit faire semblant de prendre une bière avec un collègue alors que quelque chose se passera à l’avant-plan. Vous avez déjà eu une conversation, ou un rire, en silence, tout en devant donner l’impression d’une vraie conversation? Les réalisateurs montrent merveilleusement bien à quel point ces moments peuvent être inconfortables, voire ridicules.
L’autre séquence qui illustre bien la réalité de ce travail se déroule alors que Miyamatsu mange, seul, chez lui. Tout en avalant son repas en boîte, il fouille dans son étagère où sont entassés des dizaines et des dizaines de scénarios. En fait, ce sont plutôt des dizaines de feuillets de 2 ou 4 pages, représentant la partie de travail de l’acteur. Il regarde ce qu’il fera le lendemain, en lisant à voix haute la description de la scène et ce qu’il devra faire. Évidemment, il n’y a aucun dialogue…
Ce premier long métrage du groupe de réalisateurs May, qui a été invité à être projeté dans de nombreux festivals de films internationaux, est un film lent, surprenant et astucieux avec une superbe performance centrale de Kagawa.
Sans vraiment entrer dans la profondeur des troubles d’amnésie, les réalisateurs amènent tout de même une légère réflexion. Le film reste accessible et plaisant.
Roleless (宮松 と 山下) est présenté au TJFF, le 17 juin 2023.
Bande-annonce
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