« Non mi preoccupano delle fantasie dei bambini. Mi preoccupano di pui delle fantasie degli adulti. »
[Je ne m’inquiète pas des fantaisies des enfants. Je m’inquiète plus de celles des adultes.]
Rome dans les années 1970. Dans la vague des changements sociaux et culturels, Clara (Penélope Cruz) et Felice Borghetti (Vincenzo Amato) ne s’aiment plus, mais sont incapables de se quitter. Désemparée, Clara trouve refuge dans la relation complice qu’elle entretient avec ses trois enfants, en particulier avec l’aînée née dans un corps qui ne lui correspond pas. Faisant fi des jugements, Clara va insuffler de la fantaisie et leur transmettre le goût de la liberté, au détriment de l’équilibre familial…
Avec L’Immensità, Emanuele Crialese traite des enjeux familiaux de l’Italie des années 70, tout en y ajoutant une touche de modernité. L’inclusion du questionnement de l’identité de genre est toujours dangereux, mais en situant son histoire à une autre époque, le réalisateur réussit à traiter d’un enjeu crucial sans donner une impression de militantisme. Une belle réussite!
La famille est un des thèmes les plus récurrents du cinéma italien. Que l’on pense à des classiques de l’âge d’or de Cinecittà, ou à des titres plus récents comme La tenerezza la famille reste au cœur des préoccupations des Italiens. Dans L’Immensità, on la retrouve fragmentée, problématique, dysfonctionnelle.
« Je pense que L’Immensità est le point culminant d’un thème que j’aborde depuis longtemps, une exploration d’un type de famille qui ne semble pas offrir de protection, où les enfants n’ont aucun sentiment de sécurité, où l’amour conjugal, le travail d’équipe et les individus matures à admirer sont absents. »
Emanuele Crialese
Le réalisateur ne ménage pas, d’ailleurs, les techniques narratives et visuelles afin de montrer ce désordre familial. L’image assez sombre, dans des teintes de brun, dans la maison familiale. L’atmosphère est lourde et les dialogues sont courts, souvent limités au minimum. Les personnages sont seuls, ensemble. La majorité des dialogues se présentent sous la forme de chicanes entre les personnages. Le père ne semble être là que pour montrer sa supériorité envers sa femme ou pour punir et engueuler ses enfants.
Évidemment, il y a la question de l’époque. Mais dans ce cas-ci, il s’agit plutôt de montrer comment la violence et les abus détruisent les personnes au sein même de la famille si sacrée pour les Italiens.
Puis, il y a ce thème plus dérangeant…
L’Italie est, encore aujourd’hui, un endroit plutôt traditionnel. Certaines idées plus progressistes progressent très lentement. De ce fait, faire un film qui traite de l’identité de genre est particulièrement risqué. Mais dans L’Immensità, Crialese a eu la bonne idée de l’intégrer dans un film qui se déroule dans les années 1970. Cela permet donc de traiter d’un thème très actuel sans qu’il semble menaçant ou trop dérangeant.
Adriana (Luana Giuliani) est dans un état de refus de son nom et de son identité, et sa poursuite acharnée d’essayer de convaincre tout le monde qu’elle est un garçon amène la stabilité déjà fragile de sa famille à un point de rupture.
La situation est présentée dans une forme assez classique, mais réaliste. La mère, d’origine espagnole, est plutôt ouverte. Elle ne comprend pas vraiment pourquoi sa fille refuse d’être une fille, mais elle l’accepte ainsi et la supporte du mieux qu’elle peut. Le père, Italien très traditionnel et croyant refuse carrément d’accepter que sa fille veuille se représenter en Andrea. Et comme il est un homme respectueux et bon, il ne s’en prend pas à Adriana, mais plutôt à sa femme qui soutient sa jeune ado.
Dans son récit, le réalisateur amène un élément de malaise lorsqu’Andrea rencontre une jolie fille de l’autre côté d’un boisé interdit. Les deux adolescents tombent rapidement en amour. Ce qui n’est pas réellement un enjeu pour les personnages le devient rapidement pour le spectateur qui flaire le drame à venir.
Évidemment, chaque réunion de famille amène son lot de commentaire sur la jeune adolescente. La mère la défend alors que le père ressent de la honte. À un moment, Clara décide de répliquer à la mère de son mari, alors que la vieille femme lui dit subtilement que l’imagination d’Adriana est préoccupante. Elle lui réplique « Je ne m’inquiète pas des fantaisies des enfants. Je m’inquiète plus de celles des adultes. » Une belle façon de lui dire de se mêler de ses affaires.
Mais L’Immensità n’est pas seulement un film sur l’identité de genre. C’est un film sur une famille qui ne fonctionne plus et sur l’effet que ça peut avoir sur les enfants.
Car alors que les enfants cherchent autour d’eux des conseils – que ce soit une voix d’en haut ou une chanson à la télévision – tout change, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur d’eux-mêmes. Et ils n’ont malheureusement personne pour les guider.
Car ce rôle des parents est aussi transposé en celui d’un Dieu auquel les Italiens de l’époque croyaient ardemment. Dans une scène particulièrement touchante, Adriana vole des Osties afin de tenter de convaincre Dieu de la guérir de ce mal qui la possède.
Terminons avec un petit mot sur la musique et les extraits télévisés. 3 chansons très importantes constituent la trame sonore principale du film. La chanson thème a carrément donné naissance au film et lui a donné son titre : L’immensità, de Don Backy. Deux autres sont intégrées et ensuite réutilisées en remplaçant les protagonistes par les personnages d’Adriana et de Clara. Ces deux reconstitutions donnent à elles seules tout un sens à l’état d’esprit des personnages. Une idée simplement géniale qu’à eu le réalisateur d’intégrer ces séquences.
Pour ceux qui sont curieux, les deux pièces sont Love Story, de Patty Pravo et Johnny Dorelli, ainsi que Prisencolinensinainciusol, d’Adriano Celentano.
Voici donc un film à voir non seulement pour la réalisation, mais aussi pour le jeu des deux actrices principales, Penélope Cruz et Luana Giuliani, dans un rôle vraiment difficile et quelque peut risqué pour une jeune femme de cet âge.
Bande-annonce
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