Babysitter - Une

[FFO] Babysitter — Un conte étrange qui bouscule les codes du genre

« Si vous aviez vu ce que j’ai trouvé comme costume de Babysitter, vous auriez été super mal à l’aise. »

Le film Babysitter de Monia Chokri, adapté de la pièce éponyme de Catherine Léger, est un conte étrange qui bouscule les codes du genre en abordant de façon subtile et inventive la question de l’agression sexuelle banalisée et de la masculinité toxique dans la société québécoise contemporaine. Ce film tire ainsi son essence en plongeant plus profondément dans l’inconscient, et démontre la dérive d’un couple qui tente de se préserver des faux semblants.

Babysitter - Intro

Je pense que le rire est une très belle manière de faire passer des réflexions. Je ne dis pas « messages » parce que Babysitter n’est pas un film à message.

Monia Chokri

L’ultima maniera du Giallo – Détournement des codes du genre

Le film de Monia Chokri raconte l’histoire d’un père de famille (Patrick Hivon) qui, en embrassant une journaliste sportive en direct à la télévision, déclenche un scandale l’accusant d’agression sexuelle. Il est alors mis à pied pour plusieurs semaines, laissant sa femme (Monia Chokri) et son nouveau-né dans une situation émotionnelle très difficile. L’arrivée de la babysitter (Nadia Tereszkiewicz), bouleverse le couple et le film tout entier. 

Babysitter - Avais envie citation
La babysitter (Nadia Tereszkiewicz)

Babysitter tire son essence en plongeant plus profondément dans l’inconscient, et démontre la dérive d’un couple qui tente de se préserver des faux semblants.

« J’ai puisé mon inspiration dans le cinéma des années 1970, mais aussi dans les films érotiques de l’époque, qui ont maltraité le statut des femmes. J’ai utilisé les codes du genre pour les déconstruire », explique Monia Chokri. 

Le film de Monia Chokri explore avant tout la quête personnelle de la femme pour se retrouver elle-même. Dans une société qui la réduit à un objet, certaines femmes ont fini par abandonner et accepter cette réalité. Cette lutte quotidienne épuisante se manifeste à travers le couple formé par Nadine (interprétée par Monia Chokri) et Cédric (Patrick Hivon), dont les échanges limités, les regards dépités et les remarques cinglantes traduisent leur profond malaise au sein d’une relation supposée idéale.

Le personnage de Cédric est d’abord mis en lumière pour son comportement agressif, puis il est rapidement montré comme dépassé par la situation et impuissant à trouver une solution pour régler la situation. Ce personnage masculin, au fur et à mesure du récit, deviendra un véritable accessoire. Chokri manipule ainsi les codes de l’horreur (Slasher, Giallo principalement) et de la comédie noire pour déconstruire les attentes que l’on nourrit vis-à-vis des individus féminins et masculins tout en dénonçant les stéréotypes et les préjugés qui les entourent. En ce qui concerne le personnage de la babysitter, Amy, elle est introduite comme un élément perturbateur au sein de la cellule familiale. Elle met en lumière la manière dont les femmes sont souvent victimes d’une agression sexuelle banalisée et les dégâts que cela peut causer. Ce jeune personnage peut également se muer en un objet de désir, une victime ou un danger. On y fait ici écho aux films de Mario Bava et de Lucio Fulci ainsi qu’à d’autres films du genre, où la femme, pour ce qu’elle représente, est associée à la terreur. Elles y sont présentées de manière très érotisée, dégageant une puissance sexuelle qui devient alors une véritable menace. Elles sont dépeintes comme des créatures maléfiques, des sorcières ou encore des femmes dotées de pouvoirs effrayants.

Babysitter - Dans babysitter

Dans Babysitter, elles reprennent le pouvoir. Chokri renverse ainsi la vapeur en empruntant à l’imaginaire de l’horreur cette intention que : « L’horreur vient des personnages féminins parce qu’ils sont puissants. C’est la puissance des femmes qui effraie » comme elle l’explique en entrevue. De fait, pendant la moitié du film, Nadine est une silhouette en robe blanche qui, si elle ne semble pas hanter la maison, habite l’arrière-plan comme un fantôme. La force retrouvée du péjorativement nommé sexe faible se perçoit sur le visage en sueur du beau-frère face à Amy. Ce fervent féministe qui a poussé Cédric à constater sa misogynie et la peur de devenir ce qu’il combat. Ils subissent tous un monde hétéro-normatif, cisgenre, blanc, bourgeois et carré. Ils vivent dans un environnement lisse et stéréotypé. Rien ne dépasse et aucune place par conséquent n’est faite à la pensée ou à l’introspection. Un peu à l’image des films produits par les studios hollywoodiens dans les années 50. C’est LE modèle dans lequel la vie devrait être parfaite, et pourtant la vie de Nadine et Cédric ne l’est pas. Les protagonistes se débattent tous avec leurs propres anxiétés, névroses et obsessions. Il y a un aspect très proche de la vie, et même si la réalisatrice à fait de ce film un conte, les personnages sont très réalistes.

« J’avais envie d’évoquer le côté soyeux et plastique de Pleasantville », confie Monia Chokri.

La mise en scène de Monia Chokri est magnifiquement réalisée, malgré les contraintes techniques imposées par la pandémie. Les compositions des plans sont soigneusement travaillées, et les images sont si captivantes qu’on pourrait les encadrer et les accrocher au mur. La réalisation est appuyée grâce au travail de la directrice de la photographie, Josée Deshaies qui sublime l’image par une texture et une qualité particulière. Le grain de la pellicule en 35mm, associé aux costumes et aux décors aux couleurs pastel, contribue à l’esthétique onirique et surréaliste du film, mettant en valeur le sublime travail de Colombe Raby et de Pascale Deschênes. Tout cela est associé à une comédie grinçante et inventive, introduisant subtilement une inversion des genres. 

Babysitter est un film audacieux qui bouscule les attentes que l’on a envers les personnages féminins et renverse les rôles traditionnels. En comparaison à La femme de mon frère, cette comédie est bien plus maîtrisée, visuellement appuyé par des choix artistiques qui rendent service à son propos. La comédie noire et les codes de l’horreur sont habilement utilisés pour déconstruire les attentes que l’on nourrit vis-à-vis des personnages féminins et pour dénoncer les préjugés et les stéréotypes qui les entourent dans la société québécoise contemporaine.

Babysitter est présenté au FFO, le 7 juin 2023.

Bande-annonce  

Recommandation top 5 — Films de genre :

1 – Profondo Rosso – Dario Argento (1975)

2 – Les lèvres Rouges – Harry Kümel (1971)

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3 – Blood and Black Lace – Mario Bava (1964)
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4- Dressed to Kill – Brian de Palma (1981)

5 – The love Witch – Anna Biller  (2016)

Fiche technique

Titre original
Babysitter
Durée
87 minutes
Année
2022
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Monia Chokri
Scénario
Catherine Léger
Note
8.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Babysitter
Durée
87 minutes
Année
2022
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Monia Chokri
Scénario
Catherine Léger
Note
8.5 /10

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