« Volevo trasformarmi, evolvere, partire… »
[Je voulais me transformer, évoluer, partir…]
Pietro (Luca Marinelli) est un garçon de la ville, Bruno (Alessandro Borghi) est le dernier enfant à vivre dans un village oublié du Val d’Aoste. Ils se lient d’amitié dans ce coin caché des Alpes qui leur tient lieu de royaume. La vie les éloigne sans pouvoir les séparer complètement. Alors que Bruno reste fidèle à sa montagne, Pietro parcourt le monde. Cette traversée leur fera connaître l’amour et la perte, leurs origines et leurs destinées, mais surtout une amitié à la vie à la mort.
Avec Le otto montagne, Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch offrent une histoire d’amitié aussi pure qu’il est possible de l’imaginer. Une ode à la fragilité et à la force de tout être vivant, qu’il s’agisse d’un humain, d’un animal, d’une plante ou d’une montagne. Sans une once de cynisme.
Il y a deux thèmes centraux dans Le otto montagne : l’amitié et la paternité. Disons qu’il s’agissait d’un film parfait pour moi. La relation qui se développe entre Pietro et Bruno part de l’enfance, et évoluera jusqu’à l’âge adulte. Elle se traduit en une amitié tendre, fondée sur le respect mutuel, et où la compétition n’a pas sa place. Même si ce n’est pas toujours facile, chacun respecte la liberté de l’autre. Rares sont les films dans lesquels l’amitié entre garçons ou entre hommes est représentée ainsi. On l’a vu dans un film comme Close, de Lukas Dhont, une autre coproduction belge, qui s’est aussi retrouvée nommée à Cannes.
Tout au long du film, qu’ils soient enfants ou adultes, le spectateur ressent la tristesse que les 2 personnages éprouvent lorsqu’ils se séparent, et le bonheur qu’ils ont à se retrouver. Ils n’ont pas toujours les mots pour se le dire, mais ils se comprennent sans avoir à se parler. Pietro est l’archétype du chercheur, du nomade, jamais satisfait, toujours curieux. Bruno est l’homme qui escalade sans relâche la même montagne immense, concentré, obstiné, tout entier à sa tâche.
Les réalisateurs montrent cette relation comme étant l’union de deux solitudes, comme si les différences les unifiaient. Mais derrière leurs grandes différences, un point commun les unit : une relation difficile avec leur père.
Ayant perdu leur père respectif à un jeune âge, on sent qu’il y a ici un enjeu très personnel pour Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch. Peu travaillé dans la majorité des films de passage à l’âge adulte, c’est pour les deux Belges un thème indissociable du cheminement vers l’âge adulte : d’abord on rejette son père, puis on le comprend mieux en grandissant, on lui pardonne, on l’accepte tel qu’il est. Il y a aussi l’idée qu’au-delà des liens du sang, on peut aussi se choisir un père de substitution. C’est un peu le cas de Bruno qui sera, en quelque sorte, adopté par le père de Pietro, alors que ce dernier avait été envoyé à Milan pour étudier.
Le otto montagne met aussi en perspective cette image de perfection et de paradis que certains citadins entretiennent vis-à-vis de la nature. Il y a une scène assez marquante où Pietro invite quelques amis de la ville à visiter la maison que Bruno et lui ont bâtie dans la montagne. Les amis sont enchantés, ils se prennent à rêver de s’y installer, de vivre à nouveau en harmonie avec la nature, de faire pousser des légumes et de profiter d’une existence plus « simple ». Bruno se moque d’eux, parce qu’ils sont tellement déconnectés de la nature qu’ils ignorent tout de ce qu’implique réellement ce mode de vie.
Ce discours est rafraîchissant et nécessaire afin d’éviter le désenchantement que plusieurs gens de la ville vivent lorsqu’ils partent s’installer dans une région reculée pour vivre le « rêve » d’une vie plus pure et simple. Ça rappelle un autre film magnifique, As bestas, dans lequel on assiste justement à ce rêve brisé.
Ici, la nature est aussi une vision d’un certain retour aux fondamentaux. Je laisse les réalisateurs expliquer :
« Alors que le monde qui nous entoure semble devenir un peu plus fou chaque jour, c’était un véritable soulagement de préparer un film dont l’histoire et les personnages sont empreints d’honnêteté et de pureté, et aussi d’aborder les questions les plus fondamentales de l’existence. Durant l’enfance : trouver un ami avec qui jouer en toute liberté, courir dans les herbes hautes, patauger dans les rivières, chercher un trésor… Et plus tard : se détacher de ses parents, se trouver, faire face à la perte et aux regrets. Apprendre à croire en soi autant qu’on croit en l’autre. Et finalement : s’en remettre à la vie et accepter la mort. »
Adapté du roman de Paolo Cognetti qui décrit la vallée d’Aoste et ses habitants d’une façon très spécifique et caractéristique a amené les réalisateurs à prendre une décision risquée, mais intelligente, que Hollywood devrait prendre parfois. Ils ont préféré tourner en Italie et en italien, même s’ils ne parlaient pas la langue. C’est la seule façon de faire un film empreint de la réalité d’un lieu spécifique, surtout lorsque celui-ci est si particulier.
Afin de donner une image plus proche de la réalité que le film décrit, Felix Van Groeningen, Charlotte Vandermeersch ont décidé de créer un visuel plus proche de la pellicule, des films qu’on voyait dans les années 90, avec une image en 4/3. D’ailleurs, le film débute en 1984, pour s’étirer sur plus de 20 ans. Cette vision de la nature et de ce qu’implique la vie dans ce genre d’endroit reculé est tout à l’honneur des réalisateurs.
Si je poursuis ma comparaison avec As bestas, il y a un même message sous-jacent : lorsqu’on construit une route afin d’attirer les gens, c’est souvent une fuite des habitants qui se produit. De quelques centaines d’habitants, la région où se déroule le film se serait vidée jusqu’à se retrouver avec moins de 100 âmes. Et un seul enfant…
Cette histoire d’amitié, abordée comme on le fait pour une histoire d’amour, offre aussi une trame sonore magnifique, presque romantique. Le résultat est un film épique, raconté en une série de gestes infimes.
C’est la musique de Daniel Norgen qui complète l’œuvre. Si on se fie aux deux réalisateurs :
« il était le compositeur idéal, car d’une certaine façon, il est une version suédoise de Bruno. Comme Bruno, il vit à l’écart de la foule, dans les bois, sur sa propre montagne, où il a construit lui-même sa maison et son studio d’enregistrement. Il joue de nombreux instruments et il chante. Il trouve l’inspiration en flânant dans les bois. Sa musique est pure, elle vient du cœur. Il l’enregistre souvent sur un magnétophone à quatre pistes au son analogique incomparable. Il chante avec une voix d’une grande sensibilité, qui correspond parfaitement au film. »
Sélection officielle à Sundance 2023, et Grand prix du Jury à Cannes 2022, Le otto montagne n’est rien de moins qu’un grand film, une œuvre magistrale, comme le sont les montages dont il y est question.
Bande-annonce
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