[HOT DOCS 2023]_Samuel and the Light - The Last Relic - Une

[Hot Docs] Samuel and the Light | The Last Relic

Deux films incroyables sont à voir au Hot Docs et disponibles en ligne entre le 5 et 9 mai : Samuel and the Light se déroule dans un village traditionnel de pêcheurs sur la côte brésilienne qui disparaît pour laisser place à une station balnéaire, et The Last Relic est un documentaire exceptionnel pour mieux comprendre la Russie d’aujourd’hui entre endoctrinement et luttes d’insoumis bâillonnés par le régime de Poutine. 

Samuel and the Light – Et la bougie disparut 

Après sa première mondiale au festival Visions du réel en Suisse, le somptueux Samuel and the Light débarque à Toronto pour sa première nord-américaine. Ponta Negra est un petit village sur la côte de Paraty au Brésil. Lieu paradisiaque, le nez dans l’océan et le pied dans la forêt, il a conservé son authenticité où les habitants travaillent et vivent en harmonie avec la nature et dépendent principalement de la pêche et d’un modèle familial traditionnel. Le charme s’estompe néanmoins avec la misère apparente et l’absence d’électricité qui rend les tâches quotidiennes, qui là-bas reviennent aux femmes, très pénibles.

Samuel and the Light
Le petit Samuel

Vinícius Girnys y a posé sa caméra pendant six ans, suivant la famille nombreuse du petit Samuel et éclairant la première partie de son film le plus souvent à la bougie. Le cinéaste rend l’habitable rudimentaire de cette famille au bord de l’océan Atlantique d’une poésie délicate et sensible. Un port de pêcheurs à l’abri de la mondialisation. Loin de Kubrick avec Barry Lyndon, l’esthétique est provoquée par le réel, au rythme des vagues et de la nuit où les flammes des bougies dansent sur les murs et les lampes torches éclairent l’extérieur pour découper un cochon ou laisser place aux enfants pour jouer dans la forêt. 

Mais bientôt le village se transforme après la décision des politiciens locaux d’installer l’électricité afin de développer l’attractivité et le tourisme. Les villageois et les pêcheurs commencent alors à se préparer tout en rêvant, un peu naïvement, que leur village pourra sortir de l’oubli et de l’indigence. Des cabanes en bois se construisent petit à petit sur la plage : bar, sandwicherie, épicerie… Le petit Samuel ne comprend pas forcément ce qui se passe autour de lui et continue à jouer avec la flamme de la bougie jusqu’à l’installation de l’électricité. Le monde ancien et rural s’efface avec l’arrivée des premiers touristes, de la télévision, des jeux vidéo et des téléphones intelligents. Ces appareils entrent dans les chaumières et captent toute l’attention des enfants qui perdent tout un coup leur innocence et leur aura, dès lors qu’ils ressemblent aux jeunes générations en Occident. Un frigidaire traverse la forêt jusqu’à la maison de Samuel dans une scène presque surréaliste. Bientôt sa maison – authentique – fera rêver les touristes dont certains arrivent à toute berzingue sur la plage à bord de canots à moteur.

Vinicius Girnys
Vinícius Girnys

En 70 minutes, une triste métamorphose s’opère. Le petit village isolé de pêcheurs devient une véritable station balnéaire. Le père est contraint de changer de métier pendant la haute saison, servant les clients et transportant non plus du poisson dans son bateau, mais des caisses de bière. La musique électronique surgit, les lumières d’une boite de nuit scintillent, les feux d’artifice éclatent dans le ciel, les jeunes gens s’amusent, rient et crient – et nous ne pouvons que regretter le charme de la bougie qui éclairait quelques années plus tôt la maison de Samuel et le silence qui régnait la nuit dans le village avant cette transformation. Lorsque la fête est finie, des centaines de sacs poubelles sont évacués par bateau. Le recyclage s’opère, tentant de laver le paradis de Mère Nature Sali, voire meurtri, par l’action des êtres humains, avant que de nouvelles vagues de touristes ne déferlent à nouveau, comme les vagues qui s’écrasent inlassablement sur le sable fin.

Girnys filme avec un regard serein d’anthropologue ce changement progressif, souvent du côté du point de vue des enfants. Mais, il filme autre chose de plus profond encore avec la place de la femme réservée dans ce nouvel écosystème. Avec un mari autoritaire et sexiste, la mère de Samuel n’a pas le droit de discuter ni même de travailler sur la plage. Malheureuse, elle s’en va construire une petite habitation en bois avec l’aide de ses plus grands enfants : un petit chez soi pour échapper à l’emprise de son mari qui veut la garder muselée et femme au foyer. Elle a envie d’éteindre la bougie et de disparaitre. Pour renaître autre part.

Fiche technique

Titre : Samuel and the Light
Catégorie : World Showcase
Durée : 65minutes
Année : 2023
Pays : Brésil
Écriture et Réalisation : Vinícius Girnys
Note : 8,5/10

En salle les 3 et 7 mai

Disponible en ligne entre le 5 et le 9 mai

Bande-annonce  

The Last Relic – Pauvre jeunesse

Première mondiale au Hot Docs, sélectionné dans la compétition internationale, The Last Relic est un bijou à la fois implacable et consternant sur la Russie contemporaine d’une grande qualité cinématographique. Marianna Kaat, l’une des réalisatrices de documentaires estoniennes les plus importantes et récompensées, a posé sa caméra pendant plus de 4 ans, juste avant le début de la guerre en Ukraine, à Yekaterinburg, la quatrième ville la plus peuplée de la Fédération de Russie. Ville pleine de contradictions entre la vénération du passé de la grande Russie impérialiste et du présent, Kaat filme un microcosme emblématique telle une photographie de la société bureaucratique et civile pour mieux comprendre la Russie contemporaine. Cette Russie qui lave les cerveaux des plus jeunes, qui emprisonne les dissidents contre le régime du Président russe et qui envahit l’Ukraine.

The Last Relic - La cinéaste

La cinéaste a chapitré son film qu’elle a découpé enplusieurs parties, thématiques, séparées par des cartons en gros lettrage blanc – Hope – Holiday – Solidarity – Rules – Rehearsal, etc. – comme autant de réalités ambivalentes de la Russie d’aujourd’hui. À Yekaterinburg on vénère le tsar Nicholas II assassiné par les Bolchevicks en 1918 et on espère son retour et avec lui le retour de l’impérialisme. Au cœur de la propagande et du patriotisme à outrance, Kaat filme des scènes d’un autre temps : des bals où concourent des jeunes vêtus de robes de princesse et d’habits de prince sous le regard des notables de la ville, des parades militaire et religieuse, et des chœurs et défilés d’enfants en costumes traditionnels. La fixité de la caméra et les plans larges accentuent la rigidité d’un système collectiviste fascisant. Les enfants semblent endoctrinés dès leur plus jeune âge et la cinéaste surprend une scène qu’elle filme de loin où des jeunes autour de 10 ans jouent dans un arbre au cœur de l’hiver en avançant que Poutine est le plus fort avec sa ceinture noire de karaté et le leader le plus stratégique. « Il n’y aura pas de guerre avec lui ».

The Last Relic - La force de

La force de l’œuvre de Kaat est de suivre en parallèle un groupe d’activistes et un adolescent militant, suivant les pas du célèbre opposant russe Nalvany (qui a fait l’objet du documentaire Nalvany, Oscar du meilleur film documentaire cette année). La cinéaste fait de ces personnages dissidents le fil rouge de son film, qu’elle suit dans leurs rassemblements et manifestations en arborant des pancartes comme « Tu n’es pas notre tsar », sous l’œil pervers des agents de l’administration qui filment les scènes pour recueillir les preuves par l’image. 

Certains de ces militants se retrouvent jugés puis emprisonnés dans des procès en forme de mascarades organisés par la bureaucratie russe. La cinéaste parvient par miracle à s’insérer dans les procès et à filmer, toujours avec des plans fixes, gardant ainsi une distance et une impartialité dans sa mise en scène. Dans une scène remarquable, le juge appelle deux témoins qui font partie de l’administration corrompue et l’avocat de l’accusé demande : « Mais où est la preuve de la culpabilité de mon client? » Et le témoin répond : « Dans les dossiers », désignant des grosses boîtes posées sur la table, comme autant de « preuves » pour accabler les opposants au régime et les empêcher de se défendre équitablement. Dans un autre procès, comble du ridicule, on accuse même un opposant d’avoir lu dans la rue des passages de la constitution de la Fédération de Russie.

Loin des clichés d’une Russie soudée derrière Vladimir Poutine, Marianna Kaat parvient à donner vie grâce à son travail à un pan de la population russe, transgénérationnelle, qui se rebelle et qui est réduite au silence.Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire là-bas et il faut un courage héroïque de crier haut et fort ses opinions dans l’espace public. Pourtant, dans un musée d’histoire de la ville de Yekaterinburg, la cinéaste suit l’adolescent activiste au cœur d’une installation d’archives filmées et sonores où on y entend la phrase « Nul ne peut être contraint d’exprimer ou de rejeter des opinions et des croyances » : paradoxe dans une Russie contemporaine qui bannit toute liberté de la presse et toute liberté d’expression.

The Last Relic - Dans la dernière partie

Dans la dernière partie intitulée « Répétition », une parade militaire, orchestrée au millimètre près par de jeunes gens, se déroule dans la ville sur une musique classique harmonieuse. Puis dans un bruit sourd, les chars rejoignent le cortège. La cinéaste cadre en plan fixe d’un seul point de vue et utilise la figure du jump cut dans un sens du montage percutant en faisant succéder rapidement divers passages du cortège miliaire et en y mêlant des scènes de bals afin d’accentuer la démonstration propagandiste et l’endoctrinement de sa jeunesse. Avant le début de la guerre, tout un pays était déjà en marche. Ils ne le savaient pas encore, mais ces jeunes allaient devenir bientôt tout autant victimes que bourreaux, mourant au combat et donnant la mort à cause d’une chimère imaginée par un régime totalitaire. 

Fiche technique

Titre : The Last Relic
Catégorie : International Spectrum
Durée : 104 minutes
Année : 2023
Pays : Estonie / Norvège
Écriture et Réalisation : Marianna Kaat
Note : 9/10

En salle les 29 avril et 2 mai

Disponible en ligne entre le 5 et le 9 mai

Bande-annonce  

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