Cette année, le festival Hot Docs propose une fois de plus la collection de courts-métrages Citizen Minutes, qu’ils commissionnent eux-mêmes. Ce programme composé de sept films met en scène des « Canadiens ordinaires qui font des choses extraordinaires pour améliorer leur communauté. »  

Qu’il s’agisse d’initiatives citoyennes pour enjoliver le quartier ou de victimes militant pour une vie meilleure tout en faisant face à une société qui les laissent tomber, ces individus ont décidé de prendre le taureau par les cornes afin d’être le changement qu’ils désirent voir. Si le traitement de ces courts-métrages propose une saveur davantage informative que formelle, il ne faut pas y voir là un manque de volonté de transgression; au contraire, les images et sujets vont droit au but, aussi inconfortable que cela puisse rendre. Sept films, parfois drôles, parfois frustrants, mais toujours inspirants, à ne pas manquer.

Mind Check 1-2, 1-2

Mind Check 1-2, 1-2 dresse le portrait d’Akintoye, un jeune rappeur torontois de 23 ans et sensation virale sur le réseau social Tik-Tok. Déterminé à renverser les clichés habituels du hip-hop et souffrant d’anxiété sociale, parfois de manière assez extrême, il réalise vite le potentiel que peut avoir une plateforme comme Tik-Tok sur la santé mentale des gens, particulièrement chez les jeunes, pour qui le problème s’est aggravé en pandémie. 

Si le film semble en surface parler de hip-hop et que le réalisateur, ancien slameur, semble s’être principalement intéressé à son sujet pour cette raison, il devient vite une réflexion sur l’anxiété généralisée vécue par les jeunes de 18 à 25 ans. Bien que le jeune rappeur semble a priori incompris par ses parents, immigrants nigériens de première génération, de par le fait que son père explique qu’au Niger il n’y a pas de place pour les sentiments, et plus particulièrement chez les hommes, il est intéressant de voir Tik-Tok être utilisé de manière aussi rassembleuse et positive. À travers Akintoye, beaucoup de jeunes délaissés trouvent un ami et une communauté encourageante ou tous.tes peuvent se sentir à l’aise de partager leurs sentiments négatifs sans la peur d’être jugé.

Fiche technique

Titre original : Mind Check 1-2, 1-2
Durée : 10 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisateur : Ian Keteku

Sisterhood Softball

Sisterhood  Softball se tourne davantage vers une communauté, ici une ligue de balle molle composée entièrement de femmes musulmanes, première communauté de ce genre en Amérique du Nord. 

Pour ces femmes, si elles trouvent évidemment plaisir à se réunir régulièrement pour pratiquer un sport qu’elles affectionnent, il s’agit aussi et surtout d’une action de résistance. Traditionnellement, celles-ci ne pratiqueraient pas un sport de manière aussi ouverte de par le risque que cela représente aux yeux de leur communauté. C’est ainsi qu’à travers la réalisation de Farhiya Ahmed transparait le désir de dresser un portrait nuancé des communautés immigrantes urbaines en démontrant une réelle envie de montrer le quotidien joyeux de ces femmes tout en ne délaissant pas la réalité sous-jacente souvent déplaisante de la discrimination à leur égard.

Fiche technique

Titre original : Sisterhood Softball
Durée : 8 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisatrice :Farhiya Ahmed

Rising from the Ashes

Encore un film dépeignant davantage une belle petite communauté qu’un individu, Rising from the Ashes dresse le portrait du Dep Sylvestre. Espace né de la nécessité de confronter le problème grandissant de l’isolation sociale chez beaucoup de citoyens gatinois, cette coopérative met en place des espaces de socialisation à travers des ateliers d’engagement citoyens ou des soupes populaires où tout le monde peut se sentir à la maison.

Si le film laisse sous-entendre des sujets très sérieux tels que l’isolation, la dépression et la maladie, il serait difficile de le deviner qu’en regardant les citoyens qui fréquentent l’espace, tant ceux-ci transpirent la joie de vivre. Beaucoup de personnages du film témoignent des belles rencontres qui se sont faites dans cet ancien dépanneur (dont il ne reste que le nom), ainsi que de leur bonheur d’avoir trouvé une maison où occuper leurs journées et redonner à la communauté. À l’Espace Dep Sylvestre, quiconque y entre peut laisser à la porte ses ennuis, du moins le temps de quelques heures, et y trouver une nouvelle famille.

Fiche technique

Titre original : Rising from the Ashes
Durée : 11 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisatrice : Sara Ben-saud

Janelle Niles : Inconvenient

Janelle Niles est une femme noire, mi’kmaw, two-spirited (terme employé par certaines nations pour définir, à son plus rudimentaire, un « troisième » genre qui peut soit être une mixité d’appartenance au genre masculin et féminin, soit s’y opposer complètement) de la Première Nation Sipekne’katik en Nouvelle-Écosse et une comédienne de stand-up. Malgré une éducation tumultueuse, Janelle confronte son héritage mixte, embrassant son expérience biraciale et son identité queer. Janelle utilise le stand-up pour inaugurer une nouvelle ère de comédie canadienne inclusive.

Pour ce faire, elle se rend régulièrement au Eddy’s Diner afin de performer ses routines de comédies devant un public composé autant de personnes blanches que de membres des Premières Nations. Elle utilise d’ailleurs cette mixité culturelle à son avantage, n’hésitant pas à mettre de l’avant un humour auto-dérisoire mais provocateur révélant le racisme habituel et quotidien dont elle est témoin. Très consciente de rendre son public blanc inconfortable, elle utilise davantage cet inconfort comme outil de communication tout en tentant de se faire une place dans un monde traditionnellement dominé par des hommes blancs, restant au passage en contact avec ses racines. Une belle réflexion sur un monde qui m’était méconnu.

Fiche technique

Titre original : Janelle Niles : Inconvenient
Durée : 9 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisatrices : Kelly Zemnickis & Cass Gardiner

Do You Hear What I Hear?

Dans Do You Hear What I Hear?, la réalisatrice Cat Mills nous rappelle un problème résolument moderne et tellement omniprésent (du moins dans les communautés urbaines) que la plupart ne s’en rendent même plus comte. Klaxons, mufflers et travaux de la ville; le paysage sonore perpétuel de Toronto. Marre des nuits blanches, un couple de militants se bat à la mairie dans l’espoir de faire changer les règlements obsolètes sur le bruit.

Ce film est plutôt court (oui, je sais, même pour un court métrage) mais il va droit au but. Une des intervenantes nous explique des règles méconnues ainsi que les dangers associés à la pollution sonore, qui peuvent s’avérer très graves (tels que… le diabète? Malheureusement, le film ne creuse pas plus en profondeur…) Comme dans beaucoup de films de ce type, il est frustrant de témoigner de l’inaction du gouvernement face à des problèmes qui affectent la grande majorité de la population, mais il reste réconfortant de voir des gens tout de même se lever et militer pour un changement, aussi improbable soit-il, à cet égard.

Fiche technique

Titre original : Do You HearWhat I Hear?
Durée : 8 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisateur : Cat Mills

Loud and Here

Après avoir remarqué trop de cas de violences sexuelles non signalés ou impunis dans leurs propres écoles, 23 adolescentes décident de prendre les choses en main pour apporter des changements significatifs à la politique des commissions scolaires à travers le Québec. Pour ce faire, elles créent le collectif La voix des jeunes.

Bien que la plupart des gens (en dehors des institutions, bien sûr) soient relativement conscients et conscientes, ou du moins de plus en plus, des problèmes reliés aux violences sexuelles, il est toujours frappant de nous faire rappeler, surtout en tant qu’hommes, l’ampleur et la forme que celles-ci peuvent prendre. Dans cette optique, la réalisatrice Josiane Blanc n’hésite pas à nous remettre le problème en plein visage; dès les premières secondes, on nous informe que près de 62% des victimes de violences sexuelles sont des personnes mineures (dont la grande majorité étant des femmes) alors que ceux-ci ne représentent que 20% de la population. Ces agressions ne sont pas seulement commises par des gens de leur âge; parfois, il s’agit aussi d’un adulte, d’un professeur en position d’autorité, et jadis, de confiance. Bien sûr, ces statistiques omettent une grande partie des victimes n’osant même pas aller jusqu’à déclarer de telles agressions, de peur de se faire ridiculiser, de vengeance de la part de leur agresseur ou tout simplement de ne pas se faire prendre au sérieux. 

Il est bon de voir que la réalisatrice n’hésite pas à pointer certains responsables du doigt, tel que dans une scène où les jeunes regardent la télévision pour voir Bernard Drainville maladroitement éviter la question des agressions sexuelles dans les milieux scolaires. Cette scène témoigne justement de la nécessité de ce type de film : le gouvernement ne se lève pas pour ces jeunes, et tel que les membres du collectif le disent elles-mêmes, elles non plus ne devraient pas « avoir ces responsabilités d’adultes », en plus du traumatisme qu’elles ont vécu. Un film percutant sur un sujet malheureusement de plus en plus pertinent.

Fiche technique

Titre original : Loud and Here
Durée : 12 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisatrice : Josiane Blanc

Ancestral Threads

Pour clore la projection, Ancestral Threads suit Joleen Mitton dans sa mission d’utiliser la mode comme baume pour la communauté autochtone de Vancouver. Le parcours de Joleen en tant qu’ancienne mannequin de mode l’a amenée à devenir une leader de la communauté durant la Semaine de la mode autochtone de Vancouver. Cet événement est le premier du genre et l’œuvre de toute une vie pour Joleen.

Ce qui perce avant tout l’écran et malgré le sérieux des sujets, c’est le plaisir qu’a le réalisateur Sean Stiller à filmer. Ce dernier parvient à démontrer autant les célébrations festives de l’héritage culturel de ses sujets que les profondes blessures sous-jacentes inhérentes à ce type d’intervention. Un film inspirant qui vient très bien synthétiser la plupart des enjeux qui ont été démontrés durant la projection Citizen Minutes.

Fiche technique

Titre original : Ancestral Threads
Durée : 12 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisateur : Sean Stiller