« Es-tu une chose vivante? Comment le prouves-tu? »
Dans la nature, tout est en équilibre. Dans le cercle de la vie, qui ne finit jamais, chacun a sa tâche – plantes et champignons, insectes et animaux… Cet orchestre hétéroclite trouve toujours son rythme.
Reconnaissant la spécificité de l’être humain, ce film examine quelles sont nos possibilités de participer à cette cocréation de la nature. Pendant près de sept ans d’exploration de la campagne périphérique de l’Estonie, ce voyage met au premier plan les rythmes quotidiens des gens ordinaires, composant un évangile analogique d’un microcosme, qui a consciemment ou inconsciemment rejeté la doctrine centrale et arrogante de l’exception humaine. Quelles sont les conditions pour que l’homme participe au grand orchestre de la terre?
L’Estonie est un petit pays du nord-est de l’Europe qui partage ses frontières avec la Lettonie, la Russie et la Mer Baltique. Après la chute de l’URSS et une instabilité momentanée, son économie a connu une croissance favorable, notamment grâce à son adhésion à l’Union Européenne. Elle demeure toutefois l’un des pays les moins peuplés de l’Europe, ce qui s’explique entre autres par son climat nordique.
En ruralité, où l’entièreté de Sundial est tournée, le temps est lent. Malgré la rigueur du climat et la mélancolie qu’il engendre, elle n’empêche pas entièrement aux petits moments d’humanité de ressurgir. La trame narrative du documentaire alterne ainsi entre des périodes de contemplation de la nature ou d’espaces transitoires semi-urbaines et des scènes quotidiennes lourdes en signification, en profondeur humaine.
Des enfants grimpent aux arbres et lancent de la neige dans un puits vide pour entendre l’écho qu’elle produit en tombant au fond du trou.
Un bûcheron travaillant pour la ville est en train d’entreposer des bûches dans un bâtiment. Une dame l’aborde et, au fil de la conversation, finit par le féliciter et le remercier, ce qui surprend l’homme puisqu’il ne travaille pas pour elle. La raison pour laquelle elle le remercie, c’est parce que « quelqu’un doit le faire ».
Une mère et son enfant font des devoirs. Elles énumèrent ce qui distingue les êtres vivants des non-vivants, des réflexions évidentes qui ouvrent la porte à des questions philosophiques plus larges : les êtres vivants bougent et se reproduisent, comment se fait-il alors que l’eau et les nuages ne soient pas « vivants »?
Un homme barbu vêtu entièrement de rouge joue du tubiste. Ce n’est d’ailleurs pas le seul instrument qu’exercent les protagonistes. Le tubiste est accompagné d’un guitariste et d’une accordéoniste, sauf qu’ils jouent tous individuellement, dans l’intimité. Un véritable petit orchestre de solitude qui n’est pas sans rappeler Chanson du deuxième étage (2000) de Roy Andersson, qui est également similaire dans le tempérament stoïque typique des pays nordiques et les cadres parfois en aplat.
Sur le mur à côté de l’homme barbu vêtu de rouge est exposée en évidence une reproduction de Le Pot de lait, une peinture représentant une paysanne réalisée en 1658 par Johannes Vermeer. L’approche de ce peintre s’inscrit dans les Scènes genre néerlandaises, un courant dans la même lignée que la démarche de la réalisatrice : une observation des scènes de la vie quotidienne.
Parmi les héritiers de ce courant, on peut penser au Réalisme et au Naturalisme, qui ont pour objectif de représenter la nature dans son état pur, sans effet de style. Parmi les tableaux iconiques de ces genres, on peut penser à Les Casseurs de pierres (1849) de Gustave Courbet ou encore Des Glaneuses (1857) de Jean-François Millet, dont les titres sont assez auto descriptifs.
Sundial, avec sa sobriété esthétique et un intérêt particulier pour le quotidien rural, semble s’inscrire également dans cette lignée. Par contre, on retrouve dans son titre, ainsi que dans le mystère des atmosphères dans lesquelles il nous plonge, un désir d’également représenter l’aspect mystique de la nature.
Dans les longs plans de paysages qui parsèment le documentaire, on ressent la puissance, le mystère et le sublime de la nature : le soleil, la lune, le brouillard, le givre, le feu. Des éléments entièrement naturels et habituels, mais qu’on nous présente ici comme des icônes mystérieuses, presque spirituelles. Des atmosphères qui ne sont pas sans rappeler celles des paysages de Tarkovski. L’énergie qui émane de ces environnements évolue au fil du film, rythmée par le passage des saisons. Ceci souligne au passage notre interdépendance avec la nature et l’aspect cyclique de la vie.
Dans la même ambiance, la trame sonore est composée d’instruments, d’une musique atmosphérique et des bruits subtils de la faune et de la flore. Le crépitement des feuilles, les gouttes d’eau qui font onduler les flaques, les beuglements étouffés des vaches… La profondeur d’âme qui habite le regard des personnages semble se manifester jusqu’aux animaux : un mouton regarde au loin distraitement par une journée pluvieuse, un cheval au milieu de la toundra glacée nous fixe intensément…
Sundial, c’est un moment de contemplation et de reconnexion avec la nature, des scènes du quotidien emprunts d’humanité, un regard sobre, réaliste et optimiste sur la vie.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième