Pendant que mes collègues traitent de programmes de courts métrages complets, moi, je sélectionne des courts métrages ici et là en fonction de thèmes qui viennent me chercher.
Ici, je vous présente deux films asiatiques en lien avec les mouvements et la distance. Il s’agit aussi de deux documentaires qui sortent de la norme dans leur forme et dans les sujets traités.
Programme courts Markers
Voici une histoire racontée sur des présences qui hantent une ville pour ses histoires culturelles, économiques et sociopolitiques complexes qui résonnent dans la ville aujourd’hui. La perruque devient un membre fantôme, une partie amputée du corps qui existe au-delà de la vie humaine et, contrairement à beaucoup de gens, a le privilège de traverser les frontières et de vivre plusieurs vies. Explorant la liminalité des vivants et des morts, le film met en scène diverses histoires orales, des histoires d’usine aux séances de thérapie en passant par le karaoké.
Partant du moment de l’interdiction communiste de l’industrie des cheveux, à travers des histoires de mouvement, de diaspora et de migration, ce projet examine le rôle de Hong Kong en tant qu’espace transitoire qui médiatise et assainit la connexion entre différents mondes.
Les perruques étaient vitales pour l’essor de l’économie asiatique dans l’après-guerre. À son apogée, dans les années 1960, il s’agissait de la quatrième exportation de l’industrialisation orientée vers l’exportation de Hong Kong. Entre la Chine de Mao — la plus grande source d’approvisionnement en cheveux, et l’insatiable marché occidental, Hong Kong servait de porte d’entrée. En 1965, le département du Trésor américain a imposé un embargo sur les « cheveux asiatiques » pour couper les vivres à la Chine communiste dans le commerce des cheveux.
La catégorie hautement racialisée des « cheveux asiatiques » a ensuite été révisée en « cheveux communistes », pour permettre à l’industrie de la perruque de se développer chez les alliés américains, dont principalement la Corée du Sud, les Philippines et le Japon, ce qui a conduit à une reconfiguration importante de l’industrie en Asie de l’Est.
Pour rendre son récit plus intéressant, Bo Wang utilise les mythes et les histoires que les employées des usines de perruques se racontaient. Ces histoires particulièrement intéressantes et macabres sont souvent celles de femmes décédées au travail. Mais la narration mise principalement sur le récit que fait une « chevelure » devenue perruque.
Le résultat est un documentaire quelque peu étrange, mais franchement rafraichissant qui réussit à expliquer de façon simple et plaisante une histoire sur l’économie asiatique des années 60. Je vous assure qu’après avoir vu An Asian Ghost Story, vous ne regarderez plus jamais une perruque de la même manière.
Titre original : 九龙东往事
Durée : 38 minutes
Année : 2022
Pays : Pays-Bas / Hong Kong
Réalisateur : Bo Wang
Scénario : Bo Wang
Programme courts Persister
En cette ère pandémique, les frontières sont fermées entre les pays. Quatre protagonistes Kitty et Tommy, qui vivent à Séoul, et Mia et Emma, qui vivent à Tokyo, se connectent via un système de réseau en ligne. Lors de la communication, ils utilisent des masques de personnages en Réalité Augmentée créés par l’application de chat populaire LINE, plutôt que de montrer leurs vrais visages à l’écran. En tant que femmes d’Asie de l’Est du 21e siècle, elles sont confrontées à une réalité parallèle dans une société différente. Elles discutent d’un livre qu’ils ont tous lu par hasard, envoient leurs vieilles photos, et partagent les vidéos de leur quotidien. Elles ne se sont jamais rencontrées, pourtant, elles sont déjà devenues amies. Leurs avatars RA se téléportent entre des nations séparées et tentent de faire preuve de solidarité dans un geste numérisé ludique.
On parle souvent du côté nocif des médias sociaux et des jeunes qui sont toujours connectés. Mais rarement, on traite des aspects positifs. Le documentaire Teleporting est un bel exemple du positif que peut apporter ce genre de plateformes. Il montre aussi la vraie signification de ce qu’est une coproduction qui transcende la barrière du langage.
Grâce à la technologie numérique, ces quatre jeunes femmes ont pu, malgré les fermetures de frontières et la distance, réaliser une œuvre significative. Et ce, sans parler la langue l’une de l’autre. La traduction automatique et des connaissances de base en anglais font de ce film en 3 langues une œuvre spéciale.
Non seulement les filles traitent de l’amitié, de la distance et de la pandémie, mais aussi – et surtout – de la condition féminine dans leurs sociétés modernes, mais à la fois archaïques. Le Japon et la Corée du Sud sont deux nations qui mettent beaucoup d’emphase sur la tradition. Ça a du bon, mais aussi des côtés nocifs. Les 4 jeunes femmes expliquent comment leur société respective se ressemble beaucoup lorsqu’il est question de la place des femmes. Saviez-vous qu’il existe, au Japon, des wagons de métro réservés aux femmes sur l’heure de pointe? C’est, entre autres, pour prévenir les agressions sur celles-ci que cette solution a été créée.
Le documentaire est fait sur un ton plutôt léger, mais avec une emphase sur le découragement que vivent ces jeunes femmes envers leurs sociétés. C’est aussi une belle occasion de découvrir des technologies numériques qui se mélangent au réel afin de faire disparaitre la notion de distance.
Le résultat est un magnifique documentaire qui porte à réfléchir sur la notion de féminisme en ces temps de violence verbale twitteresque.
Titre original : 순간이동 / 瞬間移動
Durée : 22 minutes
Année : 2022
Pays : Corée du Sud / Japon
Réalisateur : Arum Nam, Chifumi Tanzawa, Nana Noka, Ohyeon Kwon
Scénario : Arum Nam, Chifumi Tanzawa, Nana Noka, Ohyeon Kwon
© 2023 Le petit septième