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[Hot Docs] Someone Lives Here | A Wolfpack Called Ernesto

La fin de semaine du 29 et 30 avril est une superbe occasion pour aller au Hot Docs. De nombreuses projections vous attendent à partir de 11 heures du matin jusqu’à tard le soir. Parmi elles, deux très beaux films font leur première mondiale : Someone Lives Here qui se passe ici à Toronto au cœur de la crise des sans-abris pendant la Covid dont la gestion calamiteuse par la ville fait naître des actes de bravoure extraordinaires, et A Wolfpack Called Ernesto, qui nous vient du Mexique et donne la parole à des jeunes dans la chaîne du crime organisé à l’aide d’un dispositif cinématographique des plus original.

Someone Lives Here – Un petit abri pour les sans-abris

Dans la compétition Canadian Spectrum, Someone Lives Here fait l’effet d’un coup de poing tant le film critique la gestion par les équipes de l’ancien maire de la Ville Reine, John Tory, de la crise du logement des sans-abris durant la pandémie. Habitant à Toronto, à proximité de l’un des parcs publics centraux les plus connus, j’ai vu au fur et à mesure que la crise sanitaire s’installait les tentes fleurir un peu partout. Comment font les personnes pour survivre durant l’hiver si rigoureux et pourquoi ne peuvent-elles pas être relogées dans un hôtel comme la ville de Paris l’a fait? En traversant le parc, un sentiment d’incompréhension et d’impuissance m’envahissait. Je me souviens avoir échangé à plusieurs reprises avec un groupe de jeunes personnes d’une association communautaire apportant café et nourriture à cette population qui devenait tout à coup visible dans le paysage de la grande métropole économique canadienne. Que font les services compétents de la ville pour venir en aide à cette population? Est-ce à nous en tant que citoyen et citoyenne de prendre le relai?

someone lives here - début
Le charpentier torontois Khaleel Seivwright, construisant un petit abri dans son atelier

C’est alors qu’un objet curieux apparut et se multiplia dans le parc Trinity-Bellwoods et ailleurs dans la ville. De petits abris en forme de conteneur ont commencé à côtoyer les tentes. D’un premier regard, on aurait pu penser qu’ils servaient à entreposer des objets, mais en y regardant de plus près certains avaient des fenêtres, ou bien on pouvait apercevoir l’inscription qui donne le titre du film : « SOMEONE LIVES HERE ».

Pour son premier documentaire, Zack Russell Est parti à la rencontre de l’artisan inconnu, concepteur et fabricant de ces petits abris miraculeux qui ont la particularité de se chauffer par la seule chaleur humaine grâce à un système d’isolation mis au point spécialement par Khaleel Seivwright, un ancien menuisier. Il a trouvé une solution, du moins temporaire, pour pallier les déficiences de la ville de Toronto à offrir à la population des sans-abri un toit à la fois sécuritaire et stable durant la crise de la Covid. Il fabrique avec soin ces abris, dotés d’un système de détection d’incendie, qu’il dépose ensuite la nuit, de manière clandestine, dans les parcs avec l’aide de complices. 

Russell filme un citoyen ordinaire qui se transforme en héros et justicier extraordinaire, tels James Stewart ou Cary Grant dans les films à portée sociale de Frank Capra. Engagé pour cette communauté délaissée, Seivwright prend des initiatives incroyables quand la ville ne semble rien faire pour stopper le fléau des personnes vivants dans la rue. Un des représentants de la ville évoque un moment un potentiel partenariat, Seivwright saute de joie, avant qu’il ne reçoive quelques jours plus tard une lettre officielle condamnant fermement ses activités. Mais Seivwright continue son travail pour la communauté qu’il protège. Le réalisateur Russell parsème son film d’une voix off formidable, émanant d’une femme sans-abri que l’on ne verra jamais, sorte de narratrice qui apporte une poésie aux images et assure que l’abri confectionné par Seivwright lui a sauvé la vie au cours de l’hiver.

someone lives here - Russell filme
Le personnel de la Ville de Toronto (agents chargés de l’application des règlements) affiche des avis d’expulsion aux résidents du campement en mars 2021

C’est toute la machine hypocrite des services de la ville, dépassée par la crise, qui est dévoilée dans Someone Lives Here : des conseillers de la ville, en passant par les services d’incendie,jusqu’au maire lui-même. Au cœur de la bureaucratie torontoise, Seivwright, l’homme du peuple, n’abandonne pas pour autant son combat contre le mal-logement. Entre deux coups de perceuse ou de ponceuse, avec ses habits poussiéreux, il donne des interviews à des journalistes : 

« Ce n’est jamais un plaisir de dormir dehors, mais mon petit abri les garde au chaud pendant l’hiver ». 

Il s’invite même au Comité de développement économique et communautaire de la municipalité pour défendre son projet de petit abri que les membres conseillers accusent d’être dangereux et non ignifuge. Or, cette condamnation par la ville est avancée sans avoir fait d’inspection officielle et Seivwright entreprend de faire lui-même le test en tentant d’y mettre le feu – sans succès. Il ira jusqu’à déposer un abri devant une caserne de pompiers pour demander un avis impartial qu’il n’obtiendra pas évidemment faute de langue de bois dans l’administration.

Le comble sera ensuite de voir les services de la ville dépenser des centaines de milliers de dollars dans l’évacuation des parcs et la destruction, filmée par Russell, des petits abris de Seivwright. L’activiste par défaut est rejoint par d’autres militants pour dire non à cette réponse inhumaine de la ville dont la priorité n’a jamais été de trouver des solutions de relogement à cette population. Les parcs se sont donc vidés de leurs sans-abris qui ont été, en réalité, déplacés ailleurs, pour retrouver leur espace d’avant la Covid :invisible de tous.

La narratrice, dans une voix remplie d’émotions et de colère, s’écrie et répète : « You spend millions of dollars for nothing. Not for housing! » À bon entendeur.

Fiche technique

Titre original : Someone Lives Here
Durée : 75 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisation: Zack Russell
Note : 8 /10

En salle les 29 avril et 4 mai.

Disponible en ligne entre le 5 et le 9 mai.

Bande-annonce  

A Wolfpack Called Ernesto – Ne laisse pas trainer ton fils

Everardo González
Everardo González

Dans la section compétitive International Spectrum, le dernier film de Everardo González fait sa première mondiale et va faire sensation. Après Devil’s Freedom (2017), le réalisateur mexicain nous emmène une fois de plus dans le monde effrayant de la violence organisée. Au Mexique, 350 000 personnes ont été tuées au cours des 15 dernières années par des personnes armées, dont 30 000 étaient mineures. A Wolfpack Called Ernesto est un voyage impressionnant dans le maillon le plus fragile de la chaîne du crime organisé : les enfants. Il suit le parcours de jeunes nommés collectivement « Ernesto » : victimes autant que tueurs à gages.

« J’étais intéressé à enquêter sur la construction de la personnalité avec l’environnement qui entoure les jeunes et les trafiquants d’armes. Je voulais les rencontrer loin des jugements moraux parce que je suis convaincu que c’est la seule possibilité de comprendre la complexité de leur vie. »

Everardo González invente un dispositif cinématographique particulièrement fascinant. Pour préserver l’anonymat des jeunes gangsters, il fixe une caméra dans leur dos. L’esthétique est radicale, mais magnifique sur le plan cinématographique. On ne voit aucun visage, mais on voit la nuque de ces jeunes sur laquelle on retrouve souvent un tatouage d’appartenance à un gang. Leurs déambulations, à pied ou à moto, dans des quartiers malfamés prennent des allures inquiétantes en même temps que le dispositif place le spectateur dans le corps de ces protagonistes tel un joueur dans un jeu vidéo.Échange d’armes, jeux de gâchette, retrouvailles avec les copains du gang, nous suivons les jeunes, un par un, collé à eux, vibrant avec eux, grâce à cet œil caméra.

La grande trouvaille de montage qui rend le film si humaniste est que le cinéaste a placé sur ces images les précieuses confidences de leur vie hors norme qu’il est parvenu à recueillir. En général, insaisissables et incontrôlables, ces jeunes ont partagé leurs souvenirs, récits de vie et des anecdotes, et le calme de leur voix contraste avec la brutalité de ce qu’ils racontent. La beauté de la photographie de María Secco créé un temps qui s’arrête, une pause dans les activités des gangs organisés et des querelles de territoires que la belle partition musicale électronique apaise. Ils se confient, on écoute religieusement, tout en tentant de distinguer dans le champ de vision flou un morceau de leur réalité. Everardo González joue sur notre pulsion de voir et fragmente par une faible profondeur de champ cette réalité, autant crue qu’inconnue, des gangs. Passant du dos des adolescents, à un camion transportant des armes puis traversant la frontière américaine, la caméra fixe la route dans la glace d’un rétroviseur, avant de s’accrocher au dos d’un policier corrompu sur un véhicule militaire. 

A Wolfpack Called Ernesto - La grande trouvaille

« On leur vend les armes que l’on a récupérées. On ne demande pas ce qu’ils vont en faire. On veut le cash, pas d’histoire ».

Cette confidence de ce représentant de l’ordre, loin d’être le seul à agir ainsi dans le système véreux bien connu du Mexique,en dit long sur le sort réservé aux mineurs pour alimenter les réseaux de drogue et faire des règlements de comptes. Difficilement condamnables, ils sont des cibles privilégiées. Abandonnés dans leur propre pays, aussi bien par les autorités que par la protection de l’enfance, pour eux, la seule émancipation n’est pas l’école ou le travail, mais les armes et la cupidité comme ascenseur social. A Wolfpack Called Ernesto est au-delà de ce que l’on appelle la morale. Éprouvant, autant que révoltant.

Fiche technique

Titre original : A Wolfpack Called Ernesto
Durée : 81 minutes
Année : 2023
Pays : Mexique, France
Réalisation: Everardo González
Écriture : Óscar Balderas, Daniela Rea et Everardo González
Note : 8,5 /10

En salle les 30 avril et 4 mai.

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