« It’s clear to me now that he was doing all of this while we were really close friends. »
[Il est clair pour moi maintenant qu’il faisait tout cela alors que nous étions des amis très proches.]
Another body suit la recherche de justice d’une étudiante après qu’elle a découvert que de la pornographie deepfake d’elle-même circulait en ligne.
Avec ce documentaire, Sophie Compton et Reuben Hamlyn proposent un film qui se rapproche plus du récit personnel que du documentaire en soi. Mais il s’agit d’un film qui met en lumière de grandes questions que l’on doit se poser en tant que société.
On en parle beaucoup depuis quelques semaines. L’intelligence artificielle existe depuis quelques années, mais jusqu’à très récemment elle restait un genre d’OVNI que certains étudiaient ou développaient. Mais ChatGPT a tout changé. Maintenant, on sait…
Il n’y a pas une journée qui passe sans que des articles traitent de l’IA. Des logiciels de création d’images, de textes ou de vidéos sont maintenant disponibles et de plus en plus facilement accessibles. Pour le bien et pour le mal…
En effet, lorsque l’on mélange le concept de plus en plus réel de la fausse nouvelle (Fake News) avec les possibilités offertes par les logiciels d’intelligence artificielle, cela devient inquiétant. Le Pape habillé d’une drôle de manière reste anodin et pas vraiment crédible. Du coup, c’est amusant ce que l’on peut faire avec ces logiciels. Mais l’IA permet aussi à n’importe quel connard sans talent en graphisme ou en montage vidéo d’avoir facilement accès à une technologie avec laquelle il peut faire beaucoup de mal à la réputation d’autrui.
Avec Another Body, on en découvre un peu plus sur ces possibilités. Bien que je trouve la réaction de « Taylor Klein » un peu disproportionnée, l’enjeu est réel et franchement inquiétant. Je reviendrai plus loin pour expliquer pourquoi je dis que c’est disproportionné.
On apprend donc, dans ce film, que c’est maintenant assez simple de mettre le visage de quelqu’un sur un autre corps de façon crédible et qu’il soit très difficile, voire impossible, de dire si l’image est vraie ou fausse. Et maintenant, il ne s’agit plus simplement de modifier des textes ou des photos, on peut tout aussi facilement modifier des vidéos.
Comment? Soit en utilisant soi-même un logiciel utilisant l’IA, soit en faisant affaire avec quelqu’un qui s’y connait sur des sites légaux mais pas très éthiques, que je vais éviter de nommer ici. Sachez toutefois que ces sites sont facilement trouvables pour n’importe qui étant en mesure d’effectuer une recherche sur Google ou un autre moteur de recherche populaire.
La force du documentaire et sa principale faiblesse sont inséparables. La grande force de Another body est qu’il utilise les outils de DeepFake dans le but de modifier tous les visages des intervenants du film afin que l’on ne puisse pas les reconnaître. Et honnêtement, si on ne le disait pas dans le film, je ne l’aurais pas remarqué. On voit bien que certaines images sont plus du type « animation », mais les séquences durant lesquelles Taylor parle à la caméra, ou bien celles durant lesquelles une de ses amies témoigne sont bluffantes.
Mais du coup, on en vient à se demander ce que l’on doit croire. L’histoire qu’on nous raconte est terrible. Imaginez tomber sur des vidéos de vous en train de baiser sur un site porno, alors que vous n’avez jamais filmé ces ébats. Mais comme tous les intervenants ont changé leur nom et leur visage, et que le film nous raconte que l’on peut faire dire ce que l’on veut à qui l’on veut grâce aux techniques utilisées pour faire ce film, on en vient à se questionner sur la nature même de ce que l’on regarde.
La force et la faiblesse proviennent de la même source… Pour combler ce fossé, il aurait fallu que l’on puisse voir au moins une fois une des vidéos. Qu’une des 3 intervenantes que l’on voit dans le film permette que cela ne soit ni censuré ni modifié, et que l’on puisse, au moins à travers une vidéo, mieux prendre conscience de la gravité de la chose.
L’autre problème est que, par moments, on a plus l’impression de regarder un vlog qu’un film documentaire. Ça aussi, de nos jours, ça amène à se questionner sur la valeur ou la véracité de ce que l’on regarde.
À mesure qu’on avance dans ce film, il y a plusieurs constats que l’on peut faire, et qui sont – à défaut d’être étonnants – frustrants et problématiques.
Le premier constat est que la police ne fait pas grand-chose pour aider Taylor à retrouver la personne qui a fait ces vidéos d’elle. La question qui se pose d’ailleurs est de savoir s’il s’agit vraiment d’un crime. Il est interdit de diffuser une vidéo ou des photos à caractère sexuel d’une personne sans son consentement. Mais qu’en est-il lorsque la personne de la vidéo n’est pas réellement elle?
Le deuxième constat est que les filles décident de prendre l’enquête en mains et qu’elles ne se gênent pas pour accuser une personne bien précise. Son nom est changé dans le film, mais les filles semblent déterminées à le dénoncer publiquement. N’est-ce pas là un peu dangereux d’accuser publiquement une personne sans procès? Mais comme la police ne fait rien, quelle est l’option?
Finalement, on en vient à se dire qu’il suffira peut-être juste d’ignorer ce genre de publications sur nous en se disant que dans peu de temps, plus personne ne croira d’emblée en la véracité de ces images.
Il faudra que les gouvernements se penchent vraiment très très rapidement sur les possibilités de l’IA et qu’ils réglementent. Sinon, ce qui sépare la vérité du mensonge risque de devenir une ligne infiniment mince.
Another body est présenté aux Hot Docs, les 28 avril et 6 mai 2023.
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