« Tout le monde vous a lâché. Vous passez du statut de victime à celui de suspect. »
Jean-Paul Salomé a voulu raconter l’histoire véridique de Maureen Kearney, une syndicaliste qui s’est opposée à Areva, une société de construction de centrales nucléaires française pour qui les Chinois avaient un appétit non dissimulé.
Dans les années 2007 à 2012, Maureen Kearney a lancé des alertes à l’effet que son patron tentait de vendre la société Areva aux Chinois. Des milliards étaient en jeu. Des milliers d’emplois étaient aussi en jeu.
Devant son acharnement à faire savoir la vérité, elle a subi des pressions, des menaces comme « je vais vous réduire en miettes… » et une agression physique et sexuelle chez elle.
C’est ce que ce film raconte sans détour en nous montrant la genèse des événements. À partir d’un événement récent et avec l’aide de la vraie syndicaliste, Maureen Kearney (Isabelle Huppert), le réalisateur a construit un film de type « devoir de mémoire ».
Il a fait appel à Isabelle Huppert pour incarner la syndicaliste. Excellent choix pour mettre sur l’affiche, mais j’ai des réserves quant au personnage qu’elle joue. J’ai adoré Isabelle Huppert dans tous ses rôles d’avant, mais ici, un bémol s’impose. Elle est très aérienne, mystérieuse et renfermée. La vraie syndicaliste a d’ailleurs déclaré qu’elle avait des problèmes à se reconnaître après avoir vu le film. Il me semble qu’une personne qui est à la tête d’un syndicat doit être quelqu’un de concret, terre-à-terre, et direct. Elle est tout le contraire. Une formidable actrice dans un rôle qui ne lui convenait peut-être pas.
J’imagine que la consigne principale du personnage était de laisser le spectateur dans le doute. Pour ça, c’est extrêmement bien réussi. Mais on dirait que parfois, ça parait trop. Par exemple, elle ne répond pas à des questions que les gendarmes lui posent, elle demeure silencieuse auprès de son mari, elle joue parfaitement le mystère, mais on sait que l’agression a bien eu lieu, on connaît la vraie histoire que le film raconte. On est en droit de se demander pourquoi elle baisse les bras devant des policiers machos qui ne la croient pas. Lorsqu’elle répond, elle a des réponses molles.
Bien sûr, elle a été traumatisée et sa mémoire peut lui jouer des tours. Le film a donc aussi tenté d’aller dans la problématique d’une victime de viol qui doit subir en plus l’humiliation de devoir raconter les détails de ce qu’elle peine à se rappeler. Une policière la croit, ses collègues masculins non. Elle subit aussi des examens médicaux humiliants, alors qu’un médecin insiste pour retourner voir son vagin.
Son attitude vague lui cause de sérieux problèmes. Elle est placée en garde à vue et accusée, elle devra subir un procès. Un ami dit : « elle aurait dû s’arrêter, elle est allée trop loin. »
Sinon tout est très bien joué. Son patron (Yvan Attal) est très crédible, son mari joue très bien l’attachement mêlé de détachement; solidaire, mais moins amoureux qu’avant.
C’est évidemment un grand défi de raconter une histoire qui est déjà publique et d’intéresser quand même son auditoire. Et de faire 2 heures et 2 minutes avec ça… Pour le devoir de mémoire c’est formidable, réussi, le triomphe à l’américaine à la fin, malgré la victime/actrice qui s’applique à nous désorienter.
En fait, ce film comporte une histoire de vente d’une entreprise française aux Chinois, une histoire d’agression sexuelle avec toutes les humiliations face à la police et aussi une histoire syndicale, une lanceuse d’alertes qui n’a pas été crue, (ils l’ont cuite, comme Jeanne d’Arc…).
Donc, à voir pour l’histoire, pas pour le suspense.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième
Maureen Kearney a dit qu’elle se reconnaissait moins uniquement dans la partie juste après l’agression quand elle était anéantie.