« – Tu ne socialises pas beaucoup.
– Ça veut dire quoi? 
– Beh… ça veut dire que tu ne fais pas comme les autres. »

Bien avant sa première québécoise, Le Coyote, le second long-métrage de la réalisatrice montréalaise Katherine Jerkovic, peut se féliciter d’un lancement fort prometteur : première mondiale au prestigieux TIFF et deux récompenses au Whistler Film Festival! Tout comme son premier long-métrage Les routes en février, maintes fois primé lui aussi, son second drame s’inspire de son propre vécu. Fille de réfugiés politiques au Canada – sa mère est Uruguayenne, son père Croato-argentin – Jerkovic a grandi en Belgique et en Uruguay avant de s’installer à Montréal afin d’y entamer des études de film. Si elle a mis en scène dans son premier film une jeune femme canadienne à la recherche de ses racines identitaires en Amérique latine, son second film explore l’état d’âme d’un ancien immigrant mexicain au Québec qui, à une cinquantaine d’années, souhaite réaliser un rêve de longue date – mais dont le passé vient troubler son avenir… 

Portrait intime 

Camilo (Jorge Martinez Colorado) a une cinquantaine d’années et vit seul à Montréal où il gagne sa vie comme agent d’entretien. Il rêve de se lancer à nouveau dans la restauration, comme cuisinier ou mieux : chef – comme il l’a fait il y a plusieurs années au « Coyote », son propre restaurant mexicain jadis très acclamé par le public québécois. Or, compte tenu de son âge avancé et de son origine migratoire, ses candidatures restent sans réussite – ce qui le force à continuer son travail actuel tout en n’abandonnant pas sa vraie passion. L’animal sauvage du nom de son ancien restaurant, Camilo le devient lui-même : comme les coyotes qui parcourent la ville la nuit, il fait le tour des immeubles de bureaux déserts une fois que les employés ont terminé leur journée de travail. S’il entretient de bonnes amitiés avec ses collègues, notamment avec Edgar, autre latino, ses entretiens d’embauche – filmés comme des interrogatoires policiers dans une pièce stérile – soulignent son statut d’infériorité en tant qu’immigré par rapport à la population québécoise « de souche ». 

Une (brève) lueur d’espoir

C’est finalement un vieil ami du temps du « Coyote » qui offre à Camilo un poste comme cuisinier dans un charmant bistrot à La Malbaie dont la vue sur le fleuve Saint-Laurent, large et paisible, évoque le lieu nostalgique des rêves du protagoniste. Comblé de joie, Camilo accepte l’offre – mais c’est à ce moment-là que réapparaît sa fille Tania (Eva Avila) avec qui il a coupé les liens quelques années auparavant suite à sa toxicomanie qui l’a poussée à voler à son père et à ruiner l’entreprise de ce dernier. Tania lui présente son petit-fils, Zachary, de cinq ans (Enzo Desmeules Saint-Hilaire) dont Camilo a ignoré l’existence jusque-là et le prie de s’occuper de lui pendant les trois semaines qui suivront – le temps qu’il lui faudra pour faire une (la énième…) cure de désintoxication dans un centre près de Montréal. Camilo hésite et lui refuse d’abord son aide : « – Et son père? – Je ne peux pas lui faire confiance. – Et moi, puis-je avoir confiance en toi? Tu m’as volé. J’ai perdu mon restaurant. […] Je ne peux pas t’aider, ma fille. » Or, après avoir rencontré Zachary pour la première fois, pourtant très renfermé et hostile envers l’homme inconnu, Camilo donne son accord…

Une version contemporaine du proverbe « Il faut tout un village pour élever un enfant »

C’est ainsi que la réalisatrice, enceinte au moment où les premières idées sur le film se sont formées, soit il y a 10 ans déjà, décrit l’un des messages du film. Ayant été enfant elle-même d’immigrés qui ont dû recommencer à zéro seuls dans un pays étranger, Jerkovic sait à quel point la solidarité entre migrants – pas nécessairement seulement entre ceux d’une même communauté – est importante. Dans Le Coyote, Camilo, qui travaille de nuit, engage Ana, sa voisine roumaine, afin de veiller sur le garçon en son absence. De jour, Camilo prend le relais – alors qu’il aurait besoin de repos. Aux yeux de la cinéaste, le film raconte :

« l’histoire d’un homme qui avait l’impression d’avoir été un père négligent et qui s’est vu offrir une seconde chance pour en être un : un grand-père. Je voulais montrer que la vie peut recommencer plusieurs fois, qu’il n’y a pas d’âge pour commencer à nouveau. » [It was the story of a man who felt he’d been a negligent father and found himself given a second chance to be one: a grandfather. I wanted to show that life can start again several times, that there is no age for a new beginning. »]

Attentionné, aimable, tendre 

Au fil des jours, Zachary prend de plus en plus confiance en ce nouveau grand-père qui s’avère lui ressembler beaucoup : les deux sont des solitaires, mais restent très attentifs envers les autres – Zachary s’inquiète pour sa maman tout comme il pleure le décès d’un oiseau dans le parc, Camilo reste fidèle à sa fille malgré tout, tout comme il essaie d’épauler ses amis le mieux possible. Le jeu de Jorge Martinez Colorado – son premier rôle principal dans un long-métrage – est simplement impressionnant : ne tombant jamais dans le pathétique, il arrive à exprimer subtilement les émotions du protagoniste par son regard nuancé que Jerkovic capte, elle, tout aussi magistralement. En somme, Le Coyote nous montre un homme tendre et aimable tiraillé entre deux voies : le bien-être de la famille et l’épanouissement personnel. Quelle sera sa décision? Allez découvrir la fin vous-même…  😉

La métaphore du coyote : des intrigues stéréotypées… 

Le titre du film ne fait pas seulement référence au nom du restaurant, mais l’animal sauvage peut aussi être interprété comme un symbole de l’immigré aux yeux de la population canadienne : tout comme le coyote est vu, par son grand nombre et son intrusion dans l’habitat des hommes, comme un fléau pénible, l’immigré est souvent méprisé, marginalisé et traité de manière déshumanisante. Pour Jerkovic il était crucial de proposer une contre-histoire à la représentation stéréotypée de la population latino-américaine dans les médias québécois : « La plupart du temps, ils sont montrés comme des immigrés qui travaillent dur et dont l’objectif principal est de nourrir leurs familles et d’obentir un statut légal. Les Mexicains, en particulier, semblent vivre dans cet imaginaire social exclusivement comme des travailleurs saisonniers soumis, démunis et pratiquement illettrés. » [Most of the time, they are shown as hardworking immigrants whose primary ambitions are to feed their families or to obtain a legal status. Mexicans, in particular, seem to only live in this social imaginary as submissive, destitute, almost illiterate seasonal workers.] (CBC Arts, 2022)

… aux intrigues universelles

Dans son second long-métrage, Jerkovic redonne un visage humain aux immigrés du Québec et les représente avec des questionnements universels : Camilo est pris dans le dilemme entre deux valeurs, son ami Edgar, jeune agent d’entretien, se bat contre l’administration québécoise afin de faire reconnaître ses certificats en études de gestion et Ana, jadis journaliste en Roumanie, garde des enfants en attendant ses papiers. Ce qui les unit est leur solidarité, mais aussi leur désir d’épanouissement professionnel et individuel. 

¡Venga! Allez voir ce film!

Le Coyote, qui couvre un temps narré de quelques semaines seulement, est un film discret qui se passe de grandes tournures dramatiques, mais qui – par le jeu nuancé du rôle principal ainsi que la prise de caméra attentive de Jerkovic – réussit à mettre en évidence les phases difficiles de la vie – tout comme celles plus tranquilles – ne peuvent pas être contournées, mais se vivent – avec l’aide de sa propre résilience, mais aussi avec le soutien des gens qui nous entourent. 

Bande-annonce