« Sur son lit de mort, mon père m’a révélé un secret : qu’il a fait partie d’une société secrète. »

Phil Comeau fait toute la lumière sur l’Ordre de Jacques-Cartier, une puissante société secrète qui, de 1926 à 1965, a infiltré tous les secteurs de la société canadienne, forgeant le destin des communautés de langue française. Au fil de témoignages inédits d’anciens membres de l’Ordre et de reconstitutions historiques, ce film brosse un tableau saisissant des luttes sociales et politiques des minorités francophones du Canada.

Avec L’ordre secret, Phil Comeau démontre à quel point la défense du français n’est pas une lubie, mais bel et bien une nécessité, et ce, depuis les tout débuts de la confédération. Et du coup, il redonne un désir de lutter aux francophones qui regardent son film.

Classicisme et fiction

Pour son film, Phil Comeau a choisi d’utiliser un style documentaire très classique. En effet, il rencontre des gens qui témoignent directement à la caméra pour raconter ce qu’ils savent au sujet de l’Ordre. Par moment, on a un rapide contre-champ qui montre le réalisateur qui réagit aux propos de son interlocuteur.

S’y ajoute une narration un peu trop neutre, qui rend par moment le film un peu long. Heureusement, le sujet est intrigant et pertinent. Je ne me doutais pas que nous avions eu ce genre d’organisation au Canada, encore moins aussi près de chez moi. D’ailleurs, il est dommage que le film se concentre uniquement sur ce qui c’est passé dans le sud-est de l’Acadie. Surtout après que le réalisateur ait montré que l’Ordre était présent partout au pays. 

Pour illustrer ses découvertes, comme il n’y a pas d’archives vidéo ou de photos, Comeau utilise la fiction. Il a reconstitué une initiation de nouveaux membres de l’Ordre de Jacques Cartier. Bien que ces séquences soient un peu trop théâtrales, l’intérêt reste bien présent. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut assister à une « vraie » initiation de société secrète. Parce que cette fiction est une reconstitution exacte de ce que le livre de l’Ordre donnait comme instructions pour la tenue de ces moments importants. 

Une lutte secrète

Des milliers de francophones du Canada l’ignorent, mais leur père ou leur grand-père ont possiblement fait partie de cette vaste confrérie comptant dans ses rangs des premiers ministres, des banquiers, de grands chefs d’entreprise, mais aussi des enseignants, des garagistes, des commis-voyageurs.

Aujourd’hui oublié, l’Ordre de Jacques-Cartier, familièrement appelé « la Patente », a compté plus de 72 000 initiés dans 800 villes et villages à travers le pays. De 1926 à 1965, dans le plus grand secret, cette organisation clandestine a infiltré tous les secteurs de la société canadienne et forgé le destin des communautés de langue française.

Parce que ce qui distingue cette société secrète de ses semblables, c’est la cause qu’elle défend. Le but derrière cette société secrète était la défense du français. Et à voir l’état du français au Canada en 2023, il serait peut-être bon que l’Ordre de Jacques-Cartier renaisse de ses cendres. 

C’est donc au fil des entrevues, que ces hommes sortent de l’ombre et se confient, d’autres témoins racontent, et des historiens expliquent… Au milieu du 20e siècle, à travers le pays, un conflit persistant oppose catholiques francophones et protestants anglophones. Les Canadiens français sont marginalisés par les puissants lobbys des francs-maçons, des orangistes et même du Ku Klux Klan. L’anglais est la seule langue officielle du pays et les francophones sont le plus souvent exclus de la fonction publique canadienne. Dans les provinces maritimes, le français est interdit à l’école. Hors des régions francophones, il est mal vu de le parler en public. En 1926, un petit groupe résolu — des Québécois, des Franco-Ontariens et un Acadien — décide de fonder une organisation secrète afin de défendre les intérêts des Canadiens français : c’est ainsi que serait né (selon le film de Comeau) L’Ordre de Jacques-Cartier.

Je ne vous dirai pas tout ce que L’Ordre secret dévoile, car je veux vous laisser le découvrir en visionnant le film. Mais certains des membres étaient aussi de gros noms. Et si on se fie aux découvertes du réalisateur, la place du français au pays doit beaucoup à ce regroupement secret, à commencer par le bilinguisme sur les billets de banque canadiens. 

Un peu plus…

L’histoire derrière ce documentaire est probablement ce qui est le plus amusant. Un peu comme dans un remake de Citizen Kane, notre enquêteur (Phil Comeau) s’est fait révéler par son père mourant que ce dernier faisait partie d’une société secrète. Le père était commandeur de l’Ordre.

Il n’est fallait pas plus pour que le fils parte et sillonne, en quête de réponses, les provinces maritimes, le Québec et l’ Ontario à la recherche de preuves et, surtout, de témoins. Il finit par en trouver plusieurs et parvient à les convaincre de parler. Pour la première fois, ces hommes et leurs proches acceptent de lever le voile sur l’Ordre de Jacques-Cartier et le combat qu’ils ont mené.

En retraçant le parcours secret de son père, Phil Comeau fait ainsi la lumière sur l’Ordre de Jacques-Cartier et brosse un tableau saisissant des luttes sociales et politiques des minorités francophones du Canada au 20e siècle.

L’ordre secret est présenté aux RVQC, le 28 février 2023.

Bande-annonce