« I googled ‘nice things to do for your mom’ »
[J’ai googlé « des choses gentilles à faire pour ta maman »]
Dans Adult Adoption (2022), le premier long-métrage de l’actrice canadienne Karen Knox, l’orpheline Rosy (Ellie Moon), qui a grandi dans un foyer de garde, cherche à 25 ans à trouver un père et/ou une mère adoptifs. Bien qu’elle s’en soit bien sortie après le début difficile de sa vie comparée à d’autres enfants placés incapables de mener une vie indépendante, Rosy ressent un vide constant dans sa vie. Alors que les gens « normaux » peuvent compter sur le soutien émotionnel et l’écoute compréhensive de leurs familles, personne n’occupe cette place dans la vie de la jeune femme, raison pour laquelle elle se lance dans le site de rencontre en ligne « Adult Adoption ». Elle y fait la connaissance de deux adultes désireux de vivre l’expérience parentale avec un « enfant » adulte. Or, l’amour inconditionnel, que Rosy désire plus que tout, ne vient pas habituellement avec un simple clic de souris…
Aux yeux de sa collègue Helen (Leah Doz), à qui Rosy se confie un jour, celle-ci mène une vie tout à fait normale. Pour elle, la jeune femme vivant seule dans un appartement et travaillant dans une banque après avoir réussi à finir l’école démontre, malgré les statistiques peu roses, que certains anciens enfants placés échappent à des destins tristes comme l’alcoolisme, la dépression, le décrochage scolaire ou le chômage. À la voir, on ne croirait pas qu’elle ait grandi sans l’amour réconfortant et inconditionnel de parents. « All of this time, I thought you were just a basic blond girl who loved her job » [Pendant tout ce temps, j’ai pensé que tu étais simplement une fille blonde ordinaire qui aimait son travail], conclut Helen, surprise. Et certes, à en considérer les faits, Rosy mène une vie stable, mais à y regarder de plus près – et la caméra de Knox le fait la plupart du temps par des (très) gros plans –, sa stabilité affichée tient au fil précaire d’une routine quotidienne. Rosy n’aime pas quand les choses changent – ni des changements à son lieu de travail, comme le départ à la retraite de sa patronne ou l’installation d’autres collègues dans son bureau, événements qui la perturbent profondément, ni ceux dans sa vie privée où les sachets de sucre ne se gaspillent pas, où les paquets Mac & Cheese de Kraft, l’unique menu du jour, s’empilent dans son armoire à provisions et où des affirmations positives sur des post-its ou sur son cellulaire lui confèrent une sécurité qui est à reconstruire jour après jour. Comme son prénom l’indique, Rosy s’est construit un monde « en rose » – et tout le décor en témoigne, de sa chambre à coucher à son bureau décoré d’autocollants enfantins.
Or, contrairement à la banque où elle est censée bien fonctionner et où elle remplit cette attente la plupart du temps, elle est soit trop stable ou trop instable aux yeux des deux « parents » potentiels que sont Brian (Michael Healey) et Jane (Rebecca Northan). Pour « Dad », la jeune adulte serait tellement indépendante qu’elle n’aurait en somme plus besoin d’aucune figure parentale. Rosy a beau essayer de le convaincre du contraire : « Oh, no, no, you’ve only met me an hour, I’m actually really unstable » [Oh, non, non, vous ne me connaissez que depuis une heure, en fait je suis vraiment instable]. Brian reste ferme. En fait, il va même jusqu’à se moquer de sa quête personnelle : « You’re kind of passed that, no? » – « Passed what? » – « Past needing a mommy and a daddy. You’re 25 years old » [Tu as passé ça, non? » – « Passé quoi? » – « D’avoir besoin d’une maman ou d’un papa. Tu as 25 ans].
Si Brian finit par faire volte-face et lui offrir une relation sexuelle, la « maman » Jane est troublée par ses propres problèmes mère-fille et n’a pas les ressources émotionnelles d’apporter l’amour inconditionnel que Rosy cherche si désespérément, et ceci, quelques jours seulement après leur première rencontre. Contrariée d’apprendre que Jane ose rencontrer d’autres filles et qu’elle manifeste un comportement peu maternel – elle ne la rappelle pas, boit trop et lui redonne son cadeau, une couverture tricotée par elle-même –, la jeune femme l’interpelle : « You are meant to take care of me. » – « Says who? » – « The Internet. The thing you signed up for on the Internet » [Tu es censée prendre soin de moi. » – « Dit qui ?» – « L’internet. Le truc où tu t’es inscrite sur Internet].
Faute d’avoir des modèles à suivre proches en ce qui concerne l’établissement d’une relation plus intime, le web constitue un repère important pour le comportement de Rosy. Le net lui présente une image idéalisée de la figure parentale et lui fait croire qu’elle peut la trouver sur les sites de rencontre qui, de fait, mettent les gens vulnérables souvent en danger d’abus – comme la jeune employée le constate elle-même à travers l’exemple de son ancienne camarade au foyer Nola aux prises d’un culte mystérieux. Mais au cours du film, Rosy commence à comprendre que ce n’est pas (forcément) par un algorithme rationnel qu’elle trouvera une famille et que ce ne sont pas (toujours) les grands gestes ou le comportement extrême qui assureront l’amour profond des autres – que ce soit la couverture qu’elle fabrique pour Jane ou la mise à disposition instantanée de son corps au jeune homme rencontré sur Tinder. L’affection vient en vivant, dans le chaos insaisissable de nos vies, et parfois là où on n’aurait jamais pensé la trouver.
Quoiqu’Ellie Moon bénéficie d’un scénario aux dialogues époustouflants, sa prestation dans le rôle principal m’a paru par moments trop théâtrale, trop exagérée. Par contre, la mise en scène de Karen Knox est superbe – autant par la consistance du décor rose et atténué, par le choix de la musique pop qui met en évidence le caractère juvénile et frénétique de la protagoniste et, avant tout, par des plans de caméra raffinés. Les très gros plans de Rosy soulignent le plus souvent ses émotions, mais nous laissent tout au début également dans le doute quant à son âge quand elle bricole une carte enfantine pour sa collègue de travail devant le décor de ce qui pourrait bien être une chambre d’enfant. Ces plans tranchent avec les contre-plongées – de l’immeuble de la banque et d’un client intimidant – accentuant son sentiment d’infériorité par rapport au monde du travail. Pour finir, j’ai été notamment fascinée par deux scènes très courtes sans importance apparente dans lesquelles la jeune adulte marche en ville et où, dans les deux cas, un détail anodin du décor urbain, quand on y regarde de plus près, reflète son état d’esprit momentané. En somme, Adult Adoption est un film important et émouvant dont la fin et surtout sa symbolique – je n’en dirai qu’un mot : la couverture rouge – m’ont laissé profondément impressionnée et comme on aime le dire aujourd’hui : empowered.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième